I - SYBILLE

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Chapitre 1

Mardi 25 avril 2017

Réduire au silence un adversaire, c'est l'empêcher de parler, et de s'exprimer en général. Certains utilisent la force, d'autres la psychologie. Je ne suis pas une fervente admiratrice de ces méthodes, qui pour moi ne servent à rien, mise à part rabaisser les gens. Néanmoins, il est parfois agréable de voir une personne qui vous méprise patauger sur un sujet que vous maîtrisez. Est-ce mal ? Pas à ma connaissance, non. En tout cas une chose est sûre, la langue de Shakespeare n'est pas quelque chose à prendre à la légère.

Sa main droite joue nerveusement avec son stylo tandis qu'elle est avachie sur l'une des six chaises en rotin de la salle à manger. Je l'observe attentivement, à quoi pense-t-elle ? Alix fait mine de réfléchir mais je ne suis pas stupide, elle n'essaie même pas de comprendre l'exercice. En fait, je pense qu'on pourrait rester là des heures. Son attitude de petite fille pourrie gâtée m'exaspère, mais je fais mon possible pour ne pas craquer.

- Que peux-tu me dire à propos de ce texte ?
- Qu'il est foutrement ennuyeux ?
- Alix..., dis-je en levant les yeux au ciel.
- Quoi ? J'en ai marre de ces cours à la con ! Je n'ai pas besoin de ça pour avoir mon bac !
- Essaie de te concentrer, tu dois bien connaitre quelques mots, non ?

Elle souffle, agacée, et tente de se reconcentrer sur le texte. Cela fait trois semaines que j'ai commencé à lui donner des cours particuliers et j'ai l'impression qu'elle ne fait aucun effort ! Sa mère travaille à l'hôpital Antoine Béclère dans la même unité que ma mère, c'est elle qui lui a proposé mes services. J'ai beau être payé vingt euros de l'heure, je me dis que tout ça, est loin d'être une partie de plaisir.

Tout comme moi, Alix est une élève du lycée Jacques Monod. C'est une jolie fille, aux parents absents, qui cherche sans arrêt l'attention des autres. Et même si une partie de moi envie l'adolescente populaire, je n'aimerais pas être Alix Martin, tout simplement car je ne suis pas certaine qu'elle soit vraiment heureuse.

Alix attrape la feuille afin de lire le texte une nouvelle fois. Curieusement, elle me traduit deux phrases. Cela peut paraître puéril, personnellement je trouve ça encouragent. Son niveau est faible pourtant avec un peu de travail, je suis certaine qu'on peut améliorer tout ça. Alors qu'elle semble enfin concentrée, une sonnerie stridente retentit dans tout le rez-de-chaussée, ce qui interrompt notre conversation. Alix me regarde, étonnée, elle s'excuse et traverse la pièce pour rejoindre le vestibule avant de disparaitre de mon champ de vision. J'entends le claquement du verrou quand sa voix se fait entendre au loin :

- Mathieu, qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je suis venu discuter.

Une voix grave se mêle à la sienne. Je hausse les sourcils, surprise. Décidément, il ne manquait plus que ça... La discussion s'estompe pour laisser place à des chuchotements de la part d'Alix. Un comportement étrange qui m'interpelle aussitôt. J'hésite quelques secondes et me lève pour vérifier si tout va bien. Je marche jusqu'à la porte qui sépare le petit hall d'entrée de la pièce à vivre lorsque j'aperçois un garçon. Il est brun, grand et plutôt mignon. Il est vêtu d'un survêtement à capuche blanc et d'une sacoche banane noire autour de la taille. Ce dernier me remarque, ce qui pousse Alix à se retourner.

- Tout va bien ? demandé-je timidement.
- Oui, tu m'excuses deux minutes ? On doit discuter.

Je hoche la tête positivement, gênée d'avoir interrompu leur discussion, et retourne dans la salle à manger. Je profite de cet instant pour regarder plus attentivement les photos qui se trouvent sur le buffet en rotin. Mis à part sa mère, je ne connais personne qui fréquente Alix. D'après ce que je sais, ses parents se sont séparés lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Son père est désormais à l'étranger où il vit avec son nouveau compagnon. Un changement qui peut paraître choquant pour certains et admirable pour d'autres. Personnellement, je trouve ça beau. Les photos où il apparait sont nombreuses. Alix serait-elle la Blair Waldorf de Clamart ? Un sourire se dessine sur mon visage. J'envie sa relation avec son père, malgré les difficultés de la situation, la séparation n'a visiblement rien changé à leur rapport, comme quoi les pères ne sont pas tous des ordures.

Je sors de mes pensées quand la voix d'Alix refait surface. Elle a beau vivre dans une jolie maison, les murs sont aussi fins que du papier. La discussion semble s'envenimer et j'en ai la confirmation lorsqu'une vague d'injures se fait entendre. La porte claque brusquement, ce qui me fait sursauter.

- T'es qu'un connard ! hurle-t-elle.

Je reste immobile, choquée par la tournure des événements. Alix me rejoint, ses yeux sont rouges,
ses joues trempées. Je la regarde, embarrassée.

- Tout va bien ?
- À ton avis ? Est-ce que j'ai l'air d'aller bien ?! crache-t-elle sèchement.

Je reste silencieuse, réalisant que ma question est absurde, puis reprends :

- Que s'est-il passé ?
- Il ne veut plus me voir...

Elle ramène sa main tremblante à son visage, effondrée. Vient-elle réellement de se confier à moi ? Les larmes reprennent le dessus, je ne sais pas comment réagir face à tout ça.

- Je suis désolée...
- C'est tous les mêmes, putain !
- C'est un garçon stupide, il ne te mérite pas.
- Qu'est-ce que tu en sais, Sybille, hein ?! reprend-elle, agacée. Avec tes allures de petite vierge
effarouchée ! Tu y connais quelque chose toi, sur les relations ? J'étais chanceuse d'avoir rencontré un garçon comme lui ! Tu sais qui c'est au moins ?!

Je reste stoïque face à ses propos agressifs et me contente de hocher la tête négativement. Elle sourit nerveusement, les larmes coulent de plus belle.

- Je peux faire quelque chose ?
- Tu ferais mieux de partir ! Les vingt euros sont dans l'entrée.
- T'es sûre que tu ne veux pas...
- Casse-toi putain ! me coupe-t-elle en hurlant.

Je rassemble immédiatement mes affaires et les glisse dans mon sac avant de quitter les lieux. Mes yeux sont humides mais j'essaie tant bien que mal de retenir mes larmes. Alix Martin n'est qu'une foutue conne qui n'a jamais respecté grand monde. Qui est-elle pour s'adresser à moi de la sorte ? Je ferme ma veste à l'aide de la fermeture Éclair et sors mes écouteurs ainsi qu'une cigarette. À ce moment précis, je regrette d'avoir accepté ce job, même si au fond de moi, je sais pertinemment que j'en ai besoin. Alors que je rejoins mon quartier à pied, je repense à ce garçon qui a débarqué chez Alix. Qui est-il ? Et pourquoi l'a-t-il fait pleurer ?

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant