ALL NIGHT - PLK

IV - PAS LES MÊMES

Chapitre 9

Lundi 29 juin 2020

La joie est plus qu'une sensation, c'est une émotion très forte qui touche aussi bien notre corps, notre cœur et notre esprit. Elle indique que nous avons fait, ou que nous avons été témoin de quelque chose de positif. Est-ce que cela signifie que je suis sur la bonne voie ? J'essaie pourtant de m'en dissuader.

Mes affaires rassemblées, je quitte mon appartement en prenant soin de verrouiller la porte d'entrée. Je glisse mes clés dans mon sac à bandoulière et me dirige vers la cage d'escalier, béate. J'ai beau essayer de me canaliser, une partie de moi est heureuse à l'idée d'envisager la soirée à venir. Je jette un œil rapide sur mon téléphone et réponds aux messages de Nour, amusée. À quoi bon nier ? Cette dernière voit clair dans mon jeu et semble approuver cette situation qui, d'après moi, reste néanmoins très étrange...

Lorsque j'atteins le rez-de-chaussée, mes yeux sont toujours rivés sur mon écran. Je longe le hall pour rejoindre la sortie quand une voix m'interrompt dans ma lancée.

- Ah ouais, même pas ça me cala.

Je relève la tête, surprise, et remarque Sacha appuyé contre les boîtes aux lettres.

- No... Non, bafouillé-je, confuse. Excuse-moi, j'étais happée par mon téléphone.
- Ouais, j'ai vu ça.
- Tu squattes les halls d'immeubles toi maintenant ? lancé-je, d'un ton léger.
- Non, je reviens du sport. J'ai pris deux minutes pour regarder mon courrier, dit-il en agitant une enveloppe et quelques publicités. D'ailleurs, j'ai toujours ton colis Amazon dans mon entrée, t'as du temps pour monter le récupérer ?
- Je passerai demain si ça ne t'ennuie pas ?
- Pas de soucis, acquiesce mon voisin en me regardant d'un peu plus près. Tu sors ?
- Oui, je vais retrouver des amis.
- Ceux du barbecue ?

Je souris tout en hochant la tête en guise de réponse positive.

- Ils ont de la chance, t'es radieuse !
- Merci ! On se voit dans la semaine ?
- Tout dépend de ton emploi du temps.
- Je suis pas mal occupée, mais je devrais trouver du temps pour passer récupérer mon colis Amazon, le taquiné-je.
- Ah juste pour le colis ?
- Pour quoi d'autre ?

J'ouvre la porte du bâtiment, tout sourire, tandis que Sacha lève son majeur dans ma direction. Je lui lance un bisou avec ma main et m'éloigne de son champ de vision pour disparaître à l'extérieur. En regardant l'heure, je réalise que cet échange m'a mis quelque peu en retard. Conséquences : je pars retrouver mon Vespa et prends la route sans perdre de temps.

Avant-hier, Léa m'a envoyé un message pour m'informer que lundi, la bande allait dîner dans un restaurant sur Clamart et que j'étais évidemment la bienvenue. Sur le moment, j'ai refusé. Je n'ai pas revu Mathieu depuis ce fameux barbecue et je ne voulais en aucun cas m'imposer, mais Léa a insisté. Elle m'a assuré que ma présence serait appréciée. J'ai donc fini par accepter.

Arrivée face au restaurant « Oui Chef », je me stationne sur l'une des places réservées aux deux roues. Je descends pour sécuriser mon véhicule, puis retire mon casque avant d'entrer dans l'établissement. À peine passée la porte, je remarque la grande tablée. Léa agite sa main dans ma direction. Parmi eux : Omarz, Less, Anis, Ilyès, Mathieu et Adrien. Ce dernier, que je n'ai pas encore revu, me fixe un instant, choqué, quand il se lève de sa chaise pour venir me saluer.

- Alors c'était donc vrai !
- Comment vas-tu ?
- Bien, je dirais même très bien et toi ?
- Ça va, merci, souris-je.

Il m'observe quelques secondes, visiblement surpris de me revoir après tout ce temps. Je salue tout le monde d'un simple geste de la main et m'installe face à Léa ; nous sommes pratiquement en bout de table. Je croise maladroitement le regard de Mathieu qui est à ma diagonale. Je sais qu'il n'est pas raisonnable de penser de la sorte mais... je mentirais si j'affirmais qu'il n'est pas à tomber par terre.

Ormaz me tend le menu et je m'empresse de sélectionner mon plat ainsi que ma boisson. L'ambiance est très agréable. Je n'arrive pas à croire qu'on soit de nouveau tous réunis. C'est la deuxième fois en quelques semaines. En revenant ici, jamais je n'aurais pensé ça possible. Dans l'attente des plats, je me joins volontiers à la conversation. Je sens les yeux de Mathieu se poser régulièrement sur moi. Il a beau être discret, cela me flatte.

Les sujets à table varient. Évidemment, Adrien essaie d'en savoir un peu plus sur ma nouvelle vie. Je lui réponds brièvement pour ne pas accaparer l'attention. La discussion divague sur sa carrière et son nouveau projet. Les garçons en viennent rapidement au clip qu'ils viennent de tourner. « All Day » le nombre de vues a explosé, de quoi rendre ses amis plutôt fiers.

- Au fait, dans le clip, l'une des deux racli avec la chicha, c'était pas la sœur d'Erwan ? demande Ormaz à Adrien.
- Si, pourquoi, tu veux son numéro ?
- Jamais de la vie, mon reuf !
- Elle a essayé de nous chauffer avec Polak, on était morts.
- Elle a osé ? intervient Léa.
- Ça t'étonne ? la regarde Mathieu, pessimiste.
- J'ai vraiment du mal à comprendre les femmes qui essaient de se donner pour la fame.
- Attends, t'insinues qu'ils sont moches là ? se mêle Anis.
- Fais gaffe, Agostini, on va se fâcher, reprend Mathieu.
- Ne me fais pas dire ce que j'ai pas dit, râle-t-elle.
- Ça va, on te taquine, corrige Adrien. On a pas besoin de ça pour soulever de la go. On est un peu plus difficiles que ça, hein Polak ?
- Carrément !
- Bah voyons ! sourit Ilyès.
- Toi, t'es jaloux ça compte pas ! s'amuse Lesram.
- Ilyès, il arrive à serrer des meufs uniquement, car c'est le pote à PLK, ajoute Ormaz.
- C'est totalement faux ! dément-il. Ça aide mais mon charme naturel y est pour quelque chose.
- Un charme naturel ? Sérieusement ? répète Anis, tout sourire.
- Vous faites les malins mais ça doit bien vous arranger, précise Léa.
- On va pas s'en plaindre, avoue Ilyès en haussant les épaules.

À ce moment précis, le sourire décontracté que j'arbore n'est que façade. Inutile de préciser que cette conversation a le don de me hérisser fortement. J'ai beau prendre sur moi, l'idée d'imaginer Mathieu avec une autre fille me donne la nausée. Depuis notre séparation, ce n'est pas la première fois que j'envisage cette éventualité et il faudrait être stupide pour croire qu'il n'a jamais retenté le coup. Bien sûr, je ne peux pas lui en vouloir, nous ne sommes plus ensemble. Il est libre de faire ce que bon lui chante.

- Au fait, Adil et Emma arrivent, annonce Lesram en posant son téléphone sur la table.
- C'est une blague ? rétorque Léa, médusée.
- Quoi ? Qu'est-ce qui a ?
- C'est censé être un repas entre amis, pas une réunion dans un centre de loisirs !
- Je vois pas ce que ça peut te faire.
- Ça me fait rien du tout, Marcel ! C'est juste une question de principe, tu captes ?
- Outch, Marcel, grimace Ilyès.

Léa fixe ce dernier dans l'attente d'une explication.

- Quand tu l'appelles Marcel, c'est que t'es vraiment énervée, explique-t-il.
- Énervé ou pas, je savais pas qu'il fallait son autorisation pour inviter des gens supplémentaires.

Le ton de Lesram est sec. Léa marmonne quelques mots mais il les ignore pour ne pas envenimer les choses. Sa réaction m'étonne. Adrien change de sujet. Il a à peine le temps de finir sa phrase que les invités entrent dans le restaurant. Ils ont déjà mangé alors ils s'installent sur des chaises à l'extrémité. Adil connaît visiblement les garçons, quant à cette Emma, elle semble plutôt bien apprécier Lesram. La situation me met quelque peu mal à l'aise mais je ne laisse rien paraître, comme toujours. J'observe attentivement mon amie qui semble chamboulée par l'arrivée de cette jeune femme. Est-ce que Léa aurait toujours des sentiments pour Lesram ? Je commence sérieusement à me poser des questions.