PDV Léo
Sur le chemin pour regagner ma cellule, Elie ne cesse de me jeter des œillades en coin pendant que je raconte cette histoire de drogue et de vengeance dans les douches. Je m'arrête et me plante devant lui.
— Bon, qu'est-ce qu'il y a, à la fin ? Je le vois ton air idiot.
— C'est juste...
Il regarde autour de nous et s'approche de moi, taquin.
— J'ai bien l'impression que le Loup Noir te fait de plus en plus d'effet... Avoue, tu craques complètement pour lui.
Le feu me monte aux joues. Est-ce si évident que ça ? D'un côté, l'admirer en pleines tractions à la fin de notre footing de cet après-midi ne m'a pas laissé indifférent... Je revois très bien ses biceps et ses pectoraux enfler à chaque mouvement, les gouttes de sueur perler sur sa peau au hâle de bronze... Je ferme les yeux pour chasser les images.
— Il est peut-être... beau, mais il m'a quand même giflé.
Elie s'arrête, abasourdi.
— Attends... quoi ? Attends, non, d'abord : qu'est-ce que tu as fait ?
Je soupire.
— Après mon lynchage, j'ai vu mon père au parloir et... ça s'est très mal passé. J'étais au fond du sceau. Rafael est venu me voir dehors et moi, je l'ai... ahem... rejeté assez vivement. Et provoqué. J'ai été con, je sais, et en même temps...
Ma gorge se noue.
— Ma carrière est compromise, mon avenir est devenu incertain, je n'ai toujours pas accès à mes comptes, dehors tout le monde m'a lâché et ma mère...
Je détourne le regard. Je ne préfère pas prononcer les mots.
— Sans oublier que la prison entière semble déjà me haïr ou vouloir me tabasser. Qu'est-ce que ce sera dans un mois ? dans un an ? Elie, je dois survivre ici pendant six ans...
Cette idée me replonge dans le néant. J'ai beau être tenace, je me dois d'être rationnel : même si je parviens à rester sain d'esprit, les autres m'enverront à l'hôpital tous les deux mois. Ils le disent tous, je ne ferai pas long feu.
— J'ai envie d'y arriver et de leur montrer ma valeur, mais dès que j'ouvre la bouche pour me défendre, je me fais descendre ou menacer. Dis-moi ce que je dois faire, Elie...
— Léo...
Je lève les yeux vers lui, désemparé.
— Est-ce que c'est moi qui suis coupable ? Est-ce que... est-ce que c'est vraiment de ma faute si les autres s'en prennent à moi ? Je veux dire, je sais que je ne suis pas doué pour m'exprimer dans ma vie personnelle, on m'a déjà dit que j'avais tendance à être naturellement énervant, par moments, mais je te jure que je ne le fais pas exprès... ! Je... je ne pensais pas irriter les gens à ce point.
Mon menton retombe. Après avoir prononcé ces mots, je réalise que je suis sans doute l'unique responsable. Si mes parents et mon ex m'ont toujours accablé et critiqué, ce n'est pas pour rien. La prison me rend juste la monnaie de ma pièce. Je cache mon mal-être derrière un rire léger. Faire semblant d'être fort, en toute circonstance, même lorsque je suis piétiné, est devenu un domaine d'expertise. Je broierai du noir, mais au moins, je ne perdrai pas la face.
Elie me prend par les épaules.
— Tu es loin d'être quelqu'un d'énervant, Léo. Tu es maladroit, mais tu fais de ton mieux. Si tu agaces les gens, c'est parce que tu n'as absolument aucun filtre et que tu peux être piquant, lorsque tu es sur la défensive – ce qui est justifié, ici. Mais soyons honnêtes, si tu t'attires les foudres de tous les détenus, c'est juste parce que tu es gay. Crois-moi, comparé à ces types, tu es un agneau.
Ces mots me soulagent autant qu'ils m'inquiètent.
— Tout le monde a ses défauts. Tu es quelqu'un de bien, Léo. N'en doute pas, OK ?
Je hoche la tête, reconnaissant, mais peu convaincu.
— Merci, mais oublie ça.
— Ce que je ne vais pas oublier de sitôt, c'est que Martinez t'a mis une gifle. Et tu n'as même pas de trace. Il t'a seulement mis une petite gifle alors que tu l'as provoqué. Rafael Martinez, le mec que tout le monde respecte et que personne ne malmène à Glenwood, toi, tu...
— À vrai dire, je n'ai pas fait que ça, ajouté-je en me frottant la nuque. Après qu'il m'a giflé, je... je l'ai cogné en plein visage.
Elie me fixe durant de longues secondes, sous le choc.
— Tu te fous de moi.
— Malheureusement, non...
Je grimace.
— J'ai compris ensuite qu'il a fait ça pour m'aider, même si ça reste du langage de taulard.
Sa stupeur se mue en sourire, puis en rire incontrôlable.
— Quoi ?
— Oh, mais rien ! Absolument rien !
Je fronce les sourcils.
— Vous êtes juste aussi nuls l'un que l'autre pour... disons... communiquer, me raille-t-il en mimant des guillemets.
— À la différence que, lui, personne ne le fait chier pour sa maladresse.
Il pousse un soupir amusé.
— Je sens que la suite va être très intéressante...
Il me tapote le bras, un sourire aux lèvres.
— Je dois prendre ma douche, dit-il en secouant son t-shirt humide de sueur, ou je ferai bientôt fuir les cafards.
— Je vais y aller aussi.
Cette fin de conversation me laisse perplexe. Intéressant ? J'ai du mal à imaginer une suite intéressante... Je le regarde partir en direction de son dortoir et me dirige vers ma cellule. Ai-je un réel espoir ne pas y trouver Yeux Bleus ? J'envie Elie de ne pas être enfermé dans une pièce de 9m² avec un colocataire tel que le mien. Vivement que l'on me trouve une place en dortoir !
En entrant dans la cellule, je retrouve Yeux Bleus étendu sur son lit. Son regard se braque sur moi.
— T'as parlé ?
— Pardon ?
Il s'assoit sur son lit et me toise d'un air noir. Je me sens blêmir.
— Je t'ai demandé si tu as balancé pour la coke.
— N-non, je n'ai rien dit, je te le jure...
— Tant mieux.
Il se rallonge et glisse ses bras derrière la tête.
— C'est pas parce que j'ai peur de personne que j'ai envie de repartir en QHS.
— Oui, je comprends... dis-je en attrapant à la hâte ma serviette et mon gel douche.
— Tu comprends rien du tout, Pasquier.
Un frisson me parcourt l'échine. Il ne m'avait encore jamais parlé sur ce ton.
— On va en QHS quand on fait une grosse connerie. Ou qu'on tue quelqu'un.
Sa tête roule vers moi, nos regards se croisent.
— Et c'est pas moi qui me ferai tuer.
J'ai l'impression que mon sang vient de quitter mon corps.
— J-je ne dirai rien, tu le sais... !
— Bien. Très bien.
Il reprend sa contemplation du plafond.
— Là-bas, je m'ennuie. Je déteste m'ennuyer.
Je recule, mes affaires dans les bras, et détale dans la foulée. Par pitié, que l'on me sorte d'ici !
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De roses et d'acier (MxM)
Romance🔞Léo Pasquier est un jeune avocat français téméraire et audacieux. Il est victime d'un complot qui le conduit à l'incarcération dans une prison new-yorkaise et se retrouve brisé par ceux qui règnent sur cet enfer. Un homme se démarque toutefois au...