Je reste un long moment seul dans la cellule, assis sur le sol froid, les genoux repliés contre ma poitrine et mon visage enfoui entre mes coudes. Mes pleurs ont cessé depuis un moment, mais je ne veux pas relever la tête. Je ne veux plus regarder autour de moi, voir les murs lugubres de cet asile aux barreaux d'acier.
Je me berce par de légers mouvements, entrouvrant peu à peu les yeux sur les lits. Parce que je dois me forcer à accepter cet endroit où l'on m'a cloîtré. Je dois m'y habituer, ou je finirai en isolement, entre trois murs. Là, j'aurai de vraies raisons de hurler. Les battements de mon cœur sont revenus à la normale et ma respiration s'est apaisée. Si mon esprit nage toujours en pleine folie, mon corps s'est au moins calmé. Ne pas voir le jour, abandonné dans un labyrinthe de cellules, est tout ce qui pouvait m'arriver de pire.
Je tourne lentement la tête vers le matelas où je vais sans doute dormir et tente de modifier ma vision des choses. Ce lit est à moi, je peux m'y réfugier sous une couverture. De plus, je serai en sécurité dans cette cellule, au fond du couloir de l'étage... n'est-ce pas ? Après tout, les petits animaux se cachent bien dans des terriers, c'est ainsi que je dois voir les choses. La comparaison me fait grimacer. Un petit animal, oui, c'est ce que je suis devenu. Autant se protéger comme le plus vulnérable. En vingt-quatre heures, je suis passé de lion à lapereau fragile.
Après avoir refusé d'y entrer, je souhaiterais maintenant rester ici à jamais pour ne pas affronter le reste de la prison. Mais un gardien du secteur, un homme à la peau noire dans un uniforme bleu marine, n'est pas de cet avis et m'ordonne de quitter les lieux. Je viens de recevoir mon affectation. Cette fois, pas de jolie salle de classe ni de brise printanière en pleine cours. Je serai dehors à travailler sur un chantier, comme les autres. Espérons que mes facultés intellectuelles m'aideront à décrocher un poste dans la logistique.
J'enfile ma combinaison orange, me glisse dans le couloir et avance à pas timides en direction de la salle commune, sous les yeux intrigués de quelques résidents. Je dois relever la tête et feinter une parfaite sérénité, reprendre du poil de la bête pour ne pas être jugé faible dès mon arrivée. L'effort est surhumain.
— Gardien... Hoover, fais-je en décryptant son badge du coin de l'œil, où puis-je contacter mon avocat ?
— Pour le moment, t'as le droit à rien, le Français.
Je lève un sourcil. Déjà ? Cette manie de n'évoquer que mes origines françaises, alors que j'ai vécu la majeure partie de ma vie aux Etats-Unis, devient agaçante. Mais je me garde bien de répliquer. S'ils ne me raillent que sur ce point, je m'estimerai chanceux.
Une fois descendu dans la salle commune, je m'arrête. Les tables sont toutes occupées par des groupes apathiques ou des gangs aux airs hostiles. Où puis-je aller ? Les yeux commencent à se braquer sur moi. Je dois me remettre à marcher et paraître confiant. Souffler, rester naturel... je peux y arriver. J'arrive à peine à bouger les doigts, tellement je suis crispé. Mon arrogance m'a quitté depuis bien longtemps.
En reflexe, et parce qu'il est mon unique repère dans cet endroit de cauchemar, je cherche Rafael du regard tout en avançant entre les tables. En tant que nouvel arrivant, les yeux sont rivés sur moi. Rien d'étonnant, je suppose. Alors, pourquoi suis-je si terrifié ?
C'est au centre de la salle que je le découvre, entouré d'une dizaine d'hommes latinos. Leurs épais tatouages et leur comportement soulignent leur appartenance à un gang. Je freine l'allure en arrivant à leur hauteur. Malgré ses paroles rudes, au fond de moi, j'espère toujours qu'il ne me déteste pas vraiment. Ce conflit n'a aucun sens et je compte bien m'entretenir avec lui afin d'éclaircir les malentendus. Après tout, nous étions en couple et envisagions notre avenir ensemble, il y a encore quelques mois, je ne peux pas croire que sa haine envers moi soit réelle.
Après une longue hésitation, je fais quelques pas timides vers eux et inspire un bon coup avant de prendre la parole.
— Qu'est-ce que tu veux, connard ?
Je n'ai même pas eu le temps d'ouvrir la bouche qu'un membre du gang m'a déjà agressé verbalement. Tous me toisent d'un sale œil. Je déglutis.
— Je...
En voyant le regard sombre que Rafael lève sur moi et l'hostilité qui se dégage du groupe, mon ventre se noue. J'ai l'impression d'être redevenu un inconnu pour lui. Cette pensée me blesse au-delà de la peur. Je recule et baisse la tête.
— D-désolé, je me suis trompé...
— Ouais, t'as rien à faire là. Tire-toi.
Je fais volte-face et me réfugie derrière une colonne, à quelques mètres de là. Une fois dos à eux, je reprends ma respiration et ferme les yeux.
Mon cœur est lourd. Je ne supporte pas de lire la haine sur le visage de l'homme que j'aime. Je veux retrouver sa tendresse, son affection... Son amour est tout ce qui me maintenait à flots ; désormais, je le réalise. Il ne peut pas m'abandonner, pas ici, pas maintenant ! Pourquoi me traite-t-il ainsi ? Je me mords la lèvre pour contenir ma peine. Je vous en supplie, rendez-moi l'homme de ma vie !
Je me tourne à nouveau vers la salle, appuyé contre la façade en béton du pilier, et prends le temps d'analyser ce qui m'entoure. Si je veux survivre à Northbury, je dois comprendre mon environnement et ceux qui y résident.
Grâce aux uniformes orange, je sais déjà que j'ai quitté l'état. Le nombre de gardiens, leur agressivité et la surpopulation carcérale confirment que je me trouve dans un niveau plus élevé de sécurité. Côté détenus, les comportements sont variés : des hommes anxieux ou réservés, semblants tout juste sortis de la vie active, cohabitent avec les fortes personnalités de la prison. Lorsque de courtes peines se mêlent aux incarcérations à perpétuité, cela n'annonce jamais rien de bon.
J'en profite pour observer Rafael. Assis sur la table, les pieds sur le banc et les coudes sur les genoux, il dévisage quelques hommes les uns après les autres, tout en étant abreuvé de paroles. Le gang qui l'entoure est focalisé sur lui. Bien vite, je constate que les détenus le contemplent tous avec une certaine insistance tout en discutant avec leurs voisins.
Quand nous étions encore à Glenwood, j'avais de nombreux doutes sur son passé carcéral, mais aujourd'hui, je comprends qu'il a non seulement déjà été en détention dans cette prison, mais que sa réputation va au-delà de ce que j'imaginais. J'ai l'impression d'être le seul à ignorer son identité. M'a-t-il caché tant de choses que ça ?
Un Afro-Américain à la barbe poivre et sel entre dans la salle. Sa carrure épaisse, son expression et sa démarche me font penser à El Cubano, notre cher roi de Glenwood. Je mettrai ma main à couper que cet homme est le maître des lieux. Une légère angoisse monte au creux de mon estomac lorsqu'il s'approche de Rafael. Un stress qui redescend sitôt qu'ils se saluent tous deux d'un geste fraternel. Le reste de la salle semble tout petit, à côté d'eux. Je ne comprends plus...
— ... Ouais, Muggzy se retire, ça y est.
Je tends l'oreille vers la conversation de mes voisins, qui désignent l'homme du menton. Mugzzy... Serait-il donc le grand patron ?
— Hawk n'a plus qu'à bien se tenir. La Madre est plus forte que jamais et le Loup est revenu au bercail.
Un sexagénaire leur répond sur un ton rieur.
— Dix ans à Northbury. C'gars est irremplaçable. Son nom restera dans ces putains d'murs.
En voyant Muggzy hocher la tête devant Rafael, d'autres gangs se présenter à lui et la salle entière concentrée sur cet échange, je réalise mon erreur. Rafael n'est ni un chef de gang ni un rival pour qui que ce soit, il est le maître des lieux. Le grand patron de Northbury, c'est lui.
La mâchoire m'en tombe. Je me plaque contre la colonne, sous le choc. Dix ans. Dix ans durant lesquels il aurait donc régné sur cette prison et je n'en savais rien... Je réprime un rire nerveux. En réalité, je ne possède que peu d'informations sur lui. Une fiancée et une sœur assassinées, une enfance difficile, voilà tout ce que je sais de l'homme que j'aime depuis un an. Les détenus de cette prison le connaissent mieux que son petit ami... Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer.
Je jette une dernière œillade vers son visage froid et impassible, puis me détourne pour rejoindre le groupe de travail près des portes. La tristesse a remplacé l'angoisse.
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De roses et d'acier (MxM)
Romance🔞Léo Pasquier est un jeune avocat français téméraire et audacieux. Il est victime d'un complot qui le conduit à l'incarcération dans une prison new-yorkaise et se retrouve brisé par ceux qui règnent sur cet enfer. Un homme se démarque toutefois au...