Chapitre 7

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PDV Léo 

 

L'air s'est rafraîchi, après l'averse de cet après-midi, mais je m'en moque. J'ai besoin d'un temps mort, d'un moment à moi sans porter un masque, à l'abri des regards. Assis en tailleur près du banc, sur la bordure d'herbe qui entoure le terrain de basket, je contemple l'esquisse d'une nature lointaine à travers les barbelés. Un pointillisme forestier s'étend entre les rangées de bâtiments gris. Je pourrais presque sentir l'odeur de l'herbe humide et entendre les branches craquer...

Je plante mes paumes derrière moi et lève les yeux vers les nuages. Le ciel me transporte hors de la prison, au Canada, dans les immenses étendues boisées, réchauffées par les couleurs de l'automne. Je ne les contemple pas depuis cette cour, mais accoudé à mon vélo après une longue virée, sous une frondaison cuivre et or. J'inspire à pleins poumons, le cœur allégé. Je n'aurais jamais imaginé que me rattacher à une vision d'enfant serait un jour devenu mon unique exutoire.

— Eh, Le petit prince !

Je me tourne vers un trio de détenus en débardeurs, à l'angle d'un mur. Suis-je celui à qui ils s'adressent ? Je ne suis pas assez proche d'eux pour comprendre leur conversation, tout ce que je capte est « le petit prince », articulé de manière insistante avec un piètre accent français. Leurs rires soulignent la moquerie. Je réussis à ne pas me crisper et reste calme.

— Moi, c'est Pasquier.

A priori, ils n'ont pas l'air de vouloir m'entendre. Le petit prince... pourquoi ce surnom ? parce que je suis Français ? de famille aisée ? J'ai l'impression d'avoir affaire à des adolescents. Un ballon rebondit sur le bitume détrempé. Lorsque les trois hommes voient Rafael entrer sur le terrain de basket, leur hilarité s'envole et ils disparaissent à l'intérieur du bâtiment. Bon débarras...

— Je trouve ça intéressant comme surnom, Le petit prince.

Je me tourne vers lui.

— Intéressant ?

— Hm. Ça te va bien.

Il lance le ballon dans le cercle rouge et marque un panier aussi facilement qu'un adulte qui jouerait à la marelle. J'ironise :

— Tu trouves que j'ai une tête à porter une couronne ?

— Plutôt d'un petit blond rêveur, perché sur sa planète.

Je le fixe, surpris, et nous échangeons un long regard, lui le ballon entre les mains, moi perdu dans ses yeux. Un léger sourire perle sur mes lèvres. Son impassibilité s'évanouit l'instant d'après et son expression s'adoucit. Pendant une seconde, j'ai l'impression de lire en lui, de sentir la chaleur qui l'habite et cerner l'homme véritable derrière Le Loup de Glenwood. Mieux que les nuages, aujourd'hui, sa présence est un rayon de soleil dans ma vie.

L'écho d'une porte qui claque coupe court à ce moment. La froideur reprend ses droits et il se détourne pour se focaliser sur le panier. Pourquoi met-il tant de temps à lancer ? J'aime à croire que notre échange visuel l'a déconcentré. Les fantasmes allègent l'esprit et réchauffent le cœur, même s'ils sont éphémères.

Je ferme les yeux et laisse les minutes s'écouler. Le bruit du ballon me détend, il signifie qu'il est là. Près de lui, je peux me permettre d'être vulnérable, d'oublier la méfiance et panser mes blessures, comme un lionceau lèche ses plaies. Peu importe où je suis, tant qu'il n'est pas loin de moi, mon Loup Noir. Là où il est, je me sens en sécurité.

Une bourrasque glacée me glace le sang. Je rentre le menton et tire sur les manches de mon sweatshirt. Le ciel se couvre de plus en plus. Je jette un œil en direction de la porte puis regarde à nouveau Rafael. Je ne veux pas aller chercher un blouson et risquer de ne plus le trouver à mon retour... Je ne suis pas prêt mentalement à le quitter et replonger dans une foule de détenus.

Il lâche soudain le ballon et marche vers le banc qui est près de moi. Lorsqu'il retire sa veste de survêtement, je profite d'une vue imparable sur son torse, moulé par un t-shirt blanc dont la taille trop étroite trahit une prise notable de muscles. Un bout de la tête de loup tatouée sur son biceps apparaît sous sa manche serrée. Même avec une vie entière d'entraînement, je n'atteindrais jamais sa carrure.

Il me regarde grelotter, fixe sa veste et me regarde à nouveau. Essaie-t-il de me dire de... la mettre ? Je reste hébété. Il repart à pas lents tout en me jetant des œillades de biais, plus qu'insistantes. J'hésite. Peut-être me fait-il comprendre au contraire de ne pas y toucher ?

— Pasquier.

Je me fige vers lui, il frappe le sol avec le ballon.

— Sois pas con.

Ma bouche s'entrouvre. Je vise la veste et, après de longues secondes, j'ose enfin me lever pour aller la chercher. D'un geste timide, je l'enfile et tire sur les pans, bien trop larges pour moi et ma ridicule taille M. Son odeur m'envoûte aussitôt dans une étreinte réconfortante. Je me love dans le vêtement comme si ses bras se refermaient autour de moi et enfouis le nez dedans en frissonnant. Cette fois, je fonds littéralement de bien-être ! Honteux d'exprimer tant de bonheur grâce à sa simple veste, je me fige sur place et hisse mon regard vers lui, prêt à me faire railler, mais, contre toute attente, il reprend simplement ses dribbles. Est-ce la naissance d'un sourire que j'aperçois au coin de ses lèvres ?

Je m'installe sur le blanc tel un bienheureux, les jambes ramenées contre moi, et profite de chaque instant de ce sentiment de plénitude. Mes cils papillonnent tandis que je l'observe jouer. Il est ma berceuse personnelle, entre ces barbelés...


Des voix percent ma bulle.

Je rouvre les yeux, englué dans une lourde torpeur. C'est lorsque l'agitation se rapproche que je réalise que je suis allongé sur le banc. Je me redresse en sursaut sur un coude, surpris de m'être assoupi dehors. Ayant toujours l'odeur de Rafael sur moi, mon cœur s'apaise avant même de s'être emballé. Je le retrouve à quelques mètres, en train de faire quelques paniers avec les membres de son gang. Rien d'inquiétant, je suppose... Jusqu'à ce que Luiz Ramos m'aperçoive.

— Dis-moi que tu lui as volé et il n'a rien vu, s'étonne-t-il en désignant la veste, les sourcils arqués.

— Je... je ne volerai jamais rien à Martinez.

Ramos marque une pause puis se fend de rire. Ma tension remonte, je me crispe à nouveau. Il s'assied à côté de moi et pince la manche du vêtement avec un air amusé. Je m'écarte par réflexe. Avant de perdre mes moyens, je retire la veste, lui colle entre les bras et fuis en direction de la porte. Je sens le regard de Rafael peser sur moi, mais je ne m'y attarde pas et m'empresse de rentrer dans le bâtiment. Grâce à lui, j'ai pu relâcher la pression et me reposer en toute tranquillité. C'est bien la première fois depuis mon arrivée en prison que je ressens du soulagement.

Malgré mon retour à la réalité, mon cœur est plus léger et mes fissures sont à nouveau cachées. Dans ma situation, lorsque tout se joue au jour le jour, c'est déjà beaucoup.


Un peu de douceur... <3

Vos ressentis sur Rafael ? Sur leur relation ?

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant