Chapitre 2

1.2K 129 68
                                    

L'angoisse me ronge l'estomac. Les questions fusent, mais je me retiens de harceler le garde qui nous surveille depuis l'avant du bus pour éviter une nouvelle correction. Nous sommes à peine dix détenus dans le véhicule.

Je tente de décrypter dans la nuit le paysage qui défile sous mes yeux, mais je ne discerne que des zones boisées, des champs et le bitume de la route. Des heures que l'on roule dans le noir... Où nous emmènent-ils ?

Je grimace en remuant sur mon siège, incapable de trouver une position confortable. Les fers qui pèsent autour de mes poignets et de mes chevilles sont si lourds qu'ils m'écorchent la peau à chaque mouvement. Devant, sur ma diagonale, Rafael. Rigide et silencieux. Pas une fois il ne m'a adressé un regard.

Je ne sais plus quoi penser. Pourquoi cet accès de rage sur Luiz et cette brutalité envers moi ? Qu'ai-je fait de mal pour mériter une telle agressivité ? Et surtout, pourquoi ai-je rejoint leur groupe de transférés ? Je pose la tête contre la vitre et laisse mon regard vagabonder. Mon esprit sombre dans un brouillard de pensées.

L'arrêt soudain du bus et les ordres des gardes me sortent de ma somnolence. J'émerge en quelques secondes et me lève en réflexe, tel un automate qu'on viendrait d'enclencher. Le réveil le plus rapide de ma vie. En voyant Rafael s'insérer dans la file de détenus, je me glisse à la hâte derrière lui. L'envie de lui parler me brûle les lèvres, mais je continue à me taire. Le pas alourdi par le fer, nous descendons du bus un à la fois, sans un mot.

Les hauts murs barbelés d'une allée hautement gardée se dressent devant moi. Je lève les yeux vers la tour de surveillance, située à ma gauche. Il n'y en avait pas à Glenwood... Des gardes apathiques nous conduisent à l'entrée d'un nouveau bâtiment, puis les portes s'ouvrent sur un hall où résonnent de nombreuses voix.

Passé le portique de sécurité, j'aperçois ce qui me semble être un grand bureau d'administration. Lorsque les hommes de notre groupe sont emmenés un par un dans une pièce sans en ressortir par la suite, mon anxiété monte d'un cran. Je prends de longues inspirations pour me calmer. Où m'ont-ils emmené...

Quand mon tour vient, on me retire les fers avant de me pousser dans la pièce, aussi froide que le surveillant qui s'y trouve.

— Déshabille-toi.

Une fouille, bien sûr. Connaissant la chanson, je me plie aux ordres et retire mes vêtements et mon caleçon. Me laisser toucher par un inconnu (surtout aussi bourru) est toujours une épreuve. L'air est si froid que j'ai du mal à me retenir de grelotter durant l'examen.

Les vérifications terminées et une fois rhabillé, on me colle un nouveau lot d'affaires entre les bras et je suis renvoyé dans un long corridor, entrecoupé par de nombreuses portes métalliques. Je presse le pas pour me faufiler à nouveau derrière Rafael et nous avançons dans le couloir truffé de gardes. Des cellules occupées par deux ou quatre détenus s'étendent jusqu'au premier étage. Des détenus vêtus d'uniformes orange, une surpopulation flagrante et des gardes sur les dents. Mon estomac se tord et ma gorge se noue. Je viens de comprendre où je suis...

Un vertige me fait tanguer. Je me retourne vers la porte d'entrée, encore ouverte. Je ne peux pas être enfermé ici, non, je ne peux pas !

Mon souffle s'accélère à mesure que nous avançons dans les couloirs. Nous entrons dans une salle commune, moitié moins grande que celles de Glenwood, et encadrée par une cinquantaine de cellules aux portes bleues, sur deux niveaux. Quatre hautes vitres de style vitrail percent les murs, si épaisses et étroites que même la lumière blanche du jour semble fausse. C'est donc dans cet espace clos que vivent les détenus... L'impression d'être pris au piège, sans aucune échappatoire, est plus forte que jamais.

Les regards se braquent sur nous. Des visages hostiles, des tatouages de gangs, des groupes centrés sur eux-mêmes et agglutinés sur les tables... Je secoue la tête, terrifié par la réalité, et me tourne vers le gardien qui marche à côté de moi.

— Pourquoi suis-je ici ? S'il vous plaît, dites-moi pourquoi j'ai été envoyé ici... !

Aucune réponse. L'air se raréfie dans ma gorge. Je m'arrête brusquement, pris de panique.

— Je n'ai rien à faire ici ! Appelez mon avocat !

Le surveillant me saisit par le bras et me pousse dans le dos pour m'obliger à suivre le rythme en direction des escaliers.

— Avance et ferme ta gueule !

Je me mords la joue et plante mes ongles dans les vêtements pour contenir la crise d'angoisse qui monte au creux de mon ventre. Depuis les marches, j'entends d'ici les éclats de voix de prisonniers en pleine dispute et les surveillants parler de fouille après avoir trouvé une arme artisanale.

Je nage en plein cauchemar. Un cauchemar où je suis bloqué dans un cube à la lumière artificielle et où se brassent des gens devenus fous entre ces murs, sur le point de me découper à vif. J'ai l'impression que le plafond me tombe sur la tête à chaque pas et que le sol se dérobe sous mes pieds. Ma vision s'obscurcit et se mouchète d'étoiles.

Ouvre les yeux, marche droit. Marche droit !

Les détenus du groupe sont distribués en ordre de file dans les cellules aux portes bleues. L'homme qui me précède, Rafael et moi sommes conduits dans une cellule comportant un lit superposé et deux matelas en piteux état, disposés au sol dans l'urgence. Sur les côtés, un WC en aluminium, une tablette avec un tabouret, tous deux soudés au mur, et deux étagères. 

L'unique habitant nous dévisage depuis son couchage au rez-de-chaussée. Les lits ajoutés réduisent le peu d'espace libre, on ne peut même pas faire un pas entre les deux matelas. Aucune fenêtre, des murs grisâtres et griffonnés, et une intimité inexistante. Le confinement est total. Je lève les yeux au plafond, la lumière à néon est anxiogène. J'ai l'impression d'arriver dans la chambre d'un asile surpeuplé. Ou est-ce moi qui suis déjà devenu fou ?

Rafael et mon voisin entrent sans broncher sous l'injonction de deux gardiens. Moi, je reste devant la porte, tétanisé. Lorsque je sens une main dans mon dos, je me braque et me mets à hurler.

— Non ! Je ne peux pas !

Je fais un pas en arrière, mais les gardes me saisissent par les deux bras et je suis jeté au sol sans ménagement. Le bruit de la porte qui se referme me fait l'effet d'un poing dans le ventre. Enfermé, je suis enfermé...

Je me redresse sur un coude, au milieu de mon tas de vêtements orange, et tente de prendre une profonde inspiration, mais ma gorge est serrée dans un étau. Mes organes se liquéfient, ma poitrine se déchire en deux. Je lève la tête vers les murs qui m'encadrent, les yeux bordés de larmes, et enroule les doigts autour de mon cou comme pour dégager mes voies respiratoires. Je ne peux pas rester dans cet espace restreint, j'en suis incapable !

Lorsque les pieds de Rafael passent devant moi, je me lève aussitôt et l'attrape par le bras.

— Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'ils m'ont envoyé dans un niveau de sécurité supérieur ? Je t'en prie, Rafael, réponds-moi !

Ma main ne reste pas longtemps posée sur lui. Il tire sur son bras et me plaque contre le mur. Mon souffle se coupe. Il approche son visage du mien et me transperce d'un regard noir tout en murmurant :

— Si je ne t'avais pas aimé à ce point, je t'aurais déjà massacré.

Mes yeux s'écarquillent. La tristesse comme le choc de ces mots font voler mon cœur en éclats.

— Ne crois pas que tu aies vécu le pire, à Glenwood, parce que t'en es loin.

Il recule de plusieurs pas sans me lâcher du regard, puis ouvre les bras.

— Ici, tu es à Northbury. Bienvenue en enfer !

Mon sang se glace, mes jambes se mettent à flageller. Je m'effondre lentement le long du mur, dents et poings serrés pour réprimer mes pleurs, mais l'horreur m'aspire dans son gouffre. Je m'écroule sur le sol et éclate en sanglots. Son menton retombe et il se détourne de moi.

— Bienvenue chez moi...

  

Je vous offre finalement plusieurs chapitres ce week-end pour profiter à fond !! 🎉 J'espère que ça vous fait plaisir 🥰

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant