Chapitre 23.2

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Malheureusement pour moi, l'espace libre est dérisoire et les autres détenus m'encadrent vite, ne laissant aucune place pour lui. Mais où est-il passé ? Je lâche un soupir nerveux. Comment rester serein dans une marée humaine ? 

Les matelas se touchent, les hommes se bousculent, une chaleur odorante commence à remplacer le froid. Du bétail agglutiné dans une cage, voilà ce que nous sommes. Malgré le stress, la fatigue et l'hostilité de ceux qui nous reçoivent chez eux, je suis surpris de constater que mon dortoir ne cède pas à la violence. Je suppose que nous apprécions le simple fait d'être encore en vie...

Je m'assois sur mon matelas et enfouis le nez dans la couverture de Rafael afin de me concentrer sur son parfum et oublier le chaos ambiant. Même en prison, mon père me reprocherait cette attitude qu'il qualifierait d'immature et enfantine. Ah, lui et la sensibilité masculine... L'unique trait qu'il a forgé chez moi est ma vanité, à l'image de la sienne, après avoir étouffé ma personnalité pour me modeler selon les critères de leur caste. Le chemin était droit, il fallait s'y conformer. Briller la tête haute, ne pas dévier, jamais.

— Salut, Pasquier.

Cette voix m'électrise. Je rouvre les yeux sur Reyes et Tucker en train de virer mes deux voisins pour leur dérober leur emplacement. J'en déduis qu'ils comptent profiter du désordre pour me pourrir la vie. La tension me monte à la gorge.

— Vous pouviez pas aller ailleurs, non ?

— Avec les énervés du dortoir A, on va pas beaucoup dormir, autant se distraire comme on peut.

Leur jeu malsain me lasse... Je m'allonge en soupirant et m'enroule dans la couverture. Cette nuit, la fatigue l'emporte sur l'envie de répliquer.

Tucker se lève et aboie sur un sexagénaire vietnamien dont le crâne lisse et le teint pâle attestent de nombreuses années de chimio ; son cancer est connu pour être incurable. Cet enfoiré cherche-t-il vraiment à voler son unique couverture à ce pauvre homme ? Tucker lui assène un poing dans l'abdomen et laisse plié en deux sur son matelas. Mon sang ne fait qu'un tour.

Je bondis de mon lit, furieux.

— Tu as déjà une couverture ! Rends-lui la sienne immédiatement !

— Une, ça me suffit pas.

— Il a un cancer, Tucker !

— Justement, il lui reste quelques mois, on en a rien à foutre.

Mes yeux s'écarquillent. Je n'ai pas assez de mots pour décrire ma haine. Je lui dérobe la couverture d'un geste irrité et le contourne pour la rendre au malade, mais Tucker me l'arrache des mains et me pousse brutalement. Je tombe sur les fesses, sur son matelas. S'il croit que je vais lâcher prise, c'est qu'il me connaît encore très mal !

À défaut de me battre, j'attrape ma propre couverture et l'offre à l'homme. Ce dernier la refuse dans un premier temps, navré de m'avoir causé du tort, mais, devant mon insistance, il finit par l'accepter et se courbe pour me remercier.

— Pauvre con, me crache Tucker.

— Tu ferais mieux de te calmer.

— Pardon ?

Il me chope par le col et me relève sur mes deux pieds. Puisqu'il semble déjà l'avoir oublié, il est temps de lui remémorer qui je suis.

— Continue comme ça et je chargerai Nicky de te rappeler l'alliance qui nous lie, lui et moi.

Son expression change du tout au tout. Je le repousse avec cet air hautain qu'il exècre et me tourne vers le chef de gang le plus dangereux de la prison. Nicky Fuentes, alias El Cubano. Deux mètres pour cent trente kilos de muscles, de longues dreadlocks rassemblées en queue de cheval et un sang plus chaud que le Vésuve.

Il est le grand patron silencieux de cette prison, régnant en sous-marin afin de ne pas aggraver sa peine. Nicky gère son trafic depuis le fond de la salle avec quelques hommes sans jamais perdre de vue l'ensemble du dortoir. Avoir obtenu sa liberté anticipée m'assure de ne pas me faire assassiner par les enragés de son gang. Du moins, jusqu'à sa sortie. Les bonnes affaires ne durent jamais longtemps, en détention...

Alors que je me rallonge sur mon matelas sous les regards meurtriers de mes deux voisins, Luiz Ramos apparaît, le torse et les joues bombés. Il s'assoit près de mes jambes.

— Je vole à ton secours, mon petit lion.

Je lui jette une œillade moqueuse.

— Je me suis déjà secouru moi-même, merci.

— Tu auras toujours besoin de quelqu'un, ajoute-t-il, taquin.

Je me redresse, les mains en appui derrière moi, et lui réponds avec un demi-sourire.

— Rafael est déjà là pour moi, Ramos. Mais ta sollicitude me touche.

— Rafael, Rafael... il sera pas toujours là, hein.

— Merci de me le rappeler.

— Meu Deus, le prends pas comme ça... se rattrape-t-il. J'veux juste que tu saches que...

Reyes et Tucker s'esclaffent.

— Que t'es un chien, Ramos ! s'exclame Tucker.

— Un chien qui rongerait n'importe quel os pourvu qu'il puisse grailler, renchérit Reyes.

— Fermez-la ! se défend Ramos. Ou je...

— Ou quoi ? T'as perdu trop de soldats, Ramos, et t'as surtout perdu la loyauté du Loup Noir. T'es que dalle !

Je lève les yeux au ciel. Luiz pose une main sur mon genou et me fixe avec un air sérieux.

— Tout ce que je veux, c'est ton bien, Pasquier. Tu me crois, hein ?

J'examine son expression d'un œil plissé. Est-il sincère ou juste intéressé ? Je ne saurais dire. Néanmoins, l'attirance n'empêche en rien de s'épauler et je suis au moins certain qu'il ne cherchera pas à me poignarder dans les douches. Je hoche la tête histoire de le rassurer. 

Soulagé, il remonte sa main sur ma cuisse et la tapote. Ma peau me démange, mais je me retiens de lui faire le reproche. Ce côté tactile est inné chez lui et il oublierait ma remarque deux minutes après...

— Tu verras, quand Rafael sera plus là, je te lâcherai pas.

Tucker mime l'acte de vomir et Reyes l'insulte en portugais avant de lui cracher dessus. L'échange s'envenime. Les deux compères se rapprochent de Ramos en s'agenouillant sur mon matelas et je me retrouve au milieu, pris entre deux feux. Bien sûr, c'est ce moment que choisissent les gardiens pour éteindre les lumières... Le stress monte d'un cran.

— Barrez-vous ! beugle Ramos en les bousculant.

— Depuis le début, j'peux pas te piffer, maugrée Tucker en glissant la main dans le pan de sa chemise.

Mes yeux s'écarquillent. Ce geste, je le reconnais... Et je devine l'objet tranchant que Tucker s'apprête à sortir. Mon cœur s'emballe. Je m'interpose entre eux et pousse Ramos hors de mon lit, prenant le risque de tourner le dos à Tucker.

— Ramos, vas-t'en !

Il me saisit la main et me fixe.

— Je veux pas te laisser... !

— Je n'ai pas besoin de toi !

Je sens le bras de Tucker s'agiter dans mon dos. Si jamais il...

— Léo.

Je lève la tête vers la nouvelle silhouette qui vient de se planter devant nous. Rafael...

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant