De roses et d'acier (MxM)

Chapitre 29.2

Rafael s'approche de lui avec un air menaçant.

— Ne t'avise même pas de le toucher.

— Sinon quoi ? Tu m'arracheras les mains ? Les yeux ? Ah non, c'est vrai, tu ne peux pas ou c'est lui qui prendra.

La lèvre de Rafael se retrousse. Jackson se tourne vers lui et lui lance un regard provocant.

— S'il me prend l'envie de le baiser dans la nuit, je le ferai. Mais je t'avoue que je prendrais vraiment mon pied si c'était sous ton nez.

— Espèce d'enculé !

— Rafael ! Sors d'ici !

— T'as envie qu'il te baise ? tempête-t-il. Sans déconner ! Je culpabilisais juste en te traitant comme mon jouet sexuel devant les autres, et lui, tu dis rien ?!

Mes yeux s'exorbitent. Je m'assois sur mon lit, sans me soucier de la douleur.

— Tu ne sais rien de ce qu'il se passe dans ma tête ni de ce que je ressens ! Juste parce que je n'explose pas comme toi et que je cache mes émotions, ça voudrait dire que je suis d'accord et que je le vis bien ? Comment oses-tu me parler comme ça !

Son expression se froisse. Comme d'habitude après s'être emporté, il baisse les yeux, en proie aux remords.

— Je... je ne veux pas qu'on te fasse du mal.

— Tu es celui qui m'en fait, actuellement, en perdant encore ton self-control.

Nos regards se happent, nos cœurs chavirent ensemble. La tristesse brille dans ses pupilles et les larmes me nouent la gorge. Je secoue lentement la tête et murmure à contrecœur :

— Tes sentiments me font du mal...

Je lance une œillade furtive sur Jackson, le temps d'une seconde. Alors qu'il s'apprêtait à réagir, Rafael referme la bouche et me fixe. J'en déduis que le message est clair. Il tourne les talons sans ajouter un mot et quitte la cellule. Je ferme les yeux et soupire, épuisé tant sur le plan physique qu'émotionnel. Je me rallonge en portant mon plâtre entre les mains et m'enfonce dans le lit. Un long gémissement m'échappe, suivi de quelques souffles courts.

— Il te lâche pas, le con.

Je grince des dents. La douleur me transperce la jambe.

— L'infirmière va arriver, fait Jackson en versant le contenu d'un sachet dans un bol. Avant de partir manger, j'ajouterai de l'eau chaude, ça te fera une soupe de nouilles.

— Arrête ça.

— Arrêter quoi ?

— Faire comme si tu prenais soin de moi, alors que tu m'utiliseras dès que l'envie te prendra.

Il me dévisage de longues secondes, mais, à défaut d'argumenter pour sa défense, il se détourne et part s'allonger sur son lit.

— J'ai juste dit ça pour l'énerver. Mais c'est pas l'envie qui manque, juste pour écraser son égo. Et puis, ça fait un bail que j'ai pas tiré un coup, autant lier l'utile à l'agréable.

Je déglutis, pris d'une sueur froide. Mes mes mains se mettent à trembler sur le matelas. Si je pouvais fuir cette pièce, je l'aurais déjà fait. Mais je suis cloué sur ce lit, à côté de l'homme que je pourrai un jour retrouver sur moi, dans mon sommeil.

— Pourquoi tu le crois si différent, Martinez ?

— Il l'est.

— Juste parce qu'il t'a sauvé de Derek ? Je t'en prie, il a pris que quatre ans de plus. T'imagines que c'est un mec bien qui a une vie pourrie, mais c'est le fils pistonné d'une narcotrafiquante influente, se moque-t-il.

Je reste muet quelques instants.

— Tu ne vois pas ce que moi je vois.

— Y'a rien d'autre à voir qu'un gars violent, possessif et caractériel.

— Tu n'as pas vécu avec lui pendant un an. Moi, je le connais.

— Et donc ?

— Et donc, c'est un homme sensible, tendre, protecteur, respectueux, d'une rare dévotion et qui a une âme d'artiste. Qui peut se vanter de posséder de telles qualités en ayant grandi dans la violence et mûri entre les murs d'une prison ? Rafael a des failles qui le poussent à commettre de graves erreurs, à cause de sa triste vie, mais de l'autre côté, c'est un homme formidable sur qui ceux de l'extérieur pourraient prendre exemple.

Un sourire adoucit mon visage.

— T'es avocat et tu défends un assassin ?

— Non. Je suis un être humain qui comprend aujourd'hui les nuances de la vie et de la mort, et qui regarde la justice sous un nouvel angle, depuis qu'il l'a vue fleurir derrière les barreaux.

Il tourne la tête vers moi. Un moment, je crois qu'il va dire quelque chose, mais il se ravise et reprend sa contemplation du plafond.

— T'es un sacré mec, Pasquier. En toute honnêteté, c'est dommage que tu sois si amoureux.

— Je peux savoir pourquoi ?

— Parce que l'amour rend aveugle. Un homme aussi détruit par la vie que Martinez ne peut plus changer à son âge. Tu t'imagines que tu vivras une jolie vie bien rangée avec lui, à votre sortie, mais il te fera souffrir et tu tomberas dans une spirale infernale.

— Qu'est-ce que tu en sais, toi ?

— Je le sais parce que je suis entouré de meurtriers et d'hommes comme ça. Ils ont tous une belle façade et vendent du rêve tant qu'on les abreuve d'affection. Mais au premier écart, ils partent loin. Très loin. Et je suis sûr que tu le sais...

Je laisse passer quelques secondes.

— Tu connais bien le sujet, n'est-ce pas ?

Son silence parle de lui-même.

— Vivre avec cet homme, c'est vivre tout plus vite et plus fort, reprend-il d'une voix profonde. C'est vivre avec un ouragan d'émotions, de joies et de larmes. C'est ne pas savoir de quoi sera fait demain, parce que votre amour éclipse la vie elle-même. On ne retrouve aucune relation telle que celle-ci, parce que l'expérience avec lui vaut toutes les autres, jusqu'à en oublier le reste du monde.

Je souris, le cœur serré. Ces mots auraient pu sortir de ma propre bouche. Malgré les apparences, je sens bien que ce discours est douloureux pour lui et qu'il ne dit que la vérité.

— Après six années d'enfer en taule, une fois de retour dans ce monde triste et fade, il me faudra bien une tempête pour rythmer ma vie.

Il pouffe de rire.

— Au moins, je t'aurais prévenu. J'aurai la conscience tranquille si je te vois dans la rubrique nécrologique.

— Si la prison n'a pas ma peau, personne ne l'aura.

Mon sourire s'estompe et j'inspire profondément. La pression sur ma poitrine recommence à se manifester. J'espère que Northbury recevra bientôt mon médicament. Je ne suis pas certain de pouvoir encaisser de nouveaux chocs bien longtemps.