Chapitre 6.1

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PDV Rafael

Les percées du soleil à travers les nuages rendent la fraîcheur de l'air supportable. Assis sur une table, les pieds sur le banc, je laisse traîner un œil distrait sur les groupes de détenus, répartis dans la cour. A cause de la surpopulation, même avec les sorties décalées, la zone est remplie de détenus.

Des grillages séparent la cour en quatre secteurs. Le A et le B peuvent communiquer facilement, à travers les mailles. De nombreux arrangements se concluent de cette manière. C'est au fond de la cour que j'aperçois la silhouette de Hawk, dit Le Python. Chef du secteur C, il a écrasé son autorité sur le D en se débarrassant de son rival grâce à un transfert définitif en QHS.

A ce que j'ai cru comprendre, ce cinglé a réussi à acheter des hommes chez nous pour attaquer Muggzy, l'an passé. Cinq coups de tournevis entre les côtes, trente points de suture. Le ménage a été fait dans nos rangs, suite à ce désagrément.

— Et est-ce que c'est Martinez qui s'est occupé de Cruz ?

La voix du cousin de Mateo. Tout nouveau qu'il est dans le gang, il s'émerveille sur les récits que mon meilleur ami lui raconte à propos de mes prouesses carcérales.

— En secret, d'un coup de croc. Mais ils n'ont jamais rien pu prouver et, aujourd'hui, l'affaire est enterrée. Martinez nous a débarrassé de quelques ordures comme ça, et il a vengé des victimes, par la même occasion. Quand la justice prévoit de relâcher des fous dangereux ou de ne pas les condamner comme il se doit, faut bien que quelqu'un s'en occupe.

— Wouah ! Et ce vieux blanc, là, l'avocat ? J'ai entendu dire que le fils d'un chef cubain s'était suicidé à cause de lui ?

— C'est pour son meurtre que Martinez a pris quinze ans.

— Je commence à comprendre pourquoi Le Loup Noir est si important, à Northbury, souffle le gamin comme si je ne pouvais pas entendre. Mais du coup, combien de mecs il a...

— Miguel, ahora cállate¹, le corrige Mateo. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus.

— Pardon, Martinez, je t'admire énormément...

— Pas de raison.

Je réponds en marmonnant, plus attentif aux échanges qui ont lieu entre les deux secteurs, à travers les grilles, qu'à leur conversation. Les gars m'ont mis au parfum sur les nouvelles recrues des deux dernières années. Rien n'est venu bouleverser les affaires de ma mère, depuis mon départ. Les rênes sont toujours tenues avec fermeté, tout va pour le mieux.

Néanmoins, j'aime découvrir par moi-même les relations qui se sont créées et observer l'attitude de chacun. Les chefs de gangs n'ont pas l'air d'être contrariés par mon retour, au contraire, nos secteurs étant majoritairement occupés par des latinos. En tant que noir, Muggzy s'est souvent fait détrôné. 

De plus, je tiens plus d'El Cubano que du Python, en matière de leadership. Je ne suis pas avare de pouvoir, je ne m'impose pas sur les hommes outre mesure et je ne les empêche pas de se foutre sur la gueule, tant que leurs conflits personnels n'entachent pas la paix générale.

Les gens savent que je les observe, que je corrige les déviances et les comportements qui vont à l'encontre des intérêts communs. Des mecs font des plans dangereux pour une communauté ? Je suis celui qu'on appelle et qui interviens. Par un intermédiaire ou de mes propres mains. Personne ne se la joue très longtemps perso.

Mon rôle est plus paternaliste qu'autre chose. Un père dont les enfants ont le droit de courir partout, tant qu'ils ne foutent pas la famille dans la merde. Et qui cogne fort en cas de non-respect des règles.

Je jette un œil dans le coin où se trouve Léo. Au milieu du brouhaha, il est assis dans un angle, derrière des Portoricains, le nez dans un livre. Le savoir à ma portée me rassure. Quelques membres du gang en question m'adressent un bref hochement de tête respectueux en pensant que je les fixe et je leur renvoie leur salutation. Je soupire et me décontracte.

Andres et Da Silva me manquent. Andres, surtout. J'ai un pincement au cœur en pensant à lui. Mais depuis que je suis ici, je me sens enfin à nouveau en famille.

La porte s'ouvre sur un détenu à la calvitie bien entamée, escorté par deux matons. La peau tombante de son menton et sa barbe éparse au blond grisonnant le vieillissent sans doute plus que son âge réel. La monture bronze de ses lunettes aviateur est enroulée d'un bout de scotch blanc. Il a déjà dû se faire des amis à coups de poings. Un curieux silence s'abat sur la cour. 

Quelques mots sont échangés entre les trois hommes. Ce type a l'air d'insister pour rester parmi nous. Pourquoi est-il lorgné de cette manière ? On ne m'a pas encore parlé de lui, mais tout le monde semble le connaître. Les deux gardiens avec lui finissent par retourner à la porte.

— Rafa, me souffle Mateo, lui c'est Hendrix...

Comme s'il avait entendu son nom dans ce murmure, l'homme se braque vers moi. Un large sourire fend son visage en deux.

— Martinez ?

Un rire le secoue, balbutiant au début, puis euphorique par la suite. Cette fois, c'est moi qu'ils regardent tous. Premier signal d'alarme dans mon esprit. D'un coup d'œil, j'analyse la cour. Un surveillant tourne un peu plus loin et les deux qui ont amené Hendrix discutent avec le gardien à la porte. Les détenus du secteur B, derrière leur grillage, dans le dos d'Hendrix, viennent de se river vers nous. Un spectacle commence et je me découvre en tant qu'acteur principal.

— Qu'est-ce que tu veux, trou du cul ?

— Ta question devrait être : d'où est-ce que je te connais ? Ou bien de demander qui je suis ?

Il repart à rire. Je gronde d'impatience. Mateo pose une main sur mon bras.

— Rafa, garde ton calme. C'est tout ce qu'il attend.

— Pourquoi ?

Hendrix fait quelques pas vers moi avant que quelques membres de mon gang ne se lèvent pour lui barrer la route. Il recule, amusé. Son rire commence à m'agacer...

Il baisse la tête, ses yeux roulent vers moi, soulignant son sourire malsain.

— Nina... Ahh, la jolie Nina...

Mon cœur rate un battement. Je descends du banc sur une pulsion de rage. Mateo, Diego et d'autres du groupe s'interposent entre nous, mais je les repousse pour aller me planter devant lui.

— D'où est-ce que tu connais ma sœur, fils de pute ?

— Je rêvais de te rencontrer...

— Parle ! Ou je te jure que je t'arrache les couilles !

Il s'approche de mon visage, le front perlant de fines gouttelettes de sueur et les lèvres frémissantes. Son odeur de transpiration attaque mes narines.

— Je suis un ami et collègue de Neil Allan Thompson.

Mes yeux s'écarquillent.

— Nous avons deux styles différents, mais j'ai beaucoup apprécié son travail avec Nina et Kelly. Tu as pris la vie d'un artiste...

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¹ : "Maintenant, tais-toi !" en espagnol.

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant