Chapitre 1

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PDV Léo


« Détenus ! »

Je fais un bond dans mon lit, le cœur palpitant. Le cri insupportable du matin.

Le visage enfoui entre les mains, je tente de reprendre mes esprits malgré les coups assourdissants des matraques contre les barreaux des portes. Ah, elles sont loin les douces sonneries du smartphone à base de gazouillements d'oiseaux. Pas de « bonjour » ou de bruit de douche dans la salle de bain, pas d'odeur alléchante de café ni de pain toasté dans l'air. Non, juste les appels des gardiens, des sons des grilles qui claquent et un brouhaha masculin déjà ponctué d'insultes.

Je m'extirpe du petit matelas, creusé par de nombreux corps, et me lève pour faire un lit au carré avant de me faire corriger. Une fois bien réveillé, je me tourne vers la fenêtre et tente de percevoir le soleil à travers le mandala de verre brisé. Dire que j'imaginais naïvement pouvoir m'évader en regardant dehors...

J'enfile la chemise et le pantalon vert sapin de mon uniforme carcéral et m'étire comme un chat. Ma colonne vertébrale craque, mon dos et mes articulations hurlent. À peine debout, j'ai envie de me fracasser la tête contre un mur. Je fixe d'un air las le béton grisâtre, parsemé de crevasses et de tracés d'anciens détenus.

Depuis une semaine, j'ai des questions incohérentes et les idées loufoques d'un gamin mentalement perturbé. Le genre qui n'effleurerait même pas une personne de l'extérieur. Me tirer les cheveux, me gratter la peau jusqu'à la chair ou me mordre la lèvre au sang... Mon cerveau part-il en roue libre seulement au bout d'une dizaine de jours ?

Mon codétenu vient se planter devant moi pour me fixer de ses deux billes bleu ciel. Je placarde un sourire aimable sur mon visage et patiente. Ne pas froisser le sociopathe qui partage avec vous une pièce de 9m² est une règle vitale si l'on souhaite rester entier.

Comme d'habitude – et parce qu'elle est impossible à ignorer –, mon regard est attiré par la grande spirale noire tatouée entre ses pectoraux et sa clavicule, mais je le retiens. Je sais qu'il déteste être dévisagé trop longtemps. Oui, Yeux bleus a tendance à être grognon, le matin. Inutile de préciser que mon ex-belle-mère, aussi ogresse était-elle au moment du café, n'était en rien comparable à ce cinglé.

Soupçonné d'homicide surcolocataire, condamné pour simples violences et trafic de méthamphétamines. Vule profil, l'homicide ne fait aucun doute. Son avocat a été très efficace...

Je lâche un léger rire nerveux et il me renvoie un grand sourire. Frais comme une rose, sans pour autant en revêtir l'odeur. Il me tape l'épaule et se dirige vers la porte afin de répondre à l'appel du surveillant.

— Allez, magne-toi, Frenchie.

Pourquoi ces simples mots m'effraient-ils ? Je le regarde s'éloigner dans son tee-shirt blanc, ceux que nous portons sous nos uniformes. S'il se couche de mauvaise humeur, pourrait-il me dépecer dans mon sommeil ?

Je passe une main dans mes cheveux en bataille et grince des dents, aussi affligé par ma paranoïa que terrorisé à l'idée d'avoir raison. Dieu merci, personne ne lit dans mes pensées. À commencer par Yeux Bleus. Je serais bien fichu de l'inspirer.


J'arrive dans la salle d'eau commune où se brasse une vingtaine d'hommes. Les vapeurs humides embuent la pièce. L'odeur de sueur se mêle à celle des cigarettes, échangées contre quelques rails de cocaïne ou un appel clandestin.

Je retire mes vêtements et les accroche avec ma serviette à l'un des petits crochets qu'il y a près des lavabos pour faire ma toilette. La plupart des détenus sont tatoués ou recouverts de cicatrices. Les plus musclés, en général. D'autres sont plus ou moins aussi sveltes que moi ; ceux qui se font toujours les plus discrets. Le temps où j'ouvrais ma bouche pour un oui ou pour un non est bien révolu.

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant