Chapitre 21.1

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PDV Léo

   

Comme d'habitude, la salle de bain est bondée. Environ trois minutes par jour et par individu pour se laver – si l'on omet les « privilégiés ». Big, une armoire à glace, dérobe toujours son temps de douche à un autre détenu. Et je ne connais personne d'assez fou pour le lui reprocher.

— Pasquier ! m'interpelle un homme euphorique. Le juge a approuvé ma demande, je sors dans deux semaines !

L'un de mes tout premiers étudiants. Je lui réponds par un hochement de tête ravi.

— Et ton ami ?

— Il est en bonne voie lui aussi, grâce à toi. Merci, vraiment... me souffle-t-il, ému. Je vais pouvoir assister à la naissance de ma fille...

Son bonheur me réchauffe le cœur. Je lui tapote le bras.

— Tes efforts ont été récompensés, profite de ta famille.

Il part retrouver son camarade, joyeux comme un pinçon. Quel beau début de journée ! À ce rythme, la prison va être purgée de ses meilleurs éléments. Rafael se rase encore quand je file sous la douche. C'est la première fois que je me sens aussi décontracté en étant nu devant les autres.

« Sale pute »

Ce qui ne change pas, en revanche, ce sont les insultes. Entre les gardiens et les prisonniers, c'est à peine si je les entends, à présent. Mais ce matin, la haine est plus palpable que les autres jours...

Andres se poste à la douche adjacente à la mienne.

— La nuit a été courte, hein, Pasquier.

Je le fixe avec un regard ahuri.

— Tu... nous as entendus ?

— Martinez a pas une voix de fillette, même quand il est discret. Sans oublier les insomniaques des étages, dans notre coin. On a eu une vue splendide, même dans la pénombre. Enfin, splendide... façon d'parler. Personnellement, c'était comme entendre mon vieux baiser.

Le sang me monte aux joues. J'étais loin d'imaginer que nous aurions tant de spectateurs parmi nosvoisins... Je me dépêche de me rincer, l'oreille basse.

— Y'en a qui ont p'tètre kiffé votre porno maison, mais si vous faites pas ça ailleurs, la prochaine fois, je jure devant Dieu que j'monte dans c'putain de lit pour vous vomir dessus, pigé ?

— D-désolé, ça ne se reproduira plus.

— Vaut mieux pour toi. Surtout que t'en as encore énervé plus d'un. Les potins, ici, c'est pire que chez le coiffeur.

— Il y a tant de gays refoulés que ça dans cette prison ?

— De gays ? Dans le noir, tu ressemblais plus à une gonzesse plate comme une planche qu'autre chose. Les vrais gays, ils se font tout petits. Sauf toi, bien sûr. Toi, c'est limite si tu l'as crié sur les toits.

— Et Rafael non, peut-être ?

Il coupe l'eau en même temps que moi et me fixe avec un air consterné.

— Va falloir que tu te graves ça dans l'crâne : les taulards n'ont pas le droit de baiser. Certains, ça fait dix ou vingt ans qu'ils ont rien tripoté d'autre que leur queue. Même les hétéros s'font choper sous les douches parce que y'a rien à se mettre sous la dent. Alors, si tu crois qu'un p'tit minet affirmé comme toi n'est pas la cible de tous les clébards de c'te barraque, c'est que t'es plus con que je le pensais.

Je serre les dents. Plus cru, tu meurs. Et dire que je reprochais à Rafael son manque de tact...

— Et encore une fois, Martinez n'est pas gay. Pas pour nous, en tout cas.

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant