Chapitre 21.4

1.8K 174 101
                                    

Nous franchissons tout juste le seuil de la salle commune quand Emma accourt vers moi pour nous isoler tous les deux dans un coin du couloir, loin des oreilles indiscrètes.

— Je dois te parler d'Elie, me confie-t-elle, anxieuse.

— Elie ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Ses résultats d'analyse ne sont pas bons. Je... je ne sais pas s'il...

Les larmes lui montent aux yeux. Je la prends par les épaules.

— Elie sortira cette année, et vous vous occuperez ensemble de votre bébé.

Elle pose sur moi un regard surpris.

— Il... il t'a dit... ?

— Je vous ai entendus, lors de mon premier séjour à l'infirmerie.

Elle baisse la tête, pâle comme un linge et les mains tremblantes.

— Je veux qu'il voie son enfant... Il... il ne peut pas partir avant de...

Elle s'interrompt, la gorge nouée. Je me pince les lèvres, que dire en pareil circonstances ?

— S'il te plaît, promets-moi que tu veilleras sur lui et sur son moral, m'implore-t-elle d'une voix chevrotante. Les médicaments que je lui prescris ne suffisent plus, je le vois sombrer peu à peu. Je t'en prie, prends soin de lui... Je ne peux pas le perdre, pas déjà...

— Je le ferai. Tu as ma parole.

Nous échangeons un regard entendu. Puis elle relève le menton et regagne son poste avec une expression froide, dissimulant sa souffrance et les larmes dans ses yeux. Je pousse un long soupir. Aimer quelqu'un que l'on sait condamné et risquer sa carrière pour lui est pour moi la preuve d'un immense courage.

Accoudé à une table, j'étudie le dossier d'Owens avec attention tandis qu'il suit d'une oreille un vieil épisode de K2000 à la télévision. Rafael joue aux cartes avec Andres, à côté de moi. Entre les conflits qui éclatent toutes les cinq minutes pour une histoire de cigarettes, de télécommande, d'un paquet de chips ou d'un ton un peu trop agressif au goût de certains, rester concentré sur mon travail devient compliqué.

Je souligne de l'index un paragraphe à Owens.

— Tu devrais tourner ce passage autrement. Évoquer ta scolarité en école privée, parler du cancer de ta mère, de la nécessité absolue de retrouver un travail dès ta sortie pour subvenir à ses besoins et à ceux de ton petit frère...

— Bien vu, prof.

Il fait glisser son stylo entre ses doigts et s'empresse de rectifier le tir.

— N'hésite pas à mettre le paquet. Ils comprendront que...

Nous sursautons tous les deux lorsqu'une chaussure vole entre nous. Un peu plus et nous la prenions en pleine figure... ! Rafael se lève d'un seul coup.

— Qui a jeté ça ? aboie-t-il en brandissant la chaussure.

— Lui !

L'accusé gratifie son collègue d'un « connard » accompagné d'un poing dans l'épaule. Rafael se dirige vers lui, saisit sa mâchoire et lui enfonce le bout de la chaussure dans la bouche.

— Le prochain qui l'ouvre, je lui fais bouffer ses chaussettes. C'est bien clair ?

Il bouscule une chaise sur son passage, exaspéré, et se rassied entre Andres et moi pour poursuivre leur partie comme si de rien n'était. Son bras se déroule derrière moi, sur le dossier. Cette réaction est certes disproportionnée, mais je sais qu'il s'inquiète beaucoup pour moi, et l'anxiété le rend soupe au lait.

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant