Chapitre 11

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PDV Rafael

Une semaine sans m'adresser la parole. Une semaine à m'éviter, sans parvenir à lui arracher le moindre mot. Qui a bien pu briser sa confiance en moi ?

Je fais mon dernier tour de piste lorsque je sens les premières gouttes de pluie s'écraser sur mon visage. Je freine l'allure et quitte le terrain à regret, sur ordre d'un gardien. J'aurais aimé évacuer la pression une petite heure de plus. Je pourrais saigner le premier fou qui oserait ne serait-ce qu'insulter l'un des membres de mon gang. Que dire de celui qui s'en prend à Léo depuis des jours...  Cette seule pensée me fait remonter en tension. Davis n'est pas mon premier suspect. Miller l'a menacé d'aller à l'isolement et il sait que je rôde dans les parages. Qui d'autre en serait capable ?

Je passe devant le gardien et longe le grillage barbelé pour aller rejoindre Luiz, en pleines tractions dans la zone réservée aux culturistes. Da Silva et Andres lui tiennent compagnie, adossés au mur, sous le toit. Bras croisés, je me plante sur le carré de bitume où les détenus font leurs exercices maison, à l'aide de parpaings et de barres en fer. Leur séance se terminant en même temps que la mienne, Da Silva me balance une serviette et se dirige vers moi.

— Ça va mieux ? Tu t'es défoulé ?

Je m'éponge le front et la nuque sans prononcer un mot. Andres lance une œillade désespérée à Luiz, mais aucun d'eux n'ose insister. Je suis ce genre de personne silencieuse qui ne s'emporte pas facilement, mais qui est capable de ravager ciel et terre pour un être qui lui est cher.

Tous connaissent l'importance que j'accorde au respect. Les hommes qui s'en prennent aux plus faibles me sortent par les yeux. Si je suis enfermé ici depuis mes dix-neuf ans, c'est pour avoir rendu justice à une victime, à l'inverse de ces hommes de loi qui cachent leur indifférence derrière une législation vicieuse.

Malgré tout, je m'estime chanceux de n'avoir pris que quinze ans, au vu de mes actes. Nina, elle, ne souffrira plus, là où elle se trouve...

 

Une quinzaine d'hommes – revenus d'un travail intense ou d'une activité sportive – se brasse dans la salle de bain. L'odeur de transpiration associée à celle du savon plane dans l'air. Il y a longtemps, ce mélange me révulsait. Il n'est plus désormais qu'un parfum d'ambiance quasi imperceptible. On s'habitue à tout, disaient-ils à mon arrivée. Je refusais de les croire. Aujourd'hui, plus rien ici ne me surprend ni ne m'affecte. Du moins, c'est ce que je pensais.

Léo émerge du brouhaha depuis les douches communes, la peau et les cheveux dégoulinants. Pour la première fois depuis une semaine, je le revois sans vêtements. La vision de son corps nu me laisse sous le choc : des lacérations lui fendent les bras, le ventre, le dos et les cuisses, des ecchymoses mouchètent sa peau et une auréole bleutée encercle son cou, signe d'un étranglement violent. Mes yeux s'exorbitent. Une main se pose sur mon épaule.

— Martinez, du calme... commence Andres.

Mes jambes se mettent en marche d'elles-mêmes et je me dirige droit sur Léo. Je n'ai pas encore ouvert la bouche qu'il pose sur moi un regard épouvanté. Il attrape sa serviette et la tient devant lui pour se cacher :

— R-Rafael, tu n'es pas censé...

— Pas censé quoi ? Voir ton corps ?

Ma voix résonne dans la salle de bain. Les détenus baissent d'un ton et se tournent vers nous. Léo déglutit.

— Je ne veux pas que tu t'emportes...

— Parce que tu trouves que je n'ai pas de raison de m'emporter ?

Il détourne le regard.

— Pourquoi me tenir à l'écart !

— Parce que j'y suis obligé !

Je le fixe avec un air halluciné. La seconde d'après, je remarque Davis, en train de nous observer. Mon sang ne fait qu'un tour.

— C'est toi ? C'est toi, putain ?!

Je m'avance vers lui, la haine au bord des lèvres. Léo me retient par le bras.

— Ce n'est pas lui !

— Tu le protèges !

— Je te jure sur ce que j'ai de plus précieux que ce n'est pas lui ! Rafael !

Pour une fois, Davis n'en mène pas large. Il disparaît entre les membres de son groupe et quitte la pièce. Ma fureur se renforce. Tout le monde garde l'oreille basse.

Rares sont les moments où j'enrage en public. Le dernier en date remonte à de longues années. Mais lorsque la foudre s'abat, l'air autour de moi s'enflamme. Aucun homme sensé n'oserait ne serait-ce que m'approcher, de peur d'être réduit en cendres. Même Luiz reste en retrait. Le seul à me toucher sans se brûler, en cet instant, c'est celui que je ne suis pas parvenu à protéger.

— Rafael, murmure Léo, ça va aller...

Sa voix me déchire le cœur autant qu'elle décuple ma haine. Je me retourne et fracasse le miroir avec mon poing. Une toile d'éclats se tisse sur le verre. Mon sang laisse des traces sur les bris et dégouline le long de mes phalanges. Je fusille l'ensemble de détenus d'un regard assassin.

— Si je découvre que c'est l'un d'entre vous, je lui broie les os un par un.

Je fais volte-face et sors de la salle de bain sans me retourner, gratifiant au passage deux prisonniers d'un coup d'épaule. Quel qu'en soit le prix, je ne laisserai pas Léo être détruit. J'ai moins d'un an devant moi pour lui apprendre à se sécuriser, et jurer à ceux qui oseront le toucher que je les anéantirai tous, dès leur premier pas hors d'ici.

Faute d'éducation saine, la violence a façonné ce que je suis devenu, depuis mon enfance. Elle m'a apprivoisé et offert les seules armes que je n'aurai jamais. La mort et la brutalité sont depuis longtemps les fondations de mon monde et, aujourd'hui, la prison fait partie de moi.

Il y a quinze ans, je n'ai pas su empêcher le décès de ma sœur. Je m'en voudrais jusqu'à mon dernier souffle. Je ne laisserai pas la même erreur se reproduire pour Léo, quoiqu'il m'en coûte. Dans cette vie, je n'ai plus rien à perdre.


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant