Chapitre 5.3

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Alors que mes codétenus rentrent, un jeune gardien m'interpelle sur le seuil.

— Martinez, ta mère, tu l'auras quand au téléphone ?

Il a l'air nerveux. Un blanc-bec, sans aucun doute. Ces types sont mauvais pour le business. Il n'est même pas censé parler de ma mère ici, en public. Je me rapproche de lui, assez près pour garder notre conversation secrète.

— C'est pas moi qui m'occupe des affaires. Vas voir Mateo Diaz, c'est lui la tête. Et dis-lui bien que tu viens d'arriver.

— Comment tu le sais ? s'étonne-t-il.

Je lis « Wilson » sur son badge. Je tapote son épaule avec un rictus grinçant et regarde ailleurs tout en lui murmurant à l'oreille.

— Les p'tits nouveaux, tout le monde s'en méfie. Si tu dérailles, que tu parles devant les autres – comme tu le fais actuellement –, que tu balances la moindre info sans autorisation ou juste que tu casses les couilles, tu en perdras une. Soit ici par un de nos gars, soit dehors par un de vos gars. Tout ça, c'est bien trop haut pour toi, garçon. Réfléchis bien avant de te lancer. Et surtout garde bien ta langue ou tu te la feras arrachée.

Il me dévisage avec un air troublé et jette des œillades furtives autour de lui. Il déglutit et hoche vivement la tête.

— Toi, t'es pas là-dedans ?

— Non. Imprime bien ça dans ton crâne. Pas parce qu'elle est ma mère que j'suis concerné. Maintenant, me fais plus chier avec ça.

Je me un terme à l'échange et tourne les talons. Bien entendu, le nouvel arrivant a repris la place sur le lit du haut.

— Descends de là.

— J'étais là avant, vas t'faire foutre.

Le résident sort la tête pour lui jeter un regard réprobateur.

— Descend, pauvre con !

— C'est mort ! J'veux pas me...

Je marche sur le matelas, le choppe par le pied et le tire violemment pour le projeter au sol, sur le matelas qui lui est dû. Je n'ai pas besoin de demander au résident qu'il est déjà en train de grimper sur le lit du dessus afin de me laisser celui du bas. Les anciens savent que le respect est le plus important pour moi. Tant qu'on ne me fait pas chier et qu'on garde sa place dans la chaîne alimentaire, tout se passe bien.

Le quinqua se redresse et se frotte le coude.

— T'es pas un peu fou ? Eh, gardien !

Je lève les yeux au ciel et me retourne vers Mitchell, un colombien déjà en poste il y a vingt-ans.

— Martinez ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Il m'a jeté de mon lit, je me suis blessé au coude, surveillant !

Je hausse les épaules vers Mitchell avec un air blasé.

— Nouveau ? me fait le gardien.

— Nouveau.

Il émet un petit rire détendu.

— Bon, y'a tout ce qu'il faut par-là ?

J'analyse la chambre, à la recherche de ce qu'il pourrait manquer, et répond par la négation.

— Tout est bon, chef.

— OK. Allez, sois sage, sourit-il en refermant et verrouillant la porte.

— Vous me connaissez, Mitchell.

J'entends son rire résonner dans le couloir. Je me retourne vers le quinqua et le toise d'un sale œil tout en allant m'installer dans mon lit. La lumière blanche laissera bientôt place à la lueur jaunâtre d'un néon, pour quelques heures de repos. Dans ce niveau de sécurité, il ne fait jamais nuit. Les matons doivent voir ce qui se passe dans les cellules, lors de leurs rondes. Un éclairage plus faible, c'est l'unique confort auquel nous avons droit.

Une fois au chaud dans mon lit, je regarde Léo. Pourquoi n'a-t-il aucune couverture ? Je le vois déjà en train de grelotter. Pourquoi n'ai-je pas remarqué avant que les nouveaux n'avaient rien pour se couvrir ? Quel con je suis... Mais si je lui offre ma propre couverture, il prendra ça pour de la tendresse, et les autres aussi. Je ne peux pas me le permettre.

J'examine mon lit, à la recherche d'un tissu utile, et me rappelle que j'ai roulé ma veste en boule sous mon oreiller. Vu la taille de mon vêtement et sa carrure, il s'en fera un petit plaid. Je la récupère et lui jette en plein visage. Il se redresse et me fixe avec de gros yeux hébétés.

— Toi, t'as pas intérêt à ronfler. Personne d'ailleurs !

Il récupère la veste, réfléchit un instant, puis se braque vers moi. Je le fixe :

— On n'est plus à New-York.

A travers un long regard, j'ai l'impression que nous revivons ce moment, à Glenwood, lorsqu'il s'était endormi sur le banc du terrain de basket, lové dans ma veste. Ou cet autre moment, quand je l'ai cajolé au creux de mes bras, dans mon blouson. Mon coeur se serre. Il baisse la tête sur ma veste, les lèvres pincées, et se tourne dos à nous. Depuis ma hauteur, je le vois la rouler en boule à son tour pour la caler contre lui, entre ses bras. Un nid dans lequel il peut fourrer son nez pour se rassurer avec mon odeur, autant que pour se réchauffer.

Je repose la tête dans l'oreiller, les yeux toujours braqués sur lui, et laisse mes paupières papillonner. Malgré la fatigue, une seule pensée me hante et me fait saigner. Peu importe l'intensité de ma rancœur envers lui, je ne pourrai pas m'empêcher de le protéger.

Un bruit me réveille dans la nuit. Ou plutôt des grognements. J'ouvre les yeux, encore groggy. Qui peut bien faire chier à cette heure ? En reprenant mes esprits, je découvre sur une vision d'horreur : le vieux gémit en remuant dans le dos de Léo. Est-il en train de l'agresser ?! Je me lève d'un bond et l'empoigne par le vêtement avec force avant de réaliser qu'il était en train de... se masturber. Je me fige, ahuri.

— Qu'est-ce que tu fous, putain ! braille le gars. On peut même pas s'branler ?

Emmitouflé sous ma veste, Léo se retourne avec un air ensommeillé. Avec ses cheveux ébouriffés, on dirait un ado tombé du lit.

— Qu'est-ce qu'il se passe... ?

— Toi, ta gueule ! lui gueule l'homme.

Je le soulève par la chemise, la lèvre retroussée.

— Va falloir que je t'apprenne à mieux parler, connard.

Je le rejette sur le matelas et constate les traînées blanchâtres qui ont giclé jusque sur le matelas de Léo. Le dégoût me fait grimacer.

— Pasquier, t'iras nettoyer ton coin pour pas que je m'en foute plein les pieds.

Il me regarde, étonné, puis constate les traces près de lui. Il s'écarte au maximum, puis bat des cils sans un mot pour me remercier de lui avoir indiqué. Je remonte dans le lit en grommelant, agacé, mais soulagé que rien ne lui soit arrivé. A nouveau je referme les yeux sur lui. Comment ferai-je pour m'assurer que tout va bien, lorsque nous serons dans des cellules séparées...

  

Première nuit, et déjà Rafa coeur d'artichaut. 😄 Aaaahh entre ce qu'on dit et ce qu'on fait... Ça promet 😏

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant