Chapitre 8.2

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Notre table est bruyante, mais je suis perdu dans mes pensées. Hendrix nous tourne autour. Du cousin de Mateo, plus précisément. A son grand malheur, le gamin a une grande gueule et il a répondu à son humour vaseux par un généreux coup de tête dans le nez sous les rires des autres. Les lunettes de ce cinglé ne feront pas long feu. Tout ce qu'il cherche est de l'attention. Et surtout, mon attention.

Depuis cet incident, Mateo ne quitte plus son cousin des yeux et je le sens tendu. Je balade ma fourchette dans le plat avec une moue songeuse. Le plan du meurtre a été établi dans ma cellule, avec les différentes personnes concernées, et j'ai pu m'entretenir une première fois avec les gardiens qui seront nos complices. Ne reste plus qu'à prier pour que rien n'interfère dans les plans. Si tout se déroule sans accroc, samedi matin, les surveillants découvriront le corps d'Hendrix dans les WC.

Je pousse un soupir contrarié. Pourquoi ai-je le sentiment que quelque chose tournera mal ?

— Est-ce que tu m'inviteras à la crémaillère ? me fait Diego les lèvres barbouillées de purée.

— Quelle crémaillère ?

— Ben, quand vous emménagerez ensemble.

— Mon dieu, Diego, je t'ai dit qu'on était plus ensemble.

Il s'esclaffe. Ce gros idiot ne me prend pas au sérieux. Mais vu mon comportement envers Léo, ce n'est pas très étonnant...

— Tu leur apporteras une grosse peluche, comme celle que tu avais offerte à ta nièce, ajoute Mateo, et moi je leur apporterai un petit service à... comment ils appellent ça ?

— Un service à thé. Ils sont fans de thé, les français.

— Ça c'est les anglais, bande de cons.

— Jé souis désoley, se moque Mateo en baragouinant du français.

Ils repartent à rire en mimant des gestes bourgeois. Je lève les yeux au ciel. Quelle bande de nazes. Ils feraient tache, ces dégénérés, dans notre appartement. Tout comme moi, d'ailleurs, face à Léo et ses goûts sophistiqués...

Je me vois dans un loft moderne, trop grand pour moi. Des baies vitrées avec vue sur les buildings de Manhattan, une grande pièce de vie dans laquelle nous pourrions danser un slow tous les deux à la lueur de bougies, et un large plan de travail pour faire l'amour... Je souris en m'imaginant l'allonger entre un livre de cuisine et une casserole pour le déshabiller d'un geste impatient. Il se languirait sous mes mains, gémirait et me supplierait de le pénétrer. Je plongerais alors en lui avec toute la douceur du monde, la lèvre mordue et les yeux rivés sur son visage déformé par le plaisir. Cette vie est celle dont je rêve.

Mon sourire s'évanouit lorsque la réalité me rattrape.

— Cette tête qu'il fait, c'est quand il fantasme, pouffe Mateo. Je crois que la ferme à Litchfield c'est déjà du passé.

— Tu te vois déjà avec ton petit plaid sur votre petit canapé, mi lobito ? glousse Diego.

— Ou en train de le baiser entre deux petits coussins brodés ? renchérit Mateo en joignant deux doigts.

Je le foudroie d'un air noir et lui colle une bonne gifle derrière la tête.

— Parle mieux, cabrón !

Mateo lève les mains en guise d'excuse, un petit sourire en coin.

— Et baissez d'un ton. Vous êtes pas seuls.

Je balaye le réfectoire d'un regard lent jusqu'à accrocher Hendrix, à plusieurs tables devant nous. Il tente encore de familiariser avec les détenus qui ne connaîtraient pas son passé, mais malheureusement pour lui, les infos se transmettent de tables en tables et tout le monde reste loin de lui. Le simple fait de lui parler suffirait à attirer des ennuis à quelqu'un. Qui se ressemble s'assemble, et ce que les détenus voient devient vite l'unique vérité.

Lorsqu'il approche un jeune asiatique, trop réservé et étranger à notre langue pour savoir comment réagir, c'est un chinois au buste tatoué jusqu'au cou qui se lève pour aller se planter derrière Hendrix. La menace est claire, et ce détenu est assez intelligent pour ne pas se faire envoyer au trou en utilisant ses muscles en public. Hendrix lui sourit et se décale en bout de table pour le laisser s'assoir à sa place et l'écarter du plus jeune.

Dommage que je ne connaisse pas cet homme personnellement, il aurait peut-être pu nous servir.

— T'es sûr de toi, pour ce soir ? Je veux dire, tu vas pas tout annuler au dernier moment, hein ?

— Je lui ai déjà fait bien pire, pour le sauver...

Malgré tout, la culpabilité me ronge. Je dois prévenir Léo pour qu'il entre dans notre jeu. Je pose les yeux sur lui, à deux tables sur ma droite. Nos regards finissent par se rencontrer lorsqu'il relève la tête. Après quelques secondes, il baisse le menton, comme si je venais de le fustiger à distance.

Sa tristesse m'affecte de plus en plus. Depuis qu'il est à Northbury, il n'a plus rien du Lion de Glenwood. Il n'est plus qu'un chaton silencieux, reclus sur lui-même. Sa détresse me fait mal. Et sa vulnérabilité encore plus. Pour sa sécurité, il ne doit pas rester à Northbury. Quand cette histoire avec Hendrix sera terminée, je ferai mon possible pour le faire sortir d'ici.

J'ai perdu tout contrôle. S'il lui arrivait quelque chose, je sais d'avance que je finirai le reste de ma vie en QHS.


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant