Chapitre 25.4

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— À l'origine, l'écriture n'était qu'un simple exutoire. Des émotions et des pensées jetées par-ci par-là. Pendant un moment, je m'amusais aussi à écrire des histoires courtes en m'inspirant du passé des détenus que je connaissais. Mais je me créais surtout une autre réalité pour moi-même.

Cette confession à l'air de le surprendre. C'est pourtant ce qui m'a permis de ne pas sombrer dans la drogue ou l'alcool et de tempérer mes accès de colère. Le sport ne m'apportait pas cette évasion. Avant lui, j'écrivais de façon régulière. Une habitude saine qui a rempli une vingtaine de carnets en dix ans.

— Après l'assassinat d'Emilia, je me suis enfermé dans ma bulle. J'écrivais la version que j'aurais voulu pour elle et moi. Je ne mangeais plus, je commençais à changer. J'étais prisonnier de ma propre fiction. Dès que je me reconnectais à la réalité, la vérité me tuait un peu plus. Andres me répétait que c'était devenu une drogue, que ça me tuait à petit feu, et il avait raison. Peu de temps après, je suis tombé en dépression. Quand j'ai réussi à m'en décrocher et faire mon deuil d'Emilia, j'ai réécrit et terminé cette histoire en utilisant d'autres noms et d'autres physiques que les nôtres. Les personnages n'étaient plus nous, j'ai pu leur offrir une fin.

— Heureuse ?

— Douce. Paisible. Je leur ai laissé la liberté de choisir leur idylle par eux-mêmes, loin de mes lignes, dans leur propre monde. La suite de leur histoire leur appartenait.

Il me dévisage avec compassion. Au bout de quelques instants, il prend une lente inspiration.

— Est-ce que je peux te demander... ce qui est arrivé à celui qui l'a assassinée ?

Je fixe les lucarnes aux vitres blanchies durant de longues secondes.

— À ma sortie du trou, il n'est jamais réapparu.

— Donc tu l'as...

— Disons qu'il y a peu de chances qu'il soit toujours debout.

Il marque une pause avant de reprendre :

— Je... je comprends de mieux en mieux pourquoi tu es si... respecté.

Je baisse les yeux sur lui. Son expression crispée en dit long. Même son corps vient de se raidir contre le mien. Cette fois encore, le fossé entre nous se creuse. Je n'ai jamais caché à quiconque le fait que j'étais un meurtrier, au contraire. Dès le début, il avait le choix. Je ne l'ai jamais forcé à rien.

Ce qu'il ignore, en revanche, c'est le nombre réel de personnes que j'ai tuées. Et les raisons véritables du profond respect auquel j'ai droit.

Je tourne la tête dans un soupir blasé.

— Pourquoi tu ne me demandes pas directement si je l'ai tué ?

Il reste muet.

— Léo, je te parle.

— Oui...

Sa voix n'est qu'un murmure. Je le scrute avec attention, dans l'attente d'une réponse, mais après un court silence, il se redresse et se décale pour s'allonger sur son propre matelas. Je rêve ! Il me pousse à aborder le second sujet le plus difficile de ma vie, soulève une question qui se passe de réponse, tout ça pour ensuite m'éviter ?

— T'es sérieux, là ?

Il remonte sa couverture jusqu'au torse et tourne la tête. Une réaction qui m'agace au plus haut point. Comment peut-il me planter comme ça après m'avoir fait déballer ma faiblesse ?

— Léo.

— Je suis désolé, je n'aurais pas dû te demander.

— Mais tu l'as fait. Et maintenant, tu me fuis.

Toujours aucune réponse. L'irritation monte d'un cran. Je prends une profonde inspiration pour me calmer. Je ne dois pas m'emporter. Surtout pas après avoir évoqué ce sujet et, accessoirement, un potentiel second meurtre... Qui est-il pour m'accuser à travers son silence comme on le ferait pour un monstre ?

Oui, je lui en veux. C'est la deuxième fois qu'il me juge pour avoir vengé la mort des deux seules femmes que j'ai jamais aimées. Toutes deux ont été assassinées de sang-froid et de manière préméditée. Je ne regretterai jamais mes actes, et je me fous éperdument de ce que peut penser le reste du monde.

Cette société où les pervers et les criminels demeurent impunis, je lui crache dessus ! Et les hommes qui la maintiennent en place avec elle. Ma rancœur envers lui n'est pas près de disparaître.

— Tu sais quoi, reste dans ton coin, je m'en branle.

Je me place dos à lui.

— C'est juste difficile pour moi de... t'imaginer avec du sang sur les mains.

— Ça fait des mois que tu sais qui je suis. Ces mains pleines de sang ne te dérangent pas quand elles sont sur toi.

— C'est pas que... elles ne me dérangent pas, je suis juste...

Je me retourne, énervé, et me redresse.

— J'ai purgé quinze ans de prison parce que je suis un criminel ! J'ai tué des hommes et je les tuerais à nouveau sans la moindre hésitation ! Si tu n'aimes pas cette idée, quitte-moi tout de suite.

Il me fixe avec de grands yeux. Nos voisins se taisent dès que j'élève le ton. Le fait de ne pas pouvoir être seuls pour parler de notre relation me met encore plus les nerfs. Je dois me calmer, me calmer...

— Je ne te vois pas comme quelqu'un de mauvais...

— Quelle est ta définition de mauvais, Maître Pasquier ? Un homme jugé coupable par un petit groupe d'élus derrière une tribune ?

— Non...

— Tu es en sûr ?

Sa bouche se froisse. Même lui n'en sait rien. Si j'avais été un minot de dix-neuf ans, enfermé pour un crime qu'il n'avait pas commis, il n'aurait pas hésité une seule seconde à se ranger de son côté.

Il se redresse lentement et me dévisage comme si chacune de mes réactions pouvait enclencher une bombe. Savoir qu'à cet instant il me voit comme un monstre me fend le cœur. Je ne suis peut-être pas objectif, j'en suis conscient, et je connais mes défauts, mais je n'ai jamais obligé personne à m'aimer ni à rester près de moi.

Je suis un solitaire qu'une meute a trouvé. Je ne cherche la compassion ni la compagnie de personne.

— Rafael, tu ne penses pas que ces hommes auraient dû simplement finir leurs jours en prison ? Que leurs vies ne t'appartenaient pas ?

Les détenus autour de nous se braquent sur moi à ces mots et commencent à chuchoter. Je serre les dents, mon regard se noircit.

De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant