Chapitre 26.1

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Les hurlements des surveillants nous arrachent à notre sommeil. La gorge de Léo tremble contre mon nez lorsqu'il gémit en se réveillant. J'étais si bien dans ses bras...

Je me redresse et frotte mes yeux bouffis par les larmes. Dès le réveil, je me prends un pied dans le tibia. Les résidents du dortoir piétinent sans scrupules nos matelas pour se rendre à la salle de bain. Inutile de dire qu'ils sont pressés de nous voir partir. Les travaux d'isolation seront effectués aujourd'hui, si tout va bien, nous pourrons réemménager chez nous ce soir.

Debout devant moi, Léo choisit, dans un fouillis de vêtements, un uniforme propre avant d'aller à la douche. Je lève les yeux vers lui et il me renvoie un sourire compatissant.

— Tu viens ?

— J'arrive.

Le temps que j'émerge, Andres et Luiz l'ont rejoint. C'est au niveau des portes que Léo retrouve Ash, suivi de près par une partie de son gang. En le voyant échanger en toute tranquillité avec lui, je me sens soulagé. Malgré la présence de Davis dans le groupe, le fait qu'il soit avec Ash minimise les risques en mon absence. De plus, je doute que Davis lève à nouveau le petit doigt sur Léo. Il tient à sa vie. Je m'insère dans la file de détenus en m'étirant, mes affaires sur l'épaule. Cette nuit m'a mis à fleur de peau. Mieux vaut ne pas titiller mes nerfs, aujourd'hui.

Les vapeurs odorantes m'embaument dès mon arrivée dans la salle de bain. Je me poste au lavabo et me brosse les dents d'un geste machinal tout en cherchant Léo dans le miroir. Je l'aperçois à quelques mètres, en train de discuter avec Andres et Ash. Derrière ses manières de vieux bourru, je réalise qu'Andres apprécie de plus en plus mon petit ami. Ce constat finit de me rassurer.

Le temps de baisser les yeux pour sortir mon rasoir, Luiz s'est approché de Léo. Comment va-t-il réagir ? Rasoir en main, je reste en appui sur les lavabos, le regard braqué sur eux. Dès que Luiz tente d'enclencher la conversation, Léo sourit avec courtoisie et lui tourne le dos pour discuter avec Ash. Je lâche un pouffement amer. Si mon « frère » se fiche bien de notre amitié, mon petit copain, en revanche, sait tenir parole.

Je poursuis mon rasage tout en gardant un œil sur lui, puis m'essuie le visage, balance mes vêtements et ma serviette par-dessus la cloison d'une cabine et invite cordialement l'occupant à terminer sa douche. Celui-ci s'échappe en moins de dix secondes pour me céder sa place. Lorsque je vois Léo me chercher du regard et Luiz lui indiquer les douches communes, la rage me monte à la gorge.

— Léo !

Luiz perd sa contenance dès qu'il m'aperçoit et disparaît dans la masse. La leçon de la veille commence à faire son effet. Léo se dirige vers moi avec un air anxieux.

— Je l'ai évité, je te le promets...

— Je sais. Je t'ai vu.

Je l'attire doucement par le bras et l'entraîne dans ma cabine.

— Prendre une douche ensemble en public, tu es sûr que c'est sans risque ? s'inquiète-t-il en décrochant la serviette de ses hanches pour la jeter par-dessus la cloison.

— S'il y a quelqu'un qui peut se permettre ce genre de choses, c'est bien moi.

Je le positionne sous la pluie de la douche et sors le gel pour enduire son corps de savon.

— Eh, les deux pédés !

Léo sursaute et fige son regard derrière moi. Je me retourne sans me presser vers l'armoire à glace au crâne lisse qui nous fait face. Le type change aussitôt d'expression. Son visage passe d'hostile à lumineux.

— Oh, j't'avais pas reconnu, Martinez ! Allez, on se voit au p'tit déj' ! dit-il en me saluant d'un geste amical.

Je hoche la tête, placide, et il vire notre voisin de sa cabine avec tout le naturel du monde. Léo me dévisage, troublé.

— Cette autorité naturelle que tu as, j'ai toujours du mal à comprendre.

— Les histoires de chacun se répandent vite. Les nouveaux sont briffés dès leur arrivée par les anciens. Lui, c'est un ancien. Rien de compliqué.

— Certains nouveaux ne connaissent pas toutes les histoires...

Je vois bien qu'il tente de grappiller des informations sur mon passé, mais il y a des choses que je préfère ne pas lui révéler.

— Fais vite.

Après un massage savonneux de ses épaules sous la douche, j'entame la mienne tandis qu'il se sèche dans mon dos.

— Tu devrais faire ton autobiographie.

Je me retourne vers lui, le visage dégoulinant.

— Pardon ?

— Ton histoire personnelle, elle toucherait beaucoup de gens, j'en suis sûr. Et puis, ce n'est pas tous les jours qu'un beau détenu écrit un livre sur son expérience en prison.

— Un livre érotique me plairait beaucoup plus.

Je l'attire contre moi.

— Ah ! Tu me remouilles !

Il me repousse en souriant malgré lui et je lui assène une fessée avant de poursuivre ma douche. Moi, un auteur à succès ? Je n'ai pas le talent qu'il me prétend, mais je dois avouer que l'idée est plaisante.

La matinée se déroule sans encombre. Du moins, jusqu'aux environs de 10h. Un brouhaha inhabituel retentit depuis le coin des WC et une dizaine de détenus se brasse dans le couloir. Un homme sort de la masse en se couvrant la bouche, aussi pâle qu'un linge. Mon ventre se noue. Je reconnais cette agitation. Elle est toujours synonyme de mort.


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant