Chapitre 15

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PDV Léo

 

Après le travail, je pars m'échouer dans un coin de la salle commune, assis contre un mur pour observer les autres à l'écart de l'agitation. La journée s'est déroulée sans accroc, mais pas sans appréhension.

L'homme que j'aime va commettre un meurtre en bande, ce soir, je suis informé de ce meurtre et, bien entendu, je ne vais pas bouger. Je réprime un rire nerveux. Je n'ai plus d'avocat que le titre.

Depuis que je suis en prison, tout ce en quoi je croyais a été remis en question et la moralité n'est plus qu'une zone floue, nuancée par les actes d'humains traumatisés et torturés par la vie. La justice n'est-elle pas une compensation pour une blessure infligée ? Qui possède réellement le droit de s'emparer des sanctions ? Et où s'arrêtent-elles les limites pour les pires criminels ?

Si certains états autorisent la peine de mort pour ce genre de personnes, pourquoi des hommes concernés ne pourraient-ils pas se charger de cette peine afin de garantir la sécurité de la communauté et empêcher de nouveaux meurtres ? Mes cours de fac me semblent être un lointain brouillon de lignes insensées, déconnectées de la réalité et rédigées par des gens qui n'ont jamais vraiment souffert.

Je pousse un long soupir et laisse ma tête reposer contre le mur. Chacun irait de son avis, construit sur le fondement de son propre vécu.

Si l'on demandait le mien, je répondrais que ma conscience condamne ce meurtre. Si cet homme mérite une peine, c'est la perpétuité en sécurité maximale, sans plus jamais revoir la lumière du jour. Mais si je laisse parler mes sentiments, la réponse est tout autre.

Cet homme pourrait très bien m'arracher un organe en plein sommeil ou attaquer un autre jeune détenu sur une pulsion. Le supprimer aujourd'hui revient à nous protéger tous.

— Hey, Pasquier.

Je lève les yeux vers les trois ex policiers et les salue d'un hochement de tête avant de me relever.

— Comment ça va ?

— Je survis.

— Tu connais Hawk ? Le Python. Le patron des secteurs d'en face.

Je secoue la tête. Scott se rapproche de mon oreille.

— Tes compétences pourraient l'intéresser. Il négociait une conditionnelle, mais son avocat l'a planté.

Je hausse un sourcil.

— Il n'est pas le chef ici, en quoi ça m'intéresserait ?

— Martinez partira avant toi et Muggzy, le boss avant lui, s'est fait attaquer par Hawk.

Muggzy s'entend bien avec Rafael. Si ce Hawk s'en est pris à lui, je doute que me lier à lui soit une idée judicieuse.

— Personne ne peut régner sur tous les secteurs à la fois, dans une prison. Encore moins avec tout ce qu'il se passe en sous-marin.

— Si je te dis qu'il a des contacts un peu partout, reprend Scott, j'ai besoin de développer ?

Autrement dit, il peut monter un sale coup contre n'importe qui, j'ai bien compris. Je croise les bras.

— Pourquoi devrais-je m'afficher maintenant alors que tu m'as dit de devenir invisible ?

— T'es pas franchement doué pour rester discret, déplore-t-il avec un très léger sourire. Les choses évoluent vite, je te transmets ce que je sais. De ton côté aussi ça avance, on dirait...

Il se retourne de moitié en direction de Mateo, dont le regard est rivé sur nous. Depuis le banc, entouré du gang, il ne les quitte pas des yeux. Rafael l'a sûrement chargé de me surveiller. Autant ne rien dévoiler à personne, ma vie privée doit rester secrète.

Je garde le silence et me contente de dévisager Scott pour l'inciter à poursuivre.

— Bref. Si jamais, demande le surveillant Oliver pour parler à Portman, il te...

— Eh, bouffon !

Mateo les bouscule pour s'interposer entre nous.

— Tu fous quoi sur mon territoire ?

Les trois échangent un air contrarié, puis s'effacent dans la foule de détenus.

— C'est ça, tirez-vous, bande de lopettes. Ils voulaient quoi, ces trois connards ?

Je prends quelques secondes avant de répondre.

— Savoir comment ça avançait pour moi. Ils ont aussi remarqué que ma situation avait... changé.

Personne n'a à connaître mes plans. Un homme baraqué, noir de peau, s'avance vers nous.

— Diaz, qu'est-ce que tu branles avec ce blanc bec ?

— C'est pas moi qui branles, mon gros.

Le détenu nous fixe, puis s'esclaffe lorsqu'il comprend l'allusion.

— Eh, mec, on fait c'qu'on peut ! plaisante Mateo.

L'autre repart en riant. Je détourne un regard amer.

— Oh, Pasquier, c'est pour de faux.

— Excuse-moi, fais-je en m'écartant, mais j'ai eu ma dose pour la journée. A plus tard.

A Glenwood, au moins, je n'étais pas un simple bout de viande. J'étais haï pour ce que j'étais, certes, mais j'étais devenu respecté ; un peu comme à l'extérieur, finalement. Ici, les seules fois où l'on me regarde, c'est pour me traiter comme un objet ou un paria.

Je laisse un œil songeur traîner sur Scott alors que je monte les escaliers en direction de ma cellule. Déballer mon CV à Northbury... L'idée me plaît de plus en plus, mais elle comporte des risques. Glenwood me rattraperait et je serais fiché dans la foulée à cause de mon orientation. Mais si mon principal problème est mon homosexualité, ne puis-je pas remédier moi-même à cette rumeur ?

Mon esprit s'illumine. Je m'arrête et dévale les marches. J'ai un nouveau coup de fil à passer.


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant