Chapitre 6.2

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Mon sang ne fait qu'un tour. Je l'attrape par le col et les autres gangs se ruent vers nous. Je n'entends plus le vacarme ambiant, la foule qui se brasse autour de nous devient floue. Tout ce que je vois ce sont ses deux billes brillantes à travers les verres gras de ses lunettes.

— Martinez, me murmure-t-il, toi qui as vu son œuvre, me diras-tu si je suis assez bon artiste, à tes yeux ? Je veux que tu me compares...

Avant que mes poings ne se referment autour de sa gorge jusqu'à la mort, je suis saisi et tiré en arrière tandis qu'Hendrix se fait saisir par les surveillants. Des détenus d'un autre gang prennent ma défense auprès d'eux pour me préserver du trou, je les entends d'une oreille. Le monde ne se résume plus qu'à cet être infâme. 

Mes yeux dans ses yeux, les siens dans les miens, il lit déjà dans mes pensées. Son nom vient de s'ajouter à ma liste noire.

— Ne dis rien, Rafa, me chuchote Mateo, surtout ne dis rien...

Oui. Ne pas l'ouvrir. Ne pas proférer de menace devant les matons. Tout ça, je le savais par cœur, il y a longtemps...

Mateo et Diego me relâchent lorsqu'Hendrix disparaît derrière la porte, mais je reste figé dans le vide, aussi raide que le marbre. Les matons braillent quelques menaces sans que nul ne s'en soucie. Car les choses viennent de changer.

— Martinez... me lance un afro-américain d'un autre gang, accompagné d'un gars à lui.

Il approche lentement, les mains en l'air en signe d'inoffensivité, et me parle à voix basse.

— Est-ce que tu vas...

— En quoi ça te concerne, coño¹ ? grogne un de nos gars.

Je lève une main pour couper court à toute intervention des miens.

— Parle ou vas-t'en, Lewis.

— Hendrix, c'est le juge Nelson qui gère son dossier. Il... il va être transféré en psy...

Je braque un regard horrifié sur lui. Il ne peut pas refaire la même chose !

— Ecoute, quoique tu choisisses de faire, saches que j'ai des infos. Son passif, son C.V, des contacts qu'il a dehors... Je peux t'être utile.

— Comment je peux m'assurer de ta fiabilité ?

— Une camarade de ma fille... elle...

Je lis l'anxiété sur son visage. Pas besoin de développer. Il ne veut pas revoir ce type dehors un jour.

— Tout ce que tu sais d'ici ce soir, conclué-je.

— Martinez !

Un chef mexicain – Diego en plus grand – s'approche de nous d'un pas assuré.

— Je suis de la partie.

Quelques membres chez nous crachent par terre et profèrent quelques insultes entre leurs dents. Cette réaction ne manque pas de m'agacer

— Tu apporterais quoi ?

Le mexicain brandit ses poings, puis tapote sa combinaison orange pour sous-entendre des objets contendants.

— Je serai ton arme, moi et mes gars.

— Hombre, eres demasiado viejo para eso !²

L'un de mes membres vient de l'insulter et les autres ricanent. Mon sang bouillonnait déjà, il n'en fallait pas plus pour me faire péter un plomb. Je me retourne vers eux et me braque sur celui qui vient de l'offenser. Les rires s'envolent dans l'instant.

— Toi, tu insultes l'homme qui veut m'aider à neutraliser ce tortionnaire d'enfant ?

Ma voix est aussi calme qu'elle transpire la haine. Dans ces moments où ma rage est la plus contenue, tous savent que le responsable écopera d'une lourde peine. Je m'avance vers lui jusqu'à le faire retomber sur le banc. Son visage blêmit.

— Celui qui a parlé de ma sœur ?

— M-Martinez, je suis désolé, je pensais juste... e-est-ce qu'il pourra vraiment aider ?

Je me penche vers lui avec un air mauvais et articule :

— Tu n'es pas fait pour penser, Rodrigo. Et il n'y avait pas pire moment que celui-là pour ouvrir ta gueule. Excuse-toi auprès de Sanchez, avant que la sanction ne s'aggrave.

Il déglutit. Je m'écarte, il se lève et bredouille des excuses que le chef mexicain accepte de bonne grâce. Car ce comportement ne restera pas impuni, et il le sait. Il m'appartient aussi de corriger les miens.

Je balaye la cour du regard, à la recherche de nouveaux complices officieux. Quelques discussions secrètes (sans doute pour choisir qui restera à l'écart ou non), mais également des hochements de tête. Nous n'avons pas besoin d'être nombreux pour cet acte, mais plus il y aura de soutiens, plus notre plan sera sécurisé. Bien que, même sans grande vigilance, la plupart des matons fermeraient les yeux sur l'assassinat d'une telle ordure.

Je vais aller m'entretenir avec ceux que je connais bien, à ce sujet. Ce que je prévois de faire risque d'être un peu... bruyant.

— Ce soir, dans ma cellule. Vous connaissez la procédure. Faites tourner à qui vous savez.

Nous concluons tous les trois l'affaire sur un hochement de tête et les deux chefs de gangs repartent dans leurs groupes. Peu de temps après, les surveillants nous hèlent pour rentrer.

— T'es bien sûr de toi ? s'inquiète Mateo en se dirigeant avec moi vers les portes. Si y'a la moindre faille...

— Je sais pourquoi je suis sur cette terre.

Je tourne la tête et croise le regard écarquillé de Léo, encore choqué par ce qu'il a vu et entendu, puis reprends ma route.

— Ma propre vie importe peu.

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¹: "putain, bordel" en espagnol.

²: "Mec, t'es trop vieux pour ça !" en espagnol.


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant