Chapitre 5.2

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Je trouve Léo assis sur le matelas le plus proche du mur. Les couchettes du lit superposé sont occupées par le résident et le nouveau venu, un homme de la cinquantaine à la barbe négligée et aux traits émaciés.

Je me plante au milieu de la cellule.

— Barrez-vous.

Le résident ne met pas longtemps avant de refermer le livre qu'il lisait et de sortir pour continuer dans le couloir. Le nouveau, en revanche...

— J'ai dit barre-toi.

— Pourquoi ? J'suis bien là.

L'ancien lui gueule dessus depuis la porte pour le faire bouger (en ronchonnant) et ils quittent la cellule. Léo se lève à son tour.

— Pas toi.

Il se fige et me fixe avec de grands yeux brillants. Comme d'habitude, je lis tout sur son visage. L'anxiété, les émotions qui frétillent dans son ventre et qu'il tente de camoufler... Il se pince les lèvres. Je ne peux m'empêcher de regarder sa bouche, et de la désirer. Bien sûr, cette envie me ramène à la tromperie. Mon regard se durcit.

— Qu'est-ce qu'il y a ? murmure-t-il de sa voix de chaton.

J'inspire. Tout ce dont j'ai envie est de le prendre dans mes bras et de l'embrasser à pleins poumons. Une pensée qui relance l'irritation de la trahison.

— Puisque j'y suis obligé, grommelé-je, je dois te prévenir qu'ici, tu ne dois pas être toi.

— Pardon ?

— Tu ne dois pas l'ouvrir, dis-je sur un ton autoritaire. Tu ne dois pas parler de ton métier, ni même dire ton prénom et ton nom, si tu n'y es pas réellement obligé. Tu dois même éviter de dire que tu viens de Glenwood, si possible, et évidemment, bien évidemment, ne jamais parler de ton orientation ! Avec quelqu'un d'autre, je n'aurais pas eu besoin de préciser ces choses évidentes après un an d'incarcération, mais toi, t'es si inconscient que t'en devient suicidaire.

Ses yeux s'agrandissent. Il réfléchit tout en me contemplant avec ses belles noisettes, et je m'attends à une réaction offusquée. Mais il n'en est rien. Il froisse une moue affligée et acquiesce.

— Je ne comptais pas faire autrement.

— Vraiment ?

Sa discussion avec les trois détenus de tout à l'heure, durant le dîner, me revient en mémoire. De quoi ces types lui ont-ils parlé ?

— C'était qui, ces mecs ?

Ma question le fait blêmir. Je sens ma tension remonter. Un mot de travers, et je sens que je pourrais péter un câble. J'avance vers lui.

— Réponds-moi, je ne le répèterai pas.

Il recule au fil de mes pas jusqu'à ce que ses pieds butent contre le matelas. Lorsque je m'approche à quelques centimètres de son visage, ses yeux roulent sur les côtés pour m'éviter.

— Léo !

Son dernier pas en arrière le fait tomber sur les fesses, sur son lit. Il me regarde d'en bas avec son air de petit animal pétrifié. S'il a bien compris une chose, c'est la dangerosité de l'endroit où il se trouve, sinon, il m'aurait déjà envoyé balader, séparés ou pas. Mais ici, il est effrayé. Ici, il sait qu'il peut y rester. Alors, il se tait jusqu'à s'effacer. Ce silence aurait dû suffire à me prouver qu'il avait compris et à clore la discussion. Il aurait dû...

Je le toise de toute ma hauteur, partagé entre la rancœur, l'envie de lui hurler dessus et la manque que j'ai eu de lui pendant ces longs mois. Le désir, les sentiments, le besoin de le toucher... Je l'aime. Je l'aime à en crever. Et je lui en veux horriblement pour ça. Parce qu'à cause de lui, nous ne nous retrouverons jamais.

— Debout !

Il sursaute, mais reste tétanisé sur le lit. Son inaction m'agace, elle alimente mon instabilité. Avant, je l'aurais allongé sur le matelas, je l'aurais touché jusqu'à le faire gémir et peut-être même fait l'amour, entre une jalousie dévorante et une passion exacerbée. Mais aujourd'hui, je ne peux plus. Je ne veux plus.

Je me penche et l'attrape par le bras pour le relever et le plaque contre un mur. Mon regard noir s'ancre dans le sien, anxieux.

— Dis-moi qui ils sont, ou je te jure que...

— Que quoi, Rafael Martinez ?

Sa voix est plus assurée que je ne l'aurais imaginé. Je remonte une main autour de sa mâchoire pour lui relever le menton. Ce simple contact de nos corps proches l'un de l'autre suffit à me faire perdre mes moyens. Ma main autour de son visage, la sienne s'y pose dans un geste timide et incertain. La chaleur de sa paume, son souffle caressant ma main... Je déglutis. Cette fois, c'est moi qui suis pétrifié. Hypnotisé. Mes doigts se décollent très lentement pour goûter la peau tendre de son cou. Mon cœur fond dans un nuage de coton. Avec une grande précaution, il glisse ses doigts entre les miens et les relève à sa joue pour l'enfouir dans ma paume. Il y dépose un petit baiser, aussi léger qu'une plume. Ses lèvres frémissent. Il plonge un regard luisant dans le mien.

— Je t'aime...

Ces mots crèvent la bulle. Je retire brusquement ma main et abats une violente gifle sur son visage. Le geste est parti avant même que je ne le réalise. Ma bouche s'entrouvre, je suis choqué par ma propre réaction. Il relève la tête, la joue en feu et les yeux écarquillés, et me fixe, paralysé. J'aurais aimé lui dire pardon, l'acte n'était pas prémédité. Mais je n'en ai pas envie. S'il y a une chose qu'il méritait de ma part, c'était bien ça.

J'ai sacrifié ma liberté, pour lui, sans savoir combien d'années on allait m'ajouter. Si j'avais tué ce flic, j'aurais pu prendre perpétuité, selon ses relations. Demain, je pourrais très bien apprendre que l'on m'a collé dix ans de plus et que je sortirai après lui. Tout ça, par amour. Non, je ne regrette pas cette gifle.

— P-pourquoi ?

— Tu sais pourquoi.

— Mais non ! Je...

— Léo ! Plus tu feindras l'ignorance, plus tu m'énerveras et tu empireras la situation !

Il referme la bouche, déconcerté, et baisse la tête sans ajouter un mot. Il sait qu'il ne doit plus nier. Et je ne supporterai pas une minute de plus de le voir me mentir dans les yeux. Je siffle pour faire signe aux autres qu'ils peuvent revenir et m'écarte de lui. Je me débrouillerai par moi-même pour savoir qui étaient ces types.

Allez tout le monde, on inspiire, on expiree... XD


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant