Chapitre 34.1

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PDV Léo

  

— Tu es sûr que tu le veux ? Tu ne regretteras pas ?

— Tu as changé ma vie. Quoiqu'il arrive, je ne le regretterai pas.

Je sais que ce n'est pas la chose la plus judicieuse après ce que je viens de subir, mais je m'en moque. Cet acte est le plus important et nous avons moins de deux jours devant nous. Je décontracte mes muscles, assis par terre, et pose la tête contre le demi-mur d'un des WC.

— Donc poignet gauche pour tous les deux, Pasquier, répète Diego. T'inquiète, j'ai la main légère.

J'acquiesce et il plante l'aiguille dans ma peau. Le tracé à l'encre noire cisèle le dessin qui nous liera à jamais. Je grince des dents et balance la tête en arrière. Pourvu que le tatouage ne dure pas trop longtemps.

Je me concentre sur ma respiration et regarde Rafael, qui contemple le sien avec fierté. Il n'arrête pas de me le coller sous les yeux. Il faut dire qu'il est vraiment délicat pour un tatouage de taulards. Je comprends pourquoi ceux de Rafael sont si beaux et fins, même après tant d'années. Diego aurait fait un malheur dans un salon de tatouage.

Après de longues minutes, je peux enfin admirer deux têtes de loup et de lion aux ombres en pointillisme, unies par une rose. Derrière eux, deux barreaux fissurés. Je tends le bras et Rafael place le sien contre le mien. Nos yeux sont remplis d'étoiles.

— Tu es sûr que...

Je le coupe dans sa phrase en capturant sa bouche par un baiser passionné sous le regard attendri de Diego. Ce dernier tapote un peu de crème sur mon dessin et enroule mon poignet dans un ruban de cellophane qu'il a dégoté en cuisine afin de protéger nos tatouages.

— Eh, vous viendrez voir ce bon vieux Diego, quand vous sortirez ? Histoire de vérifier l'évolution des tatouages, voyez...

Je lui offre un grand sourire et tire son gros bras poilu pour l'enlacer. Diego se pétrifie. Je pense que le dernier câlin qu'il a reçu date de bien trop longtemps, et il sera peut-être le dernier, avec la perpétuité. Je le prends par les épaules.

— On viendra te voir, c'est promis. Si ça te dit, je prendrai aussi ton dossier en charge pour essayer de réduire ta peine.

Il ouvre de grands yeux surpris, puis hoche la tête avec une moue émue et se triture les doigts.

— OK, OK, Pasquier...

Je lui tapote le bras et m'en retourne à mon homme, qui me contemple avec le regard admiratif d'un chiot.

— On repart à nos cellules ?

Rafael approuve et m'aide à me relever.

— C'est comme si je t'avais vraiment en moi, maintenant, s'extasie-t-il.

— Mais tu m'as réellement. Et tu m'auras pour la vie, mon amour.

Je me retourne vers Diego, resté au milieu des WC à nous fixer, son matériel de contrebande déjà caché derrière une plaque de carrelage mural. Nous échangeons un doux regard et j'articule un « merci » qu'il accepte en levant une main timide.

Je pose la tête sur l'épaule de Rafael le temps de quelques secondes avant que les gardiens nous surprennent en flagrant délit d'amour. Parce que, depuis le début, c'est ça qui aura menacé nos vies. Nous aimer derrière des barbelés.

Après une marche lente jusqu'à ma cellule, je me réinstalle sur mon lit.

— Tu vas te muscler les bras et les épaules à force, fait Rafael en s'asseyant près de moi.

— J'aurais aimé le faire autrement. Et dire que je m'étais mis au sport...

— Tu pourras retravailler le haut du corps dès que ta jambe ira mieux. Il y a une salle d'entraînement à Gordon Valley.

Je détourne un air mal à l'aise.

— Je pense plutôt reprendre l'année prochaine. Mon cœur, tu sais, j'ai besoin de repos.

Il acquiesce sans comprendre mes raisons. Je vais devoir lui dire avant de partir, je le sais...

— C'est plutôt calme, aujourd'hui, côté gardiens.

— Ils sont en formation. Ce sont des intérimaires qui vont nous gérer, ce soir. Autant dire qu'on sera tranquilles.

— En parlant de ça, je n'ai toujours pas vu mon colocataire. Ce gars est si vieux que ça ?

Rafael ricane. Il se lève et se laisse tomber sur le lit d'en face.

— C'est moi, ton « vieux » colocataire.

— C'est toi ?!

— Oui. Ils t'ont dit vieux, mais c'était dans le sens « ancien ».

— Oh mon Dieu, c'est... tu es merveilleux. Si j'avais pu, je t'aurais sauté au cou.

— On va pouvoir avoir une dernière nuit ensemble, bébé, me sourit-il en me lançant un clin d'œil.

La chaleur me monte aux joues. Mais malgré ma joie, je ne suis pas serein.

Rafael descend manger à l'heure du dîner tandis que je bois une soupe en sachet sur mon lit, adossé au mur, l'oreiller dans le dos. Demain soir, à 21h, je serai en route pour ma future maison pour les cinq ans à venir.

Je repose mon bol tiédi entre mes cuisses et lâche un souffle de vapeur chaude. Un frisson agréable me parcourt. La fatigue et le revers des émotions me plongent dans une profonde torpeur, mais mes pensées agitées me maintiennent éveillé. 

A Glenwood, je savais que Rafael et moi allions nous retrouver un jour. Mais maintenant, je ne sais pas si demain sera le dernier jour de ma vie où je pourrai le toucher.

Je ferme les yeux. Je ne dois pas me concentrer sur l'échec. Pas tant que je suis avec lui.

Je me laisse aller à la rêverie de notre vie future. Nous sommes sur un banc à Central Park. Les flocons de neige tombent sur le lac gelé et fondent sur nos bonnets, alors que nous mangeons des beignets fourrés au chocolat dans le halo de nos souffles chauds.

Je ris de la bouche maculée de sucre en poudre et de chocolat de Rafael. Il tente de s'essuyer avec ses gants, mais ses lèvres sont toujours barbouillées. Je lui nettoie par de petits baisers humides et coups de langue avant de me faire attaquer par des chatouilles.

Je ris aux éclats, puis le repousse et me lève pour gratter de la neige dans l'herbe glacée afin de lui envoyer une boule de neige. Mais il me devance et m'attrape par la taille pour me soulever. Je me débats en le frappant dans le dos et il feint un coup fatal pour justifier de nous plonger dans une épaisse couche de poudreuse. Un gros tas de neige vole autour de nous.

Je me redresse au-dessus de lui avec une moue altière et affirme que je l'ai battu à plate couture. Bien sûr, il ment en me répondant qu'il n'avait aucune chance contre moi, mais il se vengera d'une autre manière.

Nos sourires malicieux se rejoignent dans un tendre baiser, face au lac blanchi, devant des passants que nous ignorons. Car aujourd'hui, nous sommes libres. Libres comme l'air.


De roses et d'acier (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant