Les détenus du secteur A et B braillent dans le réfectoire et un gardien doit frapper contre une table avec sa matraque pour faire baisser le niveau sonore. L'un des inconvénients de Northbury est que les hommes semblent mieux se connaître et que les informations se transmettent plus vite au sein des secteurs.
Je pars m'installer tout au fond, mais quelqu'un me dérobe la place au dernier moment pour s'assoir à côté d'un ami et je me retrouve planté au milieu d'une allée. Trouver une place, vite... Je réussis à m'immiscer à une table au centre du self, avec ceux qui vivent tranquillement dans leur coin. L'endroit idéal, pour moi. La nourriture dans mon plateau est toujours aussi peu appétissante, mais après une journée de dur labeur, je meurs de faim.
— Pasquier, c'est toi ?
Je relève le nez vers les trois hommes qui s'installent à mes côtés et en face de moi en poussant les autres.
— Ça dépend, c'est pour quoi ?
Ma réponse semble les amuser. Celui face à moi, un blond au tatouage de la US Navy sur le bras, affiche un sourire fraternel.
— T'inquiète pas, on est pas là pour te faire chier. En fait, on veut même te dire qu'on est là si t'as besoin de soutien.
— Et te dire merci. C'est grâce à toi qu'on a obtenu justice, ajoute l'Afro-Américain à ma droite, dont les bras font deux fois mes cuisses. Tu as enfermé le connard qui nous a collés ici parce qu'on a refusé de tremper dans ses magouilles.
Il ne me faut que quelques secondes avant de faire de lien avec Derek. J'ouvre de grands yeux. Ces hommes sont d'anciens policiers qu'il a fait jeter en prison pour ne pas avoir suivi ses ordres. Lorsque la dangerosité de leur présence ici atteint mon cerveau, je me lève de moi-même sans réfléchir.
— Vous... vous ne devez pas... !
Le métis à ma gauche pose une main sur mon épaule pour me rassoir.
— On dira rien, Pasquier. Quel intérêt on aurait à parler de toi ? Nous-mêmes, on reste discrets. Vu notre passif, on serait pas les plus appréciés...
Remarque pertinente. Je me rassois, quelque peu rassuré.
— Que savez-vous, exactement ? En restant implicite.
— En gros, ton CV pré et post-carcéral, répond celui de droite, et tes relations.
Il jette un œil discret en direction de la table de Rafael. Les choses sont claires, ils savent tout. Je suis bien content de les avoir à mes côtés, mais je reste tout de même anxieux. L'avantage est que je vais enfin pouvoir avoir quelques explications.
— Combien d'années il a repris ?
— N'importe qui aurait pris huit à dix ans de plus. Mais la situation étant spéciale à cause de Derek et des pourritures de Glenwood, c'est en cours de discussion. Et sa mère...
Le marine se râcle la gorge. Je hausse un sourcil.
— Sa mère ?
— Mieux vaut que tu n'en saches pas trop, ajoute-t-il pour clore le sujet.
La mère de Rafael a l'air de jouer une nouvelle fois les négociatrices. Mais pourquoi refuser de me parler d'elle ? Je dois leur soutirer un maximum d'informations.
— Expliquez-moi ce qu'il s'est passé à Glenwood, lorsque Rafael est descendu du Maine, murmuré-je. Vous le savez, n'est-ce pas ?
Ils échangent un regard tendu.
— On m'a emmené ici en même temps que lui, pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ce transfert ?
— Pas mal de gens t'en voulaient et t'avaient dans le collimateur. Je suppose que tu trouveras les réponses tout seul...
— Dites-moi au moins le minimum, s'il vous plaît, vous avez dit que vous m'aideriez... !
Le métis à ma gauche se lève sans un mot et quitte la table d'un pas pressant. Que lui arrive-t-il ? Les deux autres lui emboîtent le pas dans la foulée, l'oreille basse, et un trou se crée sur le banc chez mes voisins de table. Qu'ai-je dit de mal ?
Lorsque je relève le nez devant moi, je comprends. Depuis sa table, Rafael me fixe droit dans les yeux. Comme s'il avait creusé un couloir entre les détenus à la seule force de son aura. Je regarde autour de moi. Tout le monde s'est retourné et me dévisage.
Je baisse la tête et enfouis les mains entre mes cuisses. Des murmures s'élèvent, les gens parlent. Moi qui ne devais pas attirer l'attention... Que dois-je faire ? Si je quitte la table maintenant, je me ferai encore plus remarquer...
J'affronte à nouveau son regard, toujours ancré sur moi. En voyant sa noirceur, mon cœur se serre et le chagrin se mêle à l'angoisse. Je lui renvoie toute ma peine à travers des yeux scintillants, dans l'espoir qu'il décrypte l'incompréhension et la tristesse qui me hantent, tel qu'il a toujours su le faire. Malheureusement, en ce moment, je ne sens plus que la froideur d'un mur d'acier impénétrable.
Pourquoi me hais-tu, mon amour ? Pourquoi cette haine que tu vouais aux autres m'est-elle destinée, aujourd'hui ? J'ai besoin de savoir pourquoi... Une enclume s'abat sur mon cœur. Mon menton retombe. Les autres n'ont plus aucune importance, en cet instant.
Je récupère mon plateau sans y avoir touché, quitte la table sous les regards inquisiteurs et reprends le chemin de la cellule. Ce qui me fait le plus souffrir, ce n'est pas la peur, c'est de ne plus le reconnaître. Et de le voir me haïr. L'homme que j'ai aimé, existe-t-il encore ?
VOUS LISEZ
De roses et d'acier (MxM)
Romance🔞Léo Pasquier est un jeune avocat français téméraire et audacieux. Il est victime d'un complot qui le conduit à l'incarcération dans une prison new-yorkaise et se retrouve brisé par ceux qui règnent sur cet enfer. Un homme se démarque toutefois au...