Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

TREPAS, ME VOICI(juin 846)Livaï

Je les quitte avec un poids sur le coeur. Les cris des civils ne m'atteignent qu'à peine. Je suis concentré sur les possibles conséquences de ma décision de les laisser livrés à eux-mêmes... Tout est envisageable et dans la situation actuelle, rien n'est prévisible. Je dois faire ce qui me semble juste et efficace. Et mon instinct me dit que je dois me rendre à l'avant car les titans vont être nombreux là-bas. Ceux-là vont suivre les explorateurs dans les bois, mais la tête de file doit rester à découvert afin de guider la colonne.

Je dois les rejoindre avant que ça tourne mal. Et c'est au moment où je formule cette pensée qu'un fumigène fuse dans le ciel. Des déviants, sur le flanc droit. Ca tombe bien, je vais par là. Autant m'en occuper.

Je redouble l'allure et ma jument se jette de nouveau courageusement en avant. Ton coeur est aussi solide que le mien, tu galopes depuis si longtemps... Il faut pas que tu me lâches...

Je longe le flanc droit et cherche des yeux les cibles à abattre. Des recrues sont déjà parties à l'assaut. Ils tournent autour de trois titans qui se rapprochent de la cohorte avançant au pas de course. Ils vont pas y arriver, c'est à moi de jouer. En tout cas, ils ont pas peur ; si on avait eu plus de temps, ceux-là auraient vraiment été de bons soldats.

J'entends des voix m'acclamer, hurler mon nom tandis que j'approche, les pieds sur ma selle. Les contours de mes cibles sont bien nets, j'ai aucune chance de les manquer. Je peux même tenter une double élimination. Ces jeunots ne peuvent pas se rendre compte de cette opportunité, pas assez de métier... Je décolle dans un jet de gaz mesuré, puis accélère quand j'arrive à moins de trois mètres. Les recrues les occupent, et ils ont aucun moyen de me voir arriver, un jeu d'enfant. J'aligne les nuques de ces saletés, balance mes bras et taillade en tournoyant les deux premiers qui se présentent. Je me rétablis en l'air, plante mon grappin dans le troisième et tire sur mon câble pour me jeter sur lui. Il a à peine le temps de se retourner que c'est déjà fini. Son corps vient s'écraser au sol, éparpillant une nuée d'explorateurs volant autour de lui.

Ils ont pas encore le truc pour atterrir sur leurs selles. Certains se posent à terre pour remonter à cheval depuis le sol. C'est hyper dangereux, mais j'ai pas le temps pour un cours magistral. Je passe entre eux pour leur dire de se grouiller - perdez pas votre temps à me saluer, putain, on a pas que ça à faire ! - et m'assure que personne n'est resté en arrière. Y'en a un qui se tient la jambe en grimaçant. Si t'es blessé, mets-toi dans la file, tu risques de gêner les autres. Il obéit et disparaît dans la foule.

Je compte les survivants. Il y'en a six dans ce secteur ; seuls les vétérans se sont dirigés vers la forêt, ceux-là ont d'autres ordres. Il était inévitable qu'ils se battent. Je suis vraiment surpris qu'ils soient encore si nombreux... Mais je ne peux pas rester avec eux. Un type aux cheveux roux se met à chevaucher à côté de moi et je sens son regard planté dans mon épaule. Il me demande si j'ai des ordres pour eux.

A part survivre, je vois pas quoi vous ordonner de plus. Vous vous êtes débrouillés jusqu'à maintenant, donc si vous arrivez à contenir les ennemis ici, vous pouvez encore tenir un moment. Il m'informe alors que nos réserves de matériel diminuent. Je vais aller me ravitailler au prochain chariot. N'y allez pas tous ensemble, relayez-vous. Cela économisera vos ressources. Il suffit d'un coup bien placé pour tuer un titan ; plus vous serez nombreux, plus vous risquez de vous gêner et de vous blesser entre vous. Etudiez la situation, situez le meilleur angle et la meilleure distance avant d'attaquer. Restez calmes, ne vous précipitez pas. Le terrain est dégagé, vous avez le temps de voir venir. Une bonne partie d'entre eux a suivi les autres dans la forêt. Ils s'arrangeront pour que ceux qui vous poursuivent fassent de même. Vous n'avez que ce secteur du flanc droit à protéger.

Il me demande si je reste avec eux. Non, j'ai à faire au sud. Et il y a d'autres équipes à épauler sur la route. Vous devez vous gérer. Si les choses sont pas catastrophiques à l'avant, je repasserais par ici bientôt. Tâchez de rester en vie jusque là. La journée est loin d'être finie.

Je m'éloigne alors vers la ligne d'horizon, incertain de ce que je vais croiser sur mon chemin. Je ne me sens pas fatigué, mes sens sont parfaitement aiguisés, et il y a comme une force qui me pousse en avant.

Quelque chose de très puissant m'attire dans cette direction, une puissance contre laquelle je ne peux rien, et à laquelle je me dois de céder, quoi qu'il m'en coûte.