Je secoue la main pour faire tinter les piécettes que j'ai réussi à obtenir depuis ce matin. Cela attire un autre passant qui me jette quelques sous en m'offrant un regard plein de désarroi. Il sait que je vais devoir y aller, moi aussi.
Adossée au mur du marché, j'observe les citoyens faisant leurs courses, avec une fausse insouciance. J'ai l'impression de ne plus faire partie du monde des vivants, de leur monde coloré et mouvant. Mes vêtements sont encore en bon état, je n'ai pas vraiment l'air d'une miséreuse, mais les trous que je n'ai pas dans ma robe, je les ai dans le coeur et l'âme.
Il y a un an, j'étais dans ma belle maison, lisant un livre dans mon fauteuil préféré... Le soleil jetait de beaux rayons par ma fenêtre et le vent agitait les géraniums sur le rebord... Je me souviens de tout parfaitement... avant que le monde ne bascule dans l'enfer. J'entends encore les cris de mon Gero... Oooh mon petit est vivant, au moins !...
Nous n'avons rien emporté. Nous, les gens de la campagne, nous ne déposons pas notre argent dans des banques, nous gardons tout auprès de nous. Gero et moi vivons de charité depuis ce jour, faisant l'aumône la journée dans les lieux publics, rentrant la nuit dans un refuge parfois différent de la veille. Il ne dit jamais que son père lui manque, il veut faire l'homme solide devant sa maman... mais je l'entends quand il pleure la nuit.
Je n'avais pas imaginé vivre une telle vie... Je me sens si démunie, si nue, dépouillée même de mon humanité... Certaines personnes sont gentilles avec nous, mais je vois le plus souvent de l'animosité et du dédain dans les regards qui se posent sur nous. On sent que nous gênons, que tout le monde préfèrerait que nous soyons ailleurs, ou même morts. Est-ce qui nous attend ?
Non, pas mon Gero. Il est heureusement trop jeune pour être obligé de partir. Mais pas moi. Je vais devoir retourner en enfer pour retrouver mon foyer. Malgré ma peur, je me dis que c'est la seule chose utile que je peux trouver à faire. Il n'y a pas assez de travail pour tout le monde à Trost, trop de réfugiés et trop peu de refuges ; certains districts refoulent les survivants en leur interdisant l'accès... Si je peux au moins essayer de reconquérir notre territoire... mon petit retrouvera sa maison. Même s'il doit marcher sur le cadavre de sa mère pour ça...
Je l'imagine, en guenilles, à la merci du premier malfrat venu, fuyant dans les rues de la ville, quelques pièces en poche... Versant dans la criminalité pour survivre... Le visage coupé, tailladé par les règlements de comptes, les bagarres, les revanches, les trahisons... Je ne veux pas de ça pour lui ! Je dois tout tenter pour lui éviter cet avenir ! Quelle mère serais-je si je ne le faisais pas ?!
Je n'ai jamais eu de problème pour le laisser livré à lui-même à la campagne, parmi nos champ et nos bêtes. Mais ici, je suis toujours inquiète quand il part dans un autre quartier demander la charité. C'est lui qui insiste pour le faire, mais je le regarde toujours partir avec tracas. Il peut lui arriver tant de choses ! Ces villes n'ont rien à voir avec notre petit village où tout le monde se connaissait ! Même moi, je ne me sens pas en sécurité. Je ne crains pas trop les citoyens résidents dans la ville, mais il n'est pas rare que les réfugiés s'agressent entre eux pour quelques sous récoltés...
Que fait Gero ? Il devait me rejoindre au premier coup de cloche de quatorze heures mais il n'est pas là... J'entends le cinquième retentir et mon coeur bat plus vite en ne le voyant pas venir... Pourvu que... Non, le voilà. Je reconnais sa petite silhouette sautillante débouchant du bout de la rue en face. Il a l'air bien joyeux ! Il saute dans les flaques d'eau de la dernière pluie en éclaboussant tout autour de lui et les passants s'écartent sans le réprimander. Heureux enfant ! Que cela me réjouit de le voir encore si insouciant ! Combien de temps cela durera-t-il ?...
Il se dirige vers moi et je me lève pour l'accueillir. Il exhibe alors sa récolte et je constate que ses poches sont presque pleines. Tu as eu plus de succès que moi ! Comment t'y prends-tu ? Il me révèle alors que faire des cabrioles attire beaucoup plus de gens généreux que rester assis à ne rien faire. Tu fais le saltimbanque ? Et bien, si cela marche, tant mieux ! Ne vas pas te casser quelque chose, s'il te plait, nous ne pouvons pas payer un médecin ! Il me fait son plus beau sourire où manque une dent de devant et m'annonce qu'il a faim.
Moi aussi j'ai un petit creux. Avec ce que nous avons, nous pouvons sans doute nous acheter du pain frais. Je le roulerai dans un pan de ma robe pour le garder en état. Un peu de charcuterie aussi, peut-être... Mmmh, je ne sais pas, c'est trop cher d'habitude... Nous n'avons jamais été dans le besoin auparavant, notre production agricole nous faisait vivre confortablement, mais depuis un an, j'économise le moindre sou. Gero a encore du mal à s'y faire...
S'habituera-t-il à l'absence de sa maman ?...
Je n'ose pas lui dire en face, il ne comprend pas réellement ce que signifie cette expédition de reconquête. Quand je lui en ai parlé, il a seulement retenu que sa mère retournait prendre possession de leur maison. Il parait avoir oublié les titans, ou alors il fait semblant... Je ne lui ai pas avoué que je n'imaginais pas revenir. Je veux le quitter en lui laissant cet espoir de me revoir, aussi longtemps que possible. Il a demandé à venir avec moi, cependant, cet amour... Il a eu l'air triste quand je lui ai dit que ce n'était pas possible...
Je veux passer le plus du temps qu'il me reste avec lui. Je ne le verrais pas grandir, je le sais. Alors je le mange des yeux, imprimant dans mon esprit son image afin de l'avoir avec moi jusqu'au bout. Tandis que nous nous dirigeons vers le marché, Gero me demande si je vais partir avec le caporal Livaï. Oui ! Bien sûr qu'il sera avec moi ! Tu sais à quel point il est fort, il nous a sauvés ce jour-là ! C'est un ange du ciel ! Rien ne pourra m'arriver s'il est là ! Il ramènera ta maman, ou il l'emmènera au ciel avec lui...
Gero s'arrête et me demande pourquoi je parle d'aller au ciel. Je m'agenouille devant lui et le serre dans mes bras. Ne fais pas attention... Maman ne sait pas trop ce qu'elle dit. Tu dois faire confiance au caporal, au major Erwin et à tous les explorateurs.
Ils sont les seuls à pouvoir te rendre ta maison... s'ils ne te rendent pas ta maman...
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Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]
Fanfiction(LISEZ LES TOMES 1 et 2 AVANT !!) L'histoire de Livaï comme vous ne l'avez jamais lue. Le personnage le plus populaire de L'Attaque des Titans, le soldat le plus fort de l'humanité... Qui est-il vraiment ? Qu'a-t-il dans le coeur ? Qu'est-ce qui a f...