UN PARFUM DE CULPABILITE(juin 846)Claus Emmerich

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Il n'y a pas un bruit autour de moi

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Il n'y a pas un bruit autour de moi. De l'autre côté de la vitre, je regarde les gens passer dans la rue, insouciants et pressés, tandis que je reste là, assis - non, rivé à ce fauteuil - me sentant totalement séparé d'eux pour toujours. Mes yeux ne peuvent s'empêcher de se fixer sur les pieds agiles, les jambes musclées, en imaginant toute cette merveille d'ingénierie qui compose le corps humain...

Ma main se crispe sur ma cuisse, mais je ne peux me résoudre à baisser les yeux. On m'a parlé de douleur fantôme, mais je ne dois pas correspondre aux statistiques. Je ne sens plus rien du tout à cet endroit, dans cette zone vide de mon pantalon qu'on a laissé tomber au lieu de l'agrafer. Comme si cela pouvait me faire du bien... Je ne sens absolument rien, comme s'il n'y avait jamais rien eu là. Et c'est cela qui me fait souffrir. J'aurais voulu avoir mal, sentir ma chair lacérée, mes muscles déchirés, juste pour pouvoir dire que je n'ai pas toujours été un infirme. J'aimerais la douleur physique pour qu'elle cesse d'être dans mon cerveau...

Je me souviens à peine de notre retour. Juste des cahots de la route sous ma tête. La voix du caporal-chef donnant des ordres... Le bruit de la herse qui s'ouvre. L'odeur des draps propres de l'hôpital de Trost... Mon coeur battait fort quand j'ai repris connaissance. La première chose que j'ai vue, c'est Nadja transportée sur un brancard. Elle avait les yeux ouverts et je l'ai appelée. Aucune réponse... Je me fichais de mon état. Je voulais juste savoir si elle allait bien. On ne m'a rien dit...

Quand le médecin m'a annoncé que j'avais eu de la chance, que mes camarades avaient fait les choses au mieux pour m'éviter la gangrène, j'ai eu envie de rire. Je pensais "qu'est-ce qui pourrait être pire que ça ?" J'ai failli m'évanouir de nouveau en comprenant que je n'avais plus qu'une jambe. Le temps s'est arrêté, je me suis dit que je rêvais, que cela ne pouvait pas être vrai... Que je devais être mort dans l'estomac de ce titan et que tout était faux. Je l'ai cru pendant un moment. Et puis mes parents sont venus.

En les voyant, un choc brutal m'a ramené à la réalité. Les larmes de ma mère étaient réelles, le visage défait de mon père ne l'était pas moins... Tout ceci avait eu lieu, pour de vrai. J'étais devenu un infirme. Je me suis recroquevillé sur moi-même dans mon lit, et j'ai pleuré. Discrètement, après qu'ils soient partis. Ils m'ont dit en reniflant que le courrier du bataillon les assurait que j'aurais une pension confortable, qui m'assurerait un train de vie jusqu'à ma mort. Je n'ai rien compris de tout ça. Tout ce que je voulais, c'était retourner dans mon régiment...

Je ressasse tout ça dans ma tête encore aujourd'hui. Je n'ai rien d'autre à faire de toute façon. On ne m'a pas laissé voir Nadja... Aucun de mes camarades n'est venu me voir. Cela ne fait qu'une semaine, mais tout de même... Ils... ils devraient venir ! Je dois leur parler, je veux qu'ils m'expliquent ce qui se passe ! Je suis un explorateur ! Je suis pas fait pour rester là à compter les passants !

Je suis en train de me chauffer tout seul, dans ma petite chambre, quand j'entends la porte grincer. Avide de voir quelqu'un, je me retourne sur mon fauteuil et fixe l'entrée. Une petite silhouette dans un long manteau militaire se glisse dans la pièce. Elle a un bouquet de fleurs dans les mains. C'est mon supérieur. Celui qui m'a "sauvé la vie"... Celui que j'ai toujours admiré et espéré égaler un jour...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant