Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

ON NE DOIT PAS COMPTER SUR UN MIRACLE(juin 846)Gratia Heilwig, médecin en chef

Je me lave vite les mains et me tourne vers mon prochain patient quand une clameur retentit dans le bâtiment. On nous ordonne de lever le camp, déjà ?! J'ai encore des blessés à soigner ! Je crois avoir trop surestimé le temps qu'il nous restait. Mais refermer des plaies, recoudre des crânes et replacer des articulations, cela prend du temps ! Et encore, ils n'étaient pas si nombreux que ça à avoir besoin de soins.

Je suis stupéfaite du chemin parcouru, je m'attendais à des ennuis beaucoup plus tôt. Le major a choisit une voie optimale pour nous éviter le plus de morts possibles, et cela a bien marché jusque là. Le second tronçon risque d'être plus dangereux... Je regarde autour de moi en sortant de l'hôpital de campagne et remarque que le bâtiment a déjà été bien évacué. Les chariots vont pouvoir sortir sans gêne et reprendre place dans la file.

Mes aides placent les plus invalides dans les véhicules, en espérant pouvoir continuer les soins sur la route. Je vais devoir superviser tout ça de loin. Nous devons vite évacuer, dépêchez-vous ! Non, Nadja, tu en a assez fait, va rejoindre ton escouade. Si ton supérieur apprend que tu traînes près des blessés, il va se retourner contre moi, et tu sais comment il est ! Tu m'as très bien épaulée ici, mais c'est à moi de jouer maintenant. Tu vas avoir ton comptant de défis à relever de ton côté. Nous nous reverrons plus tard.

Elle s'éloigne alors afin de récupérer son cheval, et j'accompagne le dernier chariot hors du bâtiment. J'entends des cris résonner entre les maisons, des "les titans arrivent !" tonitruants mais pas encore paniqués. Ils doivent être assez loin, autrement le major nous aurait pressés davantage. Mais c'est pas une raison pour s'attarder. Nous rattrapons la légion de civils et glissons les chariots au centre. Les rangs de soldats ont repris leurs postes, dans une discipline parfaite. L'escouade des infirmiers est placée au plus près des véhicules, prête à intervenir si quelqu'un tombe ou se blesse.

Je marche au pas près du chariot de queue. J'ai une vue imprenable sur la cité de Valburga, et tandis que nous nous éloignons, j'aperçois au loin des titans qui commencent à réinvestir les lieux. Ils doivent sentir notre odeur... A la première occasion, je balance un signal afin que l'escouade d'élite se ramène par ici. Ils vont nous filer le train, ça ne fait aucun doute. Le problème, c'est qu'il y'en aura aussi sans doute devant. Un scénario catastrophe me vient en tête ; je nous imagine cernés dans toutes les directions, submergés et incapables de faire face...

Nous ne sommes pas censés combattre mais si ça tourne ainsi, je serais obligée d'y aller. Cette perspective ne me déplaît pas, cela fait un moment que j'ai envie de jouer un peu avec eux moi aussi.

Une voix m'interpelle sur ma gauche. Une petite bonne femme essaie d'attirer mon attention. Je me rapproche afin de savoir ce qu'elle veut. Elle indique du doigt une jeune femme à quelque pas, qui avance péniblement, en se tenant le ventre. Il me suffit d'un coup d'oeil vers son abdomen gonflé pour comprendre ce qui se passe. C'était à prévoir, statistiquement, on ne pouvait pas y couper. Je presse l'allure, me place à côté d'elle et lui prend le bras. Elle se redresse un peu et je constate alors que le travail va commencer. Elle doit monter à bord. Les hommes autour m'aident à soulever la future mère et nous parvenons à la faire grimper.

Aussitôt, on l'allonge sur un tas de linges, la tête bien calée contre un sac. Je reste à cheval à côté, donnant des conseils à ceux qui se trouvent autour d'elle. Et son homme, il est où ? C'est son enfant qui va naître après tout. Ah, le voilà. Il vient de se rendre compte que sa femme n'est plus à côté de lui. Montez avec elle, et essayez de la calmer. Il faut qu'elle contrôle sa respiration, ses contractions seront moins douloureuses. L'homme se met à gémir que c'est de sa faute, que cela n'aurait pas dû arriver, pas dans ses conditions, et qu'il a peur pour elle. Vous pouviez pas deviner ! Arrêtez de vous plaindre et prenez vos responsabilités ! Naître sur un champ de bataille, c'est pas l'idéal, c'est clair ! Mais votre enfant va arriver, alors faites au mieux !

La bonne femme m'informe qu'elle a déjà mis au monde des veaux et des agneaux et qu'elle pense pouvoir gérer la situation. Comment vous vous appelez ? Helma ? Bien, dans ce cas, occupez-vous d'elle, grimpez là-dedans. Parlez-lui, faites en sorte qu'elle panique pas. Je sais pas combien de temps ça lui prendra... Si ça devient compliqué, je viendrais vous aider, même si mes connaissances en la matière sont limitées. Aussitôt, Helma écarte la robe de la jeune femme, glisse un oeil entre ses jambes, et je décide alors de m'éloigner.

J'espère que ça ira vite parce qu'accoucher au milieu des titans, c'est sans doute la pire chose à vivre !