L'INSOUCIANCE NE S'IMPROVISE PAS(septembre 846)Sofie Maja

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Je soulève la bâche et jette un oeil à mes bébés encore une fois

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Je soulève la bâche et jette un oeil à mes bébés encore une fois. Aaah, dans quelques instants, vous allez changer de main ! De bonnes, croyez-le ! Mais ça va me manquer de plus vous bichonner après le travail à la mine...

Je me sens parfois stupide de parler ainsi à mes créations mais cela m'a toujours fait me sentir moins seule. J'exclue pas de faire des enfants un jour, mais ceux-là en tout cas sont bien les miens. Enfin, pas entièrement... ils ont une autre "maman" qui les attend. Je pense qu'elle sera ravie du résultat. Ah, nous approchons du QGR.

Il faut vraiment avoir une audace insensée pour penser que ça permettra un jour de ramener des titans vivants à étudier. Il n'y a que Hanji pour ça ; le major Erwin est aussi un visionnaire mais il manque de fantaisie. Heureusement qu'elle est là pour le secouer un peu ! Elle lui apporte ce grain de folie nécessaire. Je voudrais pas non plus que ça l'amène à trop d'imprudence. Je pense souvent à ce qui se passe quand ils sont de l'autre côté des Murs, face aux titans... Je me pisserais dessus à leur place, sans rire... Ils font tant pour nous, et avec tant de courage...

Le moins qu'on puisse faire c'est leur fournir le meilleur matériel. On s'en moque, des autres régiments, papa a raison. Les explorateurs méritent le top du top. Ils sont les seuls à s'intéresser vraiment à comment fonctionne ce monde de fous. Et il faut des fous pour y arriver, non ? Hanji en sera, et je serais fière de l'avoir aidée.

Elle ne sait pas que je viens avec la cargaison, ainsi que nos deux bijoux. Ce sera une surprise. Nous franchissons l'arche de la cour et la carriole vient se garer près des écuries. Je saute à terre, pas fâchée de me dégourdir les jambes. Je ne vois pas d'explorateur... enfin... j'entends le bruit d'un balai raclant le sol. Je pénètre dans la pénombre du bâtiment et l'odeur agréable des chevaux flotte autour de moi. Je regarde à droite et à gauche et aperçois une silhouette étrangement pâle et comme lumineuse qui fauche le pavé couvert de paille à l'autre bout.

Est-ce un explorateur ? Je l'interpelle et il lève le visage vers moi. Je me dirige vers lui et constate qu'il porte les ailes de la liberté. Bonjour ! Il hoche la tête sans répondre. Malgré son mutisme, il a l'air sympathique. Je voudrais voir un gradé, le capitaine Hanji. Elle est là ? Le ravitaillement est arrivé. Il hoche de nouveau la tête silencieusement, pose son balai contre le mur et se précipite dans la cour. Se précipiter, c'est un grand mot. Il est lui-même si grand qu'il n'a pas besoin de se hâter pour parcourir très vite la distance nécessaire. Il semble presque glisser par terre, comme s'il lévitait... Drôle de personnage ! Je devrais être habitué avec le bataillon ! Il n'a pas prononcé un seul mot mais je suis sûre qu'il a compris et est allé chercher Hanji.

Je me pose sur un ballot de foin et mâchonne une brindille en attendant, les pieds dans le vide. Le conducteur de la carriole est allé prendre une collation au mess. J'aime le goût du foin, c'est celui de la bonne terre de la surface. Moi, je vois surtout celle du dessous, et le soleil me manque parfois. Le foin a le goût du soleil, de la terre et du bon air. La vie devrait toujours avoir ce goût là. Si je pouvais être un cheval dans une autre vie, je me goinfrerai de foin tout le temps !

Un pas pressé claque sur le pavé et je saute sur mes pieds en souriant. Je l'attends, bien campée, les mains sur les hanches ; sa fine silhouette sautille à travers la cour d'une façon tout à fait familière. Eh ! ce n'est pas raisonnable après ce qui t'est arrivé ! tu devrais te ménager ! Elle me saute au cou en me remerciant encore de lui avoir sauvé la vie. N'exagère pas, j'ai fait ce que je pouvais. Le major a été très réactif. Ca a l'air d'aller, en fait.

Je l'écarte et fais le tour d'elle pour regarder son allure. Elle confirme que l'hôpital militaire de Trost a fait du très bon travail, elle ne sent presque plus de tiraillement sur sa cicatrice. Je comprends vite qu'elle veut se débarrasser de ce sujet et aller sur un autre. Elle se doute bien que si je suis venue en personne avec la livraison, ce n'était pas pour rien ; je quitte rarement la capitale, si ce n'est pour rentrer à la maison de temps en temps. Ses longs doigts fureteurs se promènent déjà sur la bâche... Minute, ma grande ! Sois pas si pressée ! Nos bébés font leur entrée dans le monde ! Attention !... ... TADAAM !!

Je tire la bâche d'un coup sec et le soleil vient frapper le métal poli et le bois verni. Hanji pousse une exclamation formidable et se met à rougir comme une gamine devant une friandise ! Elles te plaisent ? C'est la dernière version. J'ai collé au plus près de tes derniers plans. J'ai ajouté d'autres lanceurs de câbles, il y'en a dix en tout sur chacun, ce qui fait vingt. Avec ça, tu vas pouvoir carrément les immobiliser au lieu de juste les agripper. Tu pourras aussi viser des gabarits supérieurs, mais ce sera à toi de tester sur le terrain, je peux pas le faire moi-même. Le système de fixation au sol a été revu aussi.

Elle fait le tour de la carriole en se frottant les mains, les lunettes brillantes et les cheveux en pétard. Bon, ça a l'air de te convenir ! On parlera du prix plus tard. Je te cache pas que ça m'a coûté un peu plus que prévu... Elle m'annonce que Smith lui a alloué un budget plus important pour ses recherches et qu'elle tapera dedans. Parfait ! Il te prend enfin au sérieux ! Tu vas pouvoir les utiliser à votre prochaine sortie peut-être. Faut lui en parler. Nos bébés ne vont pas dormir ici longtemps, ils veulent se mesurer aux titans !

Elle hoche la tête frénétiquement et m'entraîne vers le mess après avoir caressé avec amour l'objet de notre collaboration. Je rabats la bâche dessus et la suis. Un verre serait pas de refus. Je ne vais pas repartir tout de suite, j'optimise mon déplacement, j'ai des clients pour la guilde à voir. Oui, le ravitaillement est succinct cette fois, le major a spécifié que la dernière expédition n'avait pas trop entamé vos réserves de matériel. Autant économiser.

On se pose devant une chope de jus de pomme et je lui demande des nouvelles du régiment. Le caporal te fait toujours la vie dure, dis-moi ? Elle répond en sirotant qu'il a pas le temps en ce moment car il forme sa nouvelle escouade, il est donc souvent dehors. De nouvelles recrues ? Exceptionnelles, je suppose ? Hanji me répond que je ne crois pas si bien dire, que ce sont des spécimens à part, presque aussi fascinants que des titans. Wouaah, tu dis pas ça à la légère, hein ? Ils ont quoi de spécial ?

Elle me dit qu'elle ne sait pas encore très bien mais qu'elle a procédé à des analyses physiologiques rapides et qu'elle a déjà détecté des choses étranges. Elle fera d'autres expériences plus tard. Des analyses physiologiques, carrément ?! A quoi ils ressemblent, ces phénomènes ? Elle m'explique alors des trucs auxquels je comprends pas grand chose, mais quand elle se met à me les décrire, je crois m'y retrouver. J'en ai vu un déjà ! Celui que j'ai envoyé te chercher, c'est un de ces jumeaux mystérieux ? C'est vrai qu'il avait un drôle d'air... Il ne parle pas ? C'est pas un peu ennuyeux, sur le terrain ? Elle m'assure que le caporal va se débrouiller. Si tu le dis...

Je veux surtout que tu prennes soin de toi et que tu commettes pas d'imprudence avec ces machines. Te laisse pas déborder par ton insouciance, tu sais que ça peut mal finir. Je veux qu'on me ramène le résultat de leur utilisation, pas ton cadavre. Le caporal a parfois raison de te canaliser. Elle fait la moue en protestant.

Promets-moi de revenir, c'est tout, et si ça tourne mal, tu galopes vite jusqu'ici ! Je te ferais de nouveau toutes les captureuses que tu voudras ! En encore mieux !

Elle continue de siroter son jus de pomme en me scrutant par dessus le rebord de sa chope. Avec Hanji, on sait jamais vraiment où on va. Il faut être très résilient pour servir sous ses ordres, je sais même pas si j'en serais capable. J'ai confiance en elle, mais... il y a toujours cette part d'imprévisibilité un peu folle qui guide chacune de ses actions.

Des fous pour comprendre un monde de fous... Quoiqu'on fasse, nous autres simples citoyens, on sera jamais à leur hauteur... et on comprendra peut-être jamais vraiment qui ils sont.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant