UNE PERSONNE IRREMPLACABLE(octobre 845)Gratia Heilwig, chef-médecin

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J'ordonne à mon assistante de rassembler le matériel qui sera emporté avec nous en expédition

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J'ordonne à mon assistante de rassembler le matériel qui sera emporté avec nous en expédition. Elle place sur la table des bandages, des seringues, des scies à amputation, des attelles... Je coche sur ma liste les éléments présents et les place dans une caisse spéciale ; elle sera chargée sur le chariot de réappro. Je sais que c'est un peu tôt et j'ignore combien nous serons, mais en cas de besoin, je peux augmenter la quantité.

Nous devons encore ajouter les anti-inflammatoires, les anesthésiants, les sérums... Mon assistante se met à leur recherche et j'entends un bruit de verre brisé. Attention, cela coûte cher ! Un flacon en moins peut signifier la mort d'un soldat ! Elle s'excuse platement mais je dois bien avouer que la présence de Nadja me manque...

Je n'ai pas de nouvelles d'elle, mais je suppose qu'elle se porte bien. La vie dans l'escouade d'élite doit être bien plus exaltante qu'ici. Pourvu qu'elle soit prudente car je ne tiens pas à la retrouver sur un lit de souffrance... Bah, avec le caporal, cela devrait aller, elle est bien entourée.

Pendant que je formule cette pensée, une silhouette se découpe dans l'entrée de l'hôpital et quand les rayons du soleil cessent d'agresser mes yeux, je distingue le caporal Livaï, qui se dirige vers nous à pas mesurés. Quand on parle de l'ours, il se montre... Il se tient le côté, on dirait qu'il est blessé. Caporal, quel honneur de vous voir ici ! Avec votre santé de fer, c'est si rare ! Vous savez que vous avez des examens à faire avant la sortie ?

Il fait semblant de ne pas avoir entendu et me demande si je n'ai pas un remède contre les maux de dos. Vous avez mal au dos ? Le meilleur remède c'est le mouvement. Vous devez manquer d'entraînement... Il répond qu'il est obligé de rester assis longtemps en ce moment car il prépare les feuilles de route avec le major. Je vois. Je dois avoir une pommade quelque part, à appliquer. Sinon, vous pouvez aussi tenter de vous faire masser, ça marche bien aussi.

Je le fais patienter tandis que je retourne en réserve chercher ce qu'il lui faut. Ma jeune assistante est toute rougissante et n'ose pas sortir de la pièce. Ca va, calme-toi, il ne va pas te manger. Il ne bouffe que des titans. Donne-moi ce pot de pommade à côté de toi. Elle me le tend en tremblant et je retourne dans la pièce où m'attend mon patient. Je l'observe un peu et mon oeil expert se rend compte bien vite qu'il n'est pas comme d'habitude. Il semble nerveux et plus fatigué que d'ordinaire ; il se tient le flanc comme s'il avait un point de côté mais je me doute que c'est son dos qui doit le faire souffrir. Ses cheveux sont négligés, lui qui prend si soin de sa petite personne en général... Je le trouve aussi plus... fluet.

Ce n'est qu'un pré-diagnostic mais je dois pousser plus loin pour m'assurer de son état de santé. J'ai alors une idée. Je pose le pot de pommade sur une étagère hors de sa portée et le toise un moment. Il réclame son dû mais je l'arrête d'une main. Vous devez passer quelques examens avant ça. Un de vos subordonnés m'a appris que vous ne vous portiez pas très bien et je pense qu'il ne mentait pas. Caporal, il faut vous faire examiner. C'est plus prudent avant l'expédition.

Il rouspète et me dit qu'il n'a pas le temps. Nous nous connaissons depuis un moment maintenant, ne faites pas votre timide. Le major vous pardonnera votre retard s'il apprend que vous êtes en bonne santé. Venez dans la pièce à côté, je vais vous ausculter.

Il rend les armes, comprenant bien que j'aurais le dernier mot, et me précède dans la salle de consultation. Je me saisis de son dossier rangé dans un tiroir avec celui des autres, puis je tire le rideau afin de nous isoler des autres lits, et lui demande de se déshabiller. Il ronchonne dans sa barbe mais obtempère. Je remarque que le nombre de ses cicatrices à augmenté, ce qui n'est pas étonnant, mais je constate aussi comme un affaissement général de sa silhouette. Mmh... bizarre, il est pourtant encore jeune. Bien, montez sur la balance, caporal.

Il s'exécute. Je manipule les poids afin de l'équilibrer et constate alors qu'il a perdu des kilos. Quand je le lui annonce, il répond avec l'air surpris que c'est impossible car il a dû manger plus que de raison à la réception de Darius Zackley. Je veux bien vous croire mais la balance ne ment pas. Je tourne les pages de son dossier et trouve une confirmation. C'est bien ça, vous êtes retombé au poids que vous aviez à votre entrée dans le régiment. A l'époque, vous étiez légèrement sous-nourri et manquiez de vitamines. Comment l'expliquez-vous ?

Il répond de façon évasive qu'il n'a pas faim en ce moment et qu'il se sent nerveux pour une raison qu'il ignore. Mmh, je vois... et le sommeil, toujours pareil, quelques heures par nuit ? Il acquiesce et je ferme son dossier. Je lui demande de s'assoir sur le lit et je sors mon stéthoscope. Je plaque le pavillon sur son torse, écoute son coeur. Il bat anormalement vite. C'est moi qui vous fait cet effet, caporal ? Allons, nous avons dépassé ce stade d'intimité depuis un moment...

Il grogne au-dessus de ma tête, puis je me redresse afin d'examiner ses yeux, sa bouche, ses oreilles, bref je lui fais passer l'examen général auquel il a réussi à échapper jusqu'à maintenant. Je dois dire que je suis perplexe, vous ne m'avez pas l'air malade. Cependant, on dirait que vous avez un peu de tension. Vous n'en avez jamais fait jusque là. Quelque chose a-t-il changé dans votre vie, récemment ?

Il me révèle qu'il se sent anormalement faible mais que cela passera. Faible, vous ? Je vous ai toujours vu comme un phénomène de la nature, je n'oublierai jamais à quelle vitesse vous avez récupéré de votre blessure à la tête. Vous dites que vous vous sentez faible ? Une anémie peut-être ? Une carence en fer ? Je vais mesurer ça. Non, pas de piqûre, rassurez-vous, contentez-vous de soulever le bureau, là-bas.

Le meuble, en chêne massif, doit peser pas loin de soixante-dix kilos ; un homme normal ne pourrait que difficilement le porter seul, mais je sais que le caporal devrait en être capable. Nu comme un ver, il se dirige vers le bureau, se baisse et essaie de le remuer. Je n'en crois pas mes yeux, il n'y arrive pas ! Je m'approche pour mieux voir comment il s'y prend, et je constate qu'il ne fait pas semblant, il peine réellement à soulever ce meuble qu'il devrait porter sans problème à bout de bras !

Et bien, caporal, on dirait que votre force surhumaine s'est débinée ! L'armée humaine risque de ne pas s'en remettre ! Encore un mystère médical ! Vous devez avoir une idée de ce qui se passe ? Il revient s'assoir sur le lit, le visage rougi par l'effort, et me dit qu'il n'en sait rien. Vraiment ? Ecoutez, je vais quand même vous prescrire un cocktail de vitamines. C'est inquiétant, le major devrait être mis au courant...

Au mot "major", le caporal sursaute et un éclair de compréhension semble traverser ses yeux gris. Je le laisse se rhabiller, mais je lui fais tout de même une injection d'anti-inflammatoire pour ses douleurs articulaires ; je lui remets aussi des pilules qui devraient lui redonner un coup de fouet. En sortant, je lui donne enfin le pot de pommade qu'il était venu chercher.

Dernière recommandation : une bonne nuit de sommeil avant la sortie. Il grommelle que le major lui dit ça à chaque fois lui aussi. Il a raison. Et à l'occasion, dites-lui de passer me voir, que je lui fasse ses examens. Et revenez dans une semaine, que je puisse constater les améliorations. Il hoche la tête et s'apprête à partir.

Ah, et passez le bonjour à Nadja de ma part.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant