Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

UNE PERSONNE IRREMPLACABLE(octobre 845)Mike Zacharias

Repos, les gars ! Vous avez bien bossé.

Les soldats se laissent tomber le cul par terre, soufflant et transpirant, dans un désordre total. Je leur fais faire des exercices depuis plus de deux heures et il faut bien avouer qu'ils l'ont bien mérité. Je leur ai montré la discipline que l'on attend lors d'une expédition, mais aussi l'entraide ; à l'extérieur, sur le territoire ennemi, nous devons nous écouter, nous observer et travailler ensemble. Ces jeunes-là n'avaient que la théorie, ils ont la pratique maintenant.

J'ai mis en place des entraînements d'escalade afin de leur inculquer ça. Encordés les uns aux autres, ils ont dû se coordonner afin d'arriver au sommet de la façade du QGR. Des civils étonnés se sont arrêtés pour nous regarder, et des bureaucrates mécontents ont ouvert leurs fenêtres pour nous engueuler, mais ça a rajouté un peu de mordant à l'exercice. Je suis sûr qu'Erwin aurait approuvé.

En y pensant, sa période de vacances est bientôt finie. Livaï n'a pas révélé un jour précis pour son retour, pas sûr qu'il y en ait un. Mais Erwin aura respecté sa part du contrat s'il ne rentre pas avant demain. Je me demande s'il s'est vraiment reposé, ou s'il n'est pas venu nous espionner en douce... Bah, on l'aurait sans doute débusqué.

Pendant que je raccompagne les gars aux dortoirs, j'aperçois Hanji qui court d'un bout à l'autre de la cour avec une pile de livres serrés contre elle. Elle me rentre presque dedans et je dois sauter de côté pour l'éviter. Doucement, ma grande, les élèves vont pas se tirer ! Elle annonce en soufflant qu'elle a mis à jour la documentation sur les titans et doit aller la ranger dans les salles de cours théoriques afin que les explorateurs puissent les lire. Donne-moi ça, où tu vas nous faire un syncope

Je prends une moitié des bouquins - ils sont tous neufs et fraîchement imprimés - et lui demande comment elle s'en sort. Elle répond que c'est galère, qu'il y a trop de choses à faire et qu'elle préfèrerait se concentrer sur ses recherches. Eh ! pas facile d'être dans la peau d'Erwin, hein ? Il a toujours été un homme sur-occupé, capable de se diviser en huit, même quand Shadis était encore à son poste. A l'école, c'était un tel bourreau de travail qu'il aidait aussi les profs ! Il m'a fait mes devoirs un bon paquet de fois, haha !

J'aime me dire que je suis le seul dans le régiment à connaître Erwin depuis si longtemps ; je l'ai vu grandir et se construire petit à petit jusqu'à l'homme qu'il est aujourd'hui. Il ne s'est jamais laissé abattre par la mort de son père, et n'a jamais perdu sa curiosité pour le monde extérieur, même si avec l'âge il s'est un peu renfermé. Nous sommes tous deux entrés dans le bataillon à la fin de notre adolescence car il voulait absolument terminer ses études - il avait quinze ans et moi dix-sept -, et lors de notre première expédition, nous avons perdu pas mal de monde... Cela l'a marqué, et depuis il ne prend plus rien à la légère à ce niveau-là.

Je l'accompagne jusqu'aux salles d'étude. Les élèves attendent en rang devant la porte. La plupart sont des explorateurs qui viennent d'arriver, mais quelques gardes curieux participent aussi de temps en temps. Ils doivent se dire que vu ce qui s'est passé, on est pas à l'abri et qu'il vaut mieux en apprendre un maximum sur nos ennemis.

Hanji et moi entrons dans la pièce et posons un exemplaire du nouveau livre sur les titans - par Hanji Zoe, est-il écrit sur la couverture - avant de ressortir pour faire de même dans les suivantes. Nous pénétrons dans la prochaine et découvrons Livaï, en train de faire le ménage. Foulard sur la tête et sur la bouche, serpillère dans une main et chiffon humide dans l'autre, il se met à nous crier d'une voix étouffée par le tissu de ne pas faire un pas de plus. Je vois que le sol est mouillé...

Ok, nabot, on repassera. Mais au fait... ça va toi ? On te voit plus beaucoup, et Moblit m'a dit que tu avais mauvaise mine. Il revient vers l'entrée sur la pointe des pieds afin de me répondre, abaisse son foulard et je vois bien qu'il est pas dans sa meilleure forme. Hanji continue afin de déposer ses livres et je reste près de Livaï, attendant qu'il s'exprime. Apparemment, le boulot administratif d'Erwin l'épuise totalement, et il avait bien besoin de faire de l'exercice pour se débloquer le dos. C'est pas que ça, t'as l'air amaigri ou je rêve ? Le dîner chez Zackley était si bourratif que tu as décidé de cesser de manger ?

Il répond qu'il n'a pas d'appétit. Mmh... faut que tu retrouves ton poids de forme avant la sortie. Oublie pas que tu es un exemple pour tous les jeunes. Si tu es pas bien pendant l'expédition, tu pourrais commettre des erreurs. Il rétorque que cela va mieux depuis quelques heures car Gratia lui a donné des médocs. T'as jamais été malade depuis que je te connais... C'est plutôt bizarre tout de même. Lire et signer des papiers en boucle est si éreintant ? Il dit que le bureau et le fauteuil d'Erwin ne sont pas bien adaptés à sa taille, que ça doit être pour ça. Mouais...

Hanji revient vers nous et nous supplie de pas parler trop fort au risque qu'on soit découverts. T'inquiète, y a personne dans le couloir. Au fait, comment vous vous y êtes pris pour cacher l'absence d'Erwin ? Moi, j'ai pas eu trop de mal, car même s'il monte les exercices, ce n'est pas lui qui les mène habituellement.

Livaï me dit qu'il ferme la porte à clef avec un panneau "ne pas déranger" et fait semblant de parler à quelqu'un, en imitant parfois la voix d'Erwin au cas où des oreilles indiscrètes traîneraient. Eh bien, tu t'amuses ! Mais tu dois bien laisser rentrer des gens ? Quand cela arrive, répond-t-il, il essaie d'être dans le canapé ou occupé à compulser la bibliothèque, prétend que Erwin est sorti et prend le message. Et toi, Hanji ? Elle a sans arrêt prétexté des sorties du major à droite à gauche pour diverses choses, mais on a pas arrêté de lui poser des questions, et elle a bien cru devenir folle. En plus, les tâches du major sont barbantes, selon elle.

Courage, c'est bientôt fini. Tu ne sais pas quand il rentre, Livaï ? Il secoue la tête négativement mais se doute qu'il reviendra bientôt. Imagine qu'il ait prit goût à ses vacances et qu'il décide de prolonger, on aura l'air fins ! Il répond qu'il ira le chercher par la peau des fesses. Je vois, un peu de congé, mais pas trop tout de même ! Je devine qu'il a hâte qu'Erwin revienne.

Bon, les gars, dispersion ! Je vois du monde qui arrive et on a des tas de trucs à faire encore aujourd'hui !