DANS LE DOUTE, ABSTIENS-TOI(juillet 846)Ada Barrett

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J'attrape mon plateau et me mets en quête d'une table un peu à l'écart

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J'attrape mon plateau et me mets en quête d'une table un peu à l'écart. Les rangs du régiment ne sont pas encore reconstitués, ce n'est donc pas difficile de trouver un peu de solitude à l'heure du dîner. Je ne peux pas m'empêcher de jeter des regards autour de moi à chaque fois, comme si quelqu'un m'observait. Mais non, personne ne fait attention à moi ; il faut dire que j'ai veillé à ne pas me faire d'amis depuis que j'ai été mutée. Ce serait mauvais pour mes affaires...

Cette tambouille est vraiment aussi désagréable qu'on le disait dans la garnison. Je regrette nos repas à la caserne... Les explorateurs ont vraiment droit à ce qui se fait de plus mauvais en terme de nourriture. Mais c'est pas non plus comme si j'avais le choix. Alors j'avale la mixture à peu près liquide dans mon assiette en me disant que mon mari et mes enfants peuvent aussi se remplir l'estomac en ce moment grâce à ce que je fais.

Je continue de maudire le jour où tout a basculé pour moi. Je me suis mise toute seule dans ce pétrin, et je dois assumer, comme je l'ai toujours fait. Mais toute cette injustice me met en rage à l'intérieur. Je ne me sens pas liée à tous ces types qui pensent que mourir pour l'humanité est un objectif héroïque. Ils n'ont pas de famille à charge pour la plupart. Je ne peux pas penser comme eux.

Je suis soldat depuis mon adolescence. C'est suite à une rixe dans un bar que j'ai rencontré Charly. Il m'a tout de suite tapé dans l'oeil, avec son air effronté de faux mauvais garçon, et j'ai compris que je ne pourrais plus me passer de lui quand il a commencé à occuper toutes mes pensées. Ca affectait même mon boulot. Trouvant ça intolérable, j'ai pensé que le mieux était de lui demander de m'épouser. Ca fera dix ans cette année... Je touille mon potage froid et me dis alors que tout s'est passé en un éclair.

Ca n'a pas été facile de mener mes deux grossesses avec mon travail à la garnison, mais on s'en sortait finalement. Mon salaire nous faisait vivre en grande partie, et Charly travaillait sur des chantiers un peu partout dans le Royaume. Ce n'était pas très bien payé mais nous manquions rarement de quelque chose grâce à notre débrouillardise. On était une bonne équipe ; j'aime penser que nous le sommes toujours, même si...

Je n'arrive plus à me mentir sur le goût infect de cette saloperie, et je pose ma cuillère, décidée à ne plus en avaler. De toute façon, je n'ai plus faim. Je lève les yeux de mon assiette et scrute un peu le réfectoire. Personne ne se dirige par ici. Tant mieux, je vais pouvoir ressasser mes problèmes tranquille encore un peu... Je sais que c'est mauvais pour mon moral d'y penser constamment, mais je ne peux pas faire autrement. Je n'en reviens toujours pas de notre malchance...

Charly a eu un accident. Tombé d'un toit, qu'on m'a dit. Il ne fallait pas compter sur une indemnisation à vie. On a vite grignoté le budget... Les médecins ont coûté cher, tout ça pour me dire que mon Charly serait infirme le restant de ses jours... Je suppose que n'importe quelle autre femme se serait effondrée en pleurant, mais ça n'a jamais été dans mon tempérament ; il ne m'aurait pas épousée sinon. J'ai juste retroussé mes manches, assuré des gardes de nuit et des missions dangereuses dans l'espoir de gagner un peu plus. Je ne rentrais pas tous les soirs, et avant que je m'en aperçoive, mes petits avaient bien grandi.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant