Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

DANS LE DOUTE, ABSTIENS-TOI (juillet 846)Mike Zacharias

J'ai la nette impression d'être suivi depuis quelques minutes.

J'en ai fini avec le camp d'entraînement de Karanes et je m'apprêtais à retourner à l'auberge quand la sensation d'être observé est devenue évidente. On a tous cet espèce de sens inné qui nous permet de deviner lorsqu'un regard insistant est braqué sur nous, et le mien est sollicité en ce moment. J'essaie de déterminer la position de mon fileur en faisant en sorte de ne pas en avoir l'air, pour ne pas l'effrayer. Ses activités m'intéressent, et je voudrais bien m'en informer avant de m'en débarrasser...

Je marche d'un pas nonchalant dans les rues de la ville, en ce début d'après-midi ensoleillé, n'essayant pas de me fondre dans la foule - ce qui serait difficile étant donnée ma stature de toute façon -, restant au contraire bien en vue et cherchant une place dégagée avec peu de cachettes pour tenter de débusquer mon poursuivant. Je fais mine de reluquer des vitrines, fixant en vérité les multiples reflets louches qui passent sur la surface en verre, et je crois cette fois distinguer quelque chose. Là, à l'angle de cette rue, une tête se tend de derrière le mur et semble m'observer, avant de se cacher précipitamment. Elle reste dissimulée quelques secondes puis refait une apparition, restant cette fois à découvert, comme si l'homme tentait en vérité d'attirer mon attention.

Il a compris que je l'ai repéré ? A sa mise, je vois que c'est un soldat. Tout comme moi, il a son uniforme réglementaire, son harnais de manoeuvre ; à part ça, il a un physique très passe-partout. Mais son attitude trahit sa nervosité. Il danse d'un pied sur l'autre, dans l'attente de quelque chose. Que je me dirige vers lui, peut-être ? Il n'y a qu'un moyen de le savoir. S'il m'échappe, je pourrais toujours tenter de voler sur les toits pour le rejoindre.

Je me retourne et le regarde directement. Il sursaute, et fait brusquement demi-tour derrière le mur. Pas de ça, jeune homme. Je ne vais pas te laisser filer. Je suis sûr que tu as des choses intéressantes à me dire. Je me précipite vers l'angle de la rue, et observe les alentours. Ma proie disparait - avec une lenteur qui semble calculée - au coin d'une autre ruelle un peu plus proche du centre de Karanes, et je prends une inspiration. Ce comportement m'interpelle. C'est comme si il voulait que je le suive... ou alors je me fais des idées. Mais mon instinct me met en garde. Je place mes mains près des poignées de mes épées et me dirige avec précaution vers le passage étroit où il a disparu.

Le soleil est soudain masqué par l'écran des toits formant presque un dais au-dessus de moi. Hmm, difficile de décoller d'ici, ça me paraît un endroit bien choisi... Je scrute le bout de la ruelle et vois mon fileur détaler rapidement, comme paniqué. Mais je ne suis pas dupe. Je sais ce qui va arriver.

Ceux qui vont me tomber dessus ne savent pas ce qui va leur arriver, par contre.

Comme de juste, un groupe d'hommes aux visages dissimulés par des foulards déboulent tout autour de moi, bloquant les deux sorties du piège dans lequel ils pensent m'avoir enfermé. Je distingue quelques lames brandies, et des rires narquois. C'est tout ce que vous avez ? Qu'on en finisse alors.