LA LIBERTE COMMENCE OU FINIT L'IGNORANCE(mars 846)Claus Emmerich

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La corvée de patates est finie, je vais pouvoir me rentrer

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La corvée de patates est finie, je vais pouvoir me rentrer. Je sens plus mes doigts... A voir tout ce que j'ai épluché, pas de doute qu'on va en bouffer tous les jours ! Enfin, je devrais pas me plaindre, certains n'ont même pas ça...

Je sors de la cambuse et jette un oeil dans la cour. C'est la fin d'après-midi, y a moins d'activité. Quelques soldats discutent par petits groupes dispersés. Je lève les yeux et contemple un moment les nuages dont les formes bizarres semblent envoyer des messages ; comme s'ils reflétaient ce que j'avais dans la tête.

Je me sens patraque, pas motivé... On a toujours aucun retour de notre expédition ni de ce que ça a donné. Le caporal ne nous dit rien du tout et affirme que lorsqu'il devra nous révéler la suite, il le fera. Lui aussi est en attente je pense. Et puis il y a les trucs qu'on dit dans notre dos... J'entends sans arrêt les gardes nous insulter par derrière, comme quoi on serait bons qu'à faire du spectacle et à rien d'autre... C'est vraiment frustrant ! J'ai eu plus d'une fois envie de leur envoyer mon poing dans la gueule pour leur apprendre le respect ! Mais je savais qu'en devenant explorateur, je m'exposerai à ça.

Notre dernière sortie les a peut-être impressionnés mais son utilité m'échappe encore. J'espère vraiment qu'on le paie pas pour rien ! Si Smith est vraiment si... Hé !

Je sursaute en sentant une main se poser sur mon épaule ! Je me retourne vite et constate que c'est Nadja. Je ne l'avais pas vue depuis un moment... Je me demande si c'est elle qui nous évite ou l'inverse... Y a un peu de tension en ce moment. Je veux dire, depuis l'autre jour... On a tous eu un peu peur de ce qui se passait et personne n'a su comment réagir après ça. Nadja s'est donc mise à part pour pas nous perturber. Mais je préfère savoir qu'elle est là.

Je la détaille des pieds à la tête. C'est toujours elle, elle a pas changé. Y a juste de la tristesse dans ses yeux. J'aime pas la voir comme ça... Je lui prends la main, la retourne et lui demande si tout va bien. Elle répond à peine, en regardant par terre. Hé, remue-toi ! C'est vrai que c'est mou en ce moment mais faut rester en forme ! On ne sait jamais quand... Laisse-moi deviner, t'as essuyé des remarques aujourd'hui ? Des autres régiments ? Moi aussi, chaque fois que j'en croise un, ils me prennent pour un clown. On a pas la cote, c'est clair. Mais faut pas leur donner le plaisir de voir que ça nous touche, non ?

Elle relève la tête et approuve. C'est bien ! Tu... tu veux faire quelque chose, aller quelque part ? Il reste quelques heures avant le coucher du soleil, on pourrait, je sais pas... Elle m'interrompt et me supplie d'arrêter de faire semblant de rien. Tu veux dire... ? Ah, tu parles de ça ? C'était rien, déjà oublié ! Tu as filé un coup de main, c'est tout ! Ok, je dois bien avouer que c'était un peu... effrayant - elle lève les sourcils à ce mot - quand j'ai vu le chariot se soulever comme ça. Je dois bien admettre... mais finalement, c'était pas si impressionnant, je t'assure !

Nadja me demande de confirmer que je le pense vraiment. Evidemment ! Je vais te le prouver. Tu penses quoi d'un petit duel à mains nues ? Je me sens bien de te montrer à quel point ta force n'a rien d'extraordinaire. Et puis je dois passer mes nerfs sur quelqu'un, et tu me sembles de taille ! J'essaie d'oublier la douleur dans mes doigts pour paraître convaincant... On peut aller derrière, près des écuries, les autres pipelettes nous verront pas. Elle prend son temps avant d'accepter. Nous nous dirigeons donc vers le bâtiments des chevaux en espérant que plus personne ne s'y trouve.

Parfait, c'est désert. Je m'échauffe un peu, me masse le cou, saute sur place et me mets en position, comme on nous l'a appris durant la formation. Nadja ne tarde pas à m'imiter et je constate de nouveau qu'elle est un tout petit peu plus grande que moi. Je l'asticote pour l'amener à attaquer la première. Allez, je suis sûr qu'il y a rien dans tes bras !

Elle amorce un geste pour frapper ma tête, mais avec très peu de force. T'économise pas, vas-y à fond ! Je rétorque par un crochet vers sa mâchoire mais elle tient sa garde bien serrée et me contre avec ses bras. Pas mal mais tu m'auras pas ! Je lui file un coup de pied dans les tibias et pendant un instant elle semble vaciller... Heu, je t'ai pas fait mal ?... Elle en profite pour me balancer un poing dans l'estomac et mon souffle se coupe un instant. Ouf ! c'est ça, ouais ! Attends un peu...

Nous continuons notre joute ainsi pendant un certain temps, sans que Nadja ne semble donner le maximum. Je la soupçonne de vouloir se dissimuler de nouveau. De mon côté, je me ménage pas, mais elle a quand même le dessus. Je dois me rendre à l'évidence, elle est plus forte que moi. Si ça continue, elle va me coucher sur la paille, exactement comme elle l'avait dit, haha ! Je sais même pas si ça me déplairait... Voyons si j'y arrive pas, moi. Je saisis une ouverture et la frappe au côté ; elle titube un peu, mais se remet vite et le plat de sa main vole vers ma tempe. Je vois trente-six étoiles... J'attrape sa veste par réflexe pour pas tomber, mais c'est finalement ce qui se passe.

Et on s'écroule tous les deux par terre, pas dans la paille, mais sur le pavé dur qui me fait mal aux coudes.

Nadja reste penchée sur moi un moment, l'air surprise, et je la laisse faire. Elle est vraiment jolie dans cette lumière... J'espère que tu auras pas de bleus ! Putain, je suis vraiment nul pour parler aux filles ces derniers temps... Elle me sourit et demande si je suis blessé en frôlant mon front. Mais non, je te l'ai dit, t'es pas si forte que ça ! Elle rétorque que c'est elle qui m'a mis à terre. C'est vrai mais je t'ai quand même collé quelques coups qui t'ont sonnée ! Disons que... c'est match nul, d'accord ?

Elle approuve et sourit de façon plus détendue. Elle m'aide à me relever, puis on s'assoit sur un banc ; elle me dit que ça lui fait du bien de passer du temps avec quelqu'un qui la voit comme quelqu'un de normal. Mais... tu es normale, enfin ! Pourquoi tu penses le contraire ? Ok, tu as une force hors norme, mais pourquoi ce serait pas normal ? Parce que t'es une fille ? C'est stupide ! Regarde le caporal-chef, il est minuscule et il peut envoyer valdinguer n'importe quel type trois fois plus grand que lui ! C'est pas si rare ! Vous êtes exceptionnels, mais pas anormaux !

Elle murmure le mot "Gunther..." du bout des lèvres. Ah, je vois, tu penses peut-être qu'il te voit d'un autre oeil maintenant. Franchement, on en a pas parlé. Je crois pas que ça le dérange, mais... si c'est le cas, moi je suis là, hein ! J'ai cru comprendre que... tu l'aimais bien, non ? Elle détourne la tête pour pas que je la vois réagir. C'est bon, on a tous remarqué, à part lui je crois. Je sais pas ce que tu attends de lui, mais... si un jour tu veux pleurer sur une épaule compatissante, je me porte volontaire ! Mince, je crois pas que ce soit la bonne méthode pour remonter le moral d'une fille...

Elle ne me répond pas franchement mais ne s'y oppose pas non plus. Je sais pas ce que je suis en train de faire... mais je voudrais pas que Gunther lui brise le coeur. Il a pas l'air de se rendre compte qu'elle en pince pour lui, le chanceux... Ecoute, Nadja, tu dois arrêter de te cacher et être seulement toi-même. On s'en fout si ça dérange les autres. C'est qu'ils te méritent pas, et voilà !

Je... laisserai personne te faire du mal...

Elle se lève après mes derniers mots et ses cheveux me cachent ses yeux. Je sais pas si elle a entendu. Elle annonce qu'elle retourne dans sa chambre pour se reposer après la rossée qu'elle m'a mise. Hé, tu plaisantes, c'est moi qui ai gagné ! Elle me pousse du coude et s'enfuit dans l'allée. Je reste immobile, sur mes guiboles, à peine conscient de la petite douleur sur le côté de ma tête.

Elle a vraiment pas frappé fort...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant