UN PARFUM DE CULPABILITE(juin 846)Gunther Schultz

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L'infirmière revient me chercher, enfin

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L'infirmière revient me chercher, enfin. Je commençais à avoir envie de partir... J'ai sérieusement pensé à me dégonfler et à fuir lâchement. Mais après l'enfer que j'ai traversé, je dois me raisonner et admettre que quoi qu'il puisse arriver, ça ne pourra pas être pire. De quoi puis-je avoir peur ? Qu'on me dise qu'elle ne se réveillera jamais ?

Tandis qu'elle me guide dans les couloir de l'hôpital, je continue de m'interroger à ce sujet. Techniquement, Nadja est réveillée en fait. Elle n'est pas inconsciente. Mais c'est comme si son corps refusait de fonctionner comme son cerveau. Tout semble dissocié... C'est ce que je comprends de ce que me dit l'infirmière. On étudie encore ce type de pathologie, et à ce stade, il n'y a pas de traitement ou de thérapie efficace. Mais elle me garantit que Nadja sera traitée avec tous les égards. Je sais de quoi j'ai peur finalement ; qu'elle reste ici pour toujours et que les médecins lui fassent subir des tas de trucs qu'elle sera pas en mesure de refuser...

Nous sommes devant la porte fermée. La femme a la main sur la poignée. Elle me demande si je suis de sa famille. Non, un ami, très proche. Mais je connais bien sa mère et sa soeur. Elle m'informe qu'elles sont venues la voir il y a quelque jours et que ça n'a rien donné. Elles sont pourtant restées toute la journée... Mariele lui tenait la main sans dire un mot, et sa mère sanglotait doucement, tournée vers l'infirmière compatissante pour que ses filles ne puissent pas la voir. Les dispositions concernant le séjour de Nadja à l'hôpital n'ont pas encore été prises officiellement. Sa famille voudrait la ramener chez elle, mais les médecins préfèreraient la garder en observation. Je n'ai pas mon mot à dire dans cette affaire... Puisque Nadja ne peut pas parler... je ne peux pas le faire pour elle.

Le battant s'écarte enfin et je suis ébloui un instant par un éclat blanc radieux, traversant une fenêtre aux rideaux ouverts. Je repère tout de suite les cheveux noirs de Nadja dans la pièce. Elle est assise dans un fauteuil face à cette fenêtre et je ne vois pas son visage. Et à côté d'elle... quelqu'un que je ne m'attendais pas à trouver ici, même si j'avais comme projet de passer le voir. Claus est assis sur le lit tout près d'elle et semble lui parler. Son expression reflète beaucoup de douceur, et je devine que le ton de sa voix l'est tout autant. Une béquille est posée à côté de lui... Je me sens presque un intrus dans cette pièce en les regardant...

Claus se tourne vers moi et se redresse tandis que j'approche, un petit bouquet de fleurs dans la main. Il hoche la tête pour me saluer, mais ne me dit rien de plus. Je sens dans son corps une tension particulière, comme s'il tentait de compenser le manque de sa jambe par une dureté nouvelle et pas du tout surjouée cette fois. Toi aussi, tu as vu l'enfer, mon vieux... C'est un miracle si on est tous en vie, non ? Il ne me répond pas, et semble même ennuyé par ma question. J'approche de Nadja et pose ma main sur le haut de sa tête. Elle ne réagit pas, et Claus me demande de venir de ce côté, afin qu'elle puisse me voir. Je m'assois sur le lit vide de l'autre côté de son fauteuil, et scrute enfin son visage.

Il est très pâle et les rayons du soleil ne lui donnent pas davantage de couleurs. Un peu amaigri aussi... Ses joues sont plus creuses, émaciées, mais cela ne lui enlève aucune beauté. Ses paupières ne cillent presque pas... Ses mains sont croisées sur ses genoux et une couverture recouvre le bas de son corps, jusqu'à ses pieds. J'y dépose mes fleurs. Elle ressemble à une statue très digne, juste un peu plus vivante que de la pierre. Si on avait voulu sculpter une personnification de l'attente dans un bloc de marbre, elle aurait fait le modèle parfait.

Je pose ma main sur la sienne. Elle est tiède, un peu rigide. Je murmure son nom. Ses cils papillonnent, puis plus rien. L'expression de Claus est indéfinissable. Il me dévore des yeux comme si je pouvais, comme par magie, la sortir de sa torpeur. Je passe ma paume chaude contre la joue fraîche de Nadja. Où es-tu partie ? Tu manques à tout le monde. On veut que tu reviennes... Dis-moi ce que je peux faire...

Claus m'ordonne alors d'embrasser Nadja. Cela me coupe le souffle un instant. Qu'est-ce qui te prend ? C'est ni l'endroit, ni le moment ! Il répond qu'au contraire, il n'y en a pas de meilleurs. Que si je n'y arrive pas, alors c'est qu'il n'y a rien à faire. Que veux-tu dire ? Tu t'es cru dans un conte de fées ? Le prince charmant vient réveiller sa belle, c'est ça ? Ca marche pas ces trucs-là, c'est pour les enfants. Ma bouche est sèche... je me sens pas très bien...

Claus me dit alors que Nadja est amoureuse de moi et demande si j'étais au courant. Non, non... enfin, je sais pas... Claus se prend la tête dans les mains et se lamente en disant que je ne suis qu'un idiot, et que s'il avait été à ma place, il l'aurait vu tout de suite. Qu'il faut être fou pour ignorer de tels sentiments... Arrête de m'accabler. J'aime Nadja mais je ne l'ai pas vu sous cet angle, c'est tout. Si tu as encore cette idée, sache que je ne vais pas l'embrasser. Je ne suis pas un prince charmant, et il faut un baiser d'amour véritable, pas vrai ?

Pourquoi tu n'essaies pas, toi ? Tu m'as l'air de l'aimer bien plus que moi...

Il rougit quand il réalise que j'ai remarqué. En vrai... je pensais que c'était toi qu'elle aimait. Vous étiez si souvent ensemble, et elle te regardait d'une façon si... Enfin, j'ai sans doute mal compris... Si un baiser peut la réveiller, c'est pas le mien. Claus... je peux pas veiller sur elle. Je peux pas venir tous les jours ici. Tu sais que... enfin... je suis toujours explorateur. Toi, tu... je ne vais pas te dire quoi faire de ta vie. Je peux pas te demander de t'occuper d'elle pour moi...

Il saute comme par réflexe du lit mais retombe tout de suite, déséquilibré. Il me lance qu'il s'occupera d'elle, quoi qu'il arrive, et que quand elle se réveillera, il la demandera en mariage. C'est rassurant de voir que tu as encore de l'espoir ! Le mariage, c'est un grand projet. Je suis sûr qu'elle serait ravie. Quant à moi... c'est pas quelque chose que je peux envisager. Cela relativise nos situations, n'est-ce pas ? Tu ne peux plus combattre mais tu peux penser avoir une vie de famille un jour, même si ça te paraît très flou ou difficile. J'en parle parfois avec Erd. Lui aussi, il a cet espoir, même si je me dis chaque jour que cela ne restera peut-être qu'un projet...

Claus, reste avec elle. Si elle retourne chez elle avec sa famille, va la voir autant que tu le pourras. Je sais que ce sera dur, mais tu en es capable. Tu ferais tout pour elle, non ? Il acquiesce de la tête, de nouveau calme, et me fixe ensuite droit dans les yeux. Il annonce enfin qu'il prendra soin de Nadja pour moi, mais il réclame une faveur pour tous les deux en échange.

Je dois continuer à me battre en leur nom. Ils ne peuvent plus porter les armes, alors je dois leur dédier chaque titan que j'abattrais. Je souris en écoutant cette demande et l'assure qu'il n'avait pas besoin de me le demander. Vous serez à mes côtés dès que je partirais en expédition. Je ferai payer à tous ces monstres ce que vous avez subi. Tu peux compter sur moi.

C'est comme si le visage de Claus s'illuminait, comme s'il redevenait un jeune cadet fier de servir sous les ordres du caporal-chef. Cette fierté que je trouvais un peu comique et forcée la première fois que je l'ai vu... On a chacun notre mission maintenant. Je donne bel et bien un baiser à Nadja, mais sur la joue. Enfin, je m'apprête à partir, et Claus tend la main vers moi. Je ne la serre pas, comme le font la plupart des gens ; je le saisis par l'avant-bras, et ses doigts se referment sur le mien.

C'est ainsi que les soldats se saluent ; une simple poignée de main ne peut pas exprimer la force du lien qui nous unit les uns aux autres.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant