IL FAUT TOUJOURS SUBIR POUR CHOISIR(avril 846)Darius Zackley

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Je pose mon verre de vin sur mon bureau et observe attentivement Erwin Smith pendant quelques secondes

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Je pose mon verre de vin sur mon bureau et observe attentivement Erwin Smith pendant quelques secondes.

Il est vraiment un expert dans l'art de ne rien laisser paraître de ses émotions. Pourtant, n'importe quel autre major que lui se serait probablement effondré ou au moins affaissé un peu sur sa chaise sans pouvoir s'en empêcher. Il reste droit, les mains posées sur ses genoux, le regard concentré, les sourcils légèrement froncés. Je ne peux m'empêcher de penser que son brillant esprit avait peut-être déjà anticipé une telle nouvelle.

Puis il brise le silence. Il demande, avec un calme surnaturel, si le Parlement a bien pris en compte ses suggestions avant de prendre cette décision. Bien entendu, j'ai rapporté avec soin chacun de vos propos et ils ont eu entre les mains mon rapport de notre entretien. Mais vous savez bien qu'ils n'ont qu'une idée très vague de la réalité du terrain. Les parlementaires ont des préoccupations parfois très éloignées des nôtres. Et il est bien évident que leur principal souci actuellement est de régler le sort des réfugiés.

Vous savez comme moi que la vie est devenue compliquée dans les différents districts, les frictions minent le pouvoir royal, la délinquance a explosé... Même les prisons sont surchargées. Ils sont allés au plus simple et direct pour remédier au problème. La politique ne s'embarrasse pas de morale... Je n'essaie pas de les excuser, loin de là, mais comme vous êtes impliqué directement dans l'affaire, il est normal que je vous explique dans quel état d'esprit elle a été mise en oeuvre.

Enfin, je vois ses doigts se crisper légèrement sur sa cuisse. Bien, hum... Les parlementaires ont bien reçu votre message quant à la nécessité de reprendre Maria au plus vite. Il va de soi que la pression populaire n'est pas non plus étrangère à leur décision. Réjouissez-vous, ils ont avalisé votre suggestion d'utilisation des ferries afin de remonter le fleuve jusqu'à Shiganshina. Il m'oppose qu'il n'envisageait de transporter qu'une poignée d'ingénieurs civils jusque là-bas afin d'évaluer les dégâts. Et bien disons, que le nombre sera plus élevé que prévu. L'Etat est même prêt à payer ce qu'il faut pour que les installations soient adaptées à l'usage des explorateurs. Vous voyez, ils vous ont entendu.

Je m'apprête à servir de nouveau du vin à Smith avant de me rendre compte qu'il n'a pas touché à son verre. Je peux comprendre qu'il ne soit pas d'humeur à apprécier un tel breuvage. Après tout... je viens de lui annoncer officiellement qu'il devait, sous ordre royal, emmener tous les réfugiés adultes et valides jusqu'au Mur Maria afin de le reprendre des mains des titans. J'ai bien conscience qu'il aurait été plus poli de l'en informer avant de placarder cette proclamation par toute la ville, mais mon pouvoir étant limité, ce n'est pas moi qui aurait pu l'empêcher. Voyons si je peux pousser son stoïcisme plus loin...

Vous avez environ un mois pour répondre aux objectifs du Parlement. D'ici là, vos troupes doivent être prêtes à encadrer un nombre important de civils sur le territoire ennemi. Vous avez carte blanche pour organiser votre régiment afin de répondre au mieux aux exigences de sécurité de tous ces gens. Vous avez l'autorisation de recruter parmi les autres corps militaires afin de pallier les manques, la conscription forcée chez les détenus est aussi une option. Il y aura de nombreux volontaires, je pense ; je vous donnerais leur dossiers dès que possible.

La main d'Erwin Smith se porte vers le verre de vin devant lui et je me demande alors s'il va finalement goûter cette merveille que j'ai débouchée spécialement pour lui. Il le tourne dans sa main, sans le soulever du bureau, et semble se concentrer sur les rayons de soleil que renvoie le cristal. Il ne desserre les dents que pour me demander si je suis dupe des véritables intentions du Parlement concernant cette opération de récupération de Maria. Il joue finement... Sa question peut paraître sans sous-entendu mais je vois très bien où il veut en venir. Je ne vais pas lui répondre directement.

Il va sans dire que... certaines voix - dont une en particulier - se sont élevées plus haut que les autres lors des débats... Je ne peux pas affirmer qu'elles portaient le bataillon dans leur coeur... et je ne peux bien évidemment pas vous révéler de qui il s'agit, ayant un devoir de confidentialité quant aux débats auxquels je n'ai fait qu'assister. Il est implicite que si vous refusez d'obéir, les conséquences pour vous et votre régiment seraient... fâcheuses...

Je me lève et me place face à ma fenêtre, lui tournant le dos délibérément. Smith me demande s'ils ont formulé des conséquences précises en cas de refus, ou si cela était juste sous-entendu. Mon cher, tout est toujours sous-entendu avec eux. Je crois l'entendre lâcher un soupir... Mais l'ai-je imaginé ou bien s'agit-il seulement de mon désir inavoué de le voir exprimer une émotion authentique ?

Il prononce à voix basse que cette opération ne sera qu'un suicide pour tout le monde, soldats et civils. Je me tourne à demi et lui expose mon profil. Je ne vais pas débattre avec vous sur ce sujet, cela me semble inutile. Vous connaissez à présent les détails et c'est à vous de prendre vos dispositions. Si vous rejetez les ordres, si vous refusez de mener ces gens jusqu'à Maria, quels qu'en soient les résultats, votre régiment sera démantelé. Cessez de pensez aux autres et réfléchissez en leader responsable. Vous ne pouvez pas vous apitoyer sur le sort de ces inconnus dans votre position. De toute façon, ils ont encore moins de choix que vous, ils sont tenus d'obéir eux aussi et de prendre part à l'opération de récupération. Vous devez penser à l'avenir des explorateurs. Il se peut que nombre de soldats meurent, mais la mort fait partie de votre travail. Et vous pourrez toujours les remplacer si vous revenez en vie.

Smith me suggère qu'il pourrait bien lui aussi y laisser la vie. Et bien... vous aurez rempli votre devoir et serez fêté en héros. Je garantis que votre sacrifice ne restera pas un souvenir. Quelqu'un vous succèdera et reprendra la lutte. C'est ce que tout le monde attend de vous. Même les réfugiés, là dehors, n'attendent que de reprendre leurs terres. Ils seront avec vous dans ce combat. Vous ne les entendez pas ? Ils hurlent sous nos fenêtres depuis ce matin. Ils veulent vous voir, vous parler, vous entendre. Vous êtes déjà leur leader.

Alors allez-y, Smith. N'abandonnez pas ces gens, ni le bataillon. Ils ont tous besoin que vous preniez la bonne décision.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant