IL FAUT TOUJOURS SUBIR POUR CHOISIR(avril 846)Claus Emmerich

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Je commence à avoir mal aux fesses, à rester assis pendant des heures

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Je commence à avoir mal aux fesses, à rester assis pendant des heures... Je regarde à côté de moi pour deviner si mes camarades sont dans le même état. Nadja est bien droite sur sa chaise et fait bonne figure, mais je crois que Erd et Gunther en peuvent plus aussi. Je dois bien dire que les dernières nouvelles nous ont tous retournés... La fatigue est aussi mentale en somme.

J'y ai pas cru au début. Mais quand j'ai vu l'affiche, j'ai bien constaté que c'était pas des blagues. Tout le monde en parle dans le quartier, la cour du QGR ne désemplit pas. Parmi les civils, les soldats qui ont été affectés au bataillon essaient de se frayer un chemin vers les tables où nous nous tenons, mes camarades et moi, afin de procéder à leur transfert. Le caporal-chef nous a délégué cette tache pendant qu'il est en réunion avec le major. J'ai l'impression que cette réunion dure depuis hier parce qu'on ne l'a pas vu aujourd'hui...

Mais... emmener tous les réfugiés à Maria ? Comment ça peut marcher ? Le major n'a pas formellement révélé ses intentions, mais je suppose que si nous intégrons ces soldats, c'est pas pour rien... Merde... Rien que d'y penser, ça me fout une angoisse... On va pas réellement le faire, non ? Je peux pas imaginer à quoi ça ressemblerait... Ce serait un massacre assuré... A moins que nos chefs aient un plan à toute épreuve pour l'éviter...

Un nouveau militaire se présente devant moi et décline son identité. Il vient de la garnison ; la plupart sont des gardes de toutes façon, faut pas s'attendre à voir les brigadiers... J'ai du mal à déterminer son ressenti mais je me doute qu'il a pas trop envie d'être ici. Il ne fait qu'obéir aux ordres. Putain, on est tous pris à la gorge avec cette histoire... Mais je dois faire mon boulot aussi, alors je prends sa fiche d'identité afin de la glisser dans ma pile. Je dois écrire son nom sur ma liste afin de prouver qu'il n'a pas déserté. Lance... Macon... Ok, c'est noté. Si vous voulez avoir votre nouvelle affectation, vous devez aller trouver le capitaine Zacharias, c'est le grand blond, là-bas.

Il reste un moment devant moi, à danser d'un pied sur l'autre. Ce pauvre gars veut me demander quelque chose, je devine quoi, et je vais pas savoir quoi lui répondre, comme aux autres. Enfin, il se lâche. Il veut savoir si on va vraiment aller combattre des titans avec des civils, si le major va réellement le faire... Ecoutez, mon vieux... nous ne sommes sûrs de rien, tout comme vous, nous attendons les ordres de nos supérieurs. Pour l'instant, notre travail c'est de vous intégrer dans nos rangs. Quant à savoir ce que ça donnera... j'en sais pas plus que vous. Je suis tenté de lui révéler que moi aussi j'aimerais que tout ceci ne soit qu'un cauchemar dont je vais me réveiller, mais je veux pas le démoraliser non plus, alors je lui dis rien de plus. Il s'éloigne, l'air penaud, et je me sens mal pour ce gars que je connais même pas...

Nous devons tous être prêts à offrir notre coeur dans la lutte contre les titans mais je me mens pas à moi-même. Tout ceci sent le traquenard pour éliminer les explorateurs et les réfugiés gênants... N'importe qui doté d'un peu de cervelle le comprendrait. On a pas eu le temps d'en parler entre nous, mais... je sais qu'ils pensent la même chose. Je saisis au vol le regard suppliant de Nadja qui semble m'implorer de la sortir de là... Je sais, je sais... Oui, je vois dans tes yeux que tu penses comme moi... J'ai envie de lui prendre la main et de souhaiter qu'on se réveille tous dans nos lits mais j'en ai pas le courage... Pendant une minute, je m'imagine vivre une autre vie, loin de tout ça, avec femme et enfants, dans une petite maison douillette et tranquille à la campagne... Ca ne m'était encore jamais arrivé. Est-ce que c'est... un signe que quelque chose va vraiment mal tourner ? Je repense à mes prétentions des débuts, quand je m'imaginais égaler le caporal-chef, devenir à mon tour le héros de l'humanité... Cela semble si loin...

De nouvelles têtes s'avancent vers moi. Mais ce ne sont pas des soldats. Un homme et une femme, habillées pauvrement, se présentent à ma table et demandent à être intégrés dans le bataillon. Je crois avoir mal entendu pendant quelques secondes... Euh, désolé, ici, c'est pour l'enrôlement des militaires, si vous voulez des informations au sujet de la proclamation royale, nous ne pouvons pas vous aider ici, vous devez... L'homme tape du poing sur la table - mon encrier virevolte sans se renverser - et répète sa demande. Il veut s'enrôler avec sa femme dans le bataillon afin de vaincre les titans. Mais... attendez, ce n'est pas possible ça... Vous êtes militaires ? Vous avez une formation ? Il répond que non mais qu'il est prêt à tout pour reconquérir son territoire, retrouver sa maison et sa dignité.

Je triture nerveusement ma plume... Je vois, ce sont sans doute des réfugiés, et ils pensent qu'en endossant l'uniforme, ils auront plus de chance de s'en sortir... Vous êtes les premiers à me faire cette demande, je ne sais pas ce que je... Il se tourne sur le côté et indique du doigt tout un groupe de personnes dont il m'assure qu'ils vont se présenter pour la même chose. Je vois... c'est... comprenez que vous devez avoir une formation militaire pour devenir explorateur, ça ne s'apprend pas en quelques jours ! Et nous avons peu de temps pour former des novices, je ne pense pas que vous serez autorisés à...

Il frappe de nouveau la table avec la force du désespoir et demande à voir un de mes supérieurs. Oui, je crois que c'est préférable. A ce moment, Gelgar passe justement près de moi et je lui demande d'aller chercher Zacharias. Ces gens me paraissent sérieux, et je ne sais pas quoi faire d'eux... Il s'éloigne vers son chef et je reste là, à attendre, comme foudroyé par les regards de cet homme en colère et de la femme non moins déterminée à arriver à ses fins.

Enrôler des civils, ça n'a pas de sens... C'est déjà suicidaire de devoir les protéger sur le terrain en si grand nombre, mais si en plus on doit faire en sorte qu'ils ne se tuent pas avec le dispositif de manoeuvre, autant abandonner tout de suite ! J'aperçois les têtes de mes camarades penchées en avant sur le côté pour m'observer. Ca va, je gère, hein ! Occupez-vous de vos oignons !

C'est alors que le groupe de civils se dirige vers la cour, vers nos tables, d'un pas décidé... Aïe, ça s'annonce mal... Capitaine, venez vite, s'il vous plaît !...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant