LE TREIZIEME MAJOR (novembre 845) Claus Emmerich

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Je me demande si je finirais un jour par considérer ce cérémonial comme une routine ; se présenter à la porte, écouter tonner les canons, attendre fébrilement que la herse se soulève et décoller à l'ordre du major

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Je me demande si je finirais un jour par considérer ce cérémonial comme une routine ; se présenter à la porte, écouter tonner les canons, attendre fébrilement que la herse se soulève et décoller à l'ordre du major... Je suppose que si cela devait m'arriver, je pourrais me considérer comme chanceux. Peu d'explorateurs vivent assez longtemps pour voir les choses sous cet angle.

Même si le caporal-chef semble prendre un malin plaisir à ne pas me compter parmi les vétérans, je sais que j'en suis un. C'est cette conscience qui m'a peu à peu amené à changer d'attitude. Il a dit qu'il comptait sur moi pour guider les autres, cela signifie que je suis un peu son bras-droit, non ? Je vais pas le décevoir et faire exactement tout dans les règles de l'art, sans en rajouter.

Nous nous trouvons à droite du chariot de réappro ; derrière à quelques mètres se trouve le second, chargé de vivres. Le régiment ne sort pas au grand complet, le challenge sera de protéger les attelages avec peu d'hommes. Le caporal-chef restera sur le flanc du véhicule tandis que nous nous éloignerons vers l'est quand la formation sera déployée. Nous serons plus au moins livrés à nous-mêmes mais il ne sera jamais loin, il a certifié qu'il garderait un oeil sur nous. Erd et Gunther sont les plus inquiets, et Nadja me paraît presque sereine. Quant à moi, j'ai hâte qu'on y aille.

De là où nous sommes, nous ne voyons que le sommet de la tête dorée du major. Mais, enfin, retentit le grincement des chaînes et son cri de ralliement nous réveille totalement. La cohorte commence à s'ébranler, au pas d'abord, ensuite au trot, puis au galop de phase un. Tous suivent le mouvement à la perfection. La bonne vieille sensation d'euphorie qui accompagne les départs me saisit soudain et je me mets à sourire comme un idiot à l'idée de repartir à l'aventure. Puis la réalité me rattrape et je me souviens : nous nous rendons en terrain connu, devant nous s'étend une vaste zone autrefois habitée que j'ai souvent arpentée. Pas de découverte à faire, pas d'inconnu à explorer, nous sommes des exilés marchant dans leurs propres traces.

L'air semble moins agréable de l'autre côté du Mur Rose, comme si ces monstres avaient la capacité de pourrir même l'oxygène. En attendant, à part les quelques cadavres en train de se décomposer, les tireurs ont bien fait leur boulot, y'en a aucun en vue. Nos chevaux avancent, pleins d'entrain, et j'entends quelques explorateurs discuter entre eux. Jusqu'ici, pour les nouveaux, le danger n'est pas immédiat alors ils se laissent aller. Mais ça ne va pas durer. Je crois que le signal de la dispersion a été donné.

Je vois les soldats devant nous se saluer tandis que les troupes se dispersent en corolle autour du major et de son escorte. Nous-mêmes commençons à nous éloigner du caporal-chef, qui nous fait signe aussi, et une autre équipe vient se placer entre lui et nous. La formation ne peut se déployer que sur deux kilomètres à cause des effectifs réduits mais le caporal-chef nous a certifié que ça marcherait aussi bien. Je tapote mon lance-fusée pendu à ma taille et me dit que je devrais peut-être le charger tout de suite au cas où.

Nous galopons sans encombre pendant plusieurs minutes, Nadja a côté de moi, Erd et Gunther devant, en train de faire les pitres. Ils s'amusent à se pousser avec leurs pieds et à faire la course. Putain, ce manque d'ennemis leur fait perdre leur discipline ! Nadja pense la même chose et vient se placer entre eux pour les sermonner. Bien, ma fille, je l'aurais fait sinon. Ils se calment et reprennent leur position.

Juste à temps, car sur notre droite, j'aperçois des silhouettes gigantesques. Elles sont encore assez loin mais on nous a appris à jauger les distances et les tailles de nos ennemis d'un coup d'oeil ; je juge qu'il n'est pas nécessaire de lancer un signal pour changer de direction, on a le temps de voir venir. L'économie de matériel, c'est important.

Ah, voilà que ça bouge là-bas. Un autre groupe risque de nous couper la route. Comme nous sommes les plus à l'extérieur, nous les voyons en premiers. Nadja a déjà levé le bras et éjecté une fusée rouge. Le signal est relayé jusqu'au major, dont l'escorte, à l'affût, lui fait de constants rapports. Un signal vert est alors expulsé pour informer toute la cohorte de virer sur la gauche, ce que nous faisons. Je scrute l'horizon ; le groupe de titans est laissé sur le côté, loin à l'est ; ils ne nous ont même pas vus. On a changé de cap avant que notre odeur ait pu venir leur chatouiller les narines.

Wouaah, ça marche ! J'avoue que j'étais sceptique au début, mais ça tient du génie pour éviter les combats ! Si on continue comme ça, on atteindra l'avant-poste sans avoir livré une seule bataille. Mais je reste prudent ; on pourra peut-être pas échapper à tous les titans sur notre route. C'est pour ça que nous sommes placés ici. Nous sommes l'élite et ce sera à nous d'y aller si ça tourne mal. Le principal sera de ne pas rompre les rangs trop longtemps afin que la formation reste intacte ; l'équipe juste à côté a pour rôle de nous remplacer si nous devons aller nous battre.

Nadja est très silencieuse comme à son habitude et je commence à trouver le temps long... Soudain, une autre fusée verte s'élève sur notre gauche. Après le relai, le major oriente de nouveau notre cap plus à l'est. Des collines bordent l'horizon de ce côté et j'espère qu'aucun titan ne s'y cache sinon cela sera difficile de les éviter cette fois...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant