TREPAS, ME VOICI(juin 846)Gunther Schültz

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Nadja n'a pas bougé depuis qu'on l'a allongée sur le lit

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Nadja n'a pas bougé depuis qu'on l'a allongée sur le lit. Ses yeux ne cillent quasiment pas, ou seulement quand je ne regarde pas, et cela lui donne un air absolument sinistre, comme si elle s'était changée en pierre...

Tout s'est passé très vite, dans un brouillard de sons et de sensations, et j'ai du mal à raccorder tous les bouts... Quand j'ai quitté Nadja pour aller chercher des lames, ça n'a pas traîné avant qu'un titan me repère et me prenne en chasse. Je ne pouvais rien faire à part esquiver, mais mes réserves de gaz baissaient aussi rapidement, et je me voyais déjà mal finir... J'ai regretté de ne pas avoir pris celles que Nadja m'avait proposées... Ca a duré quelques minutes qui m'ont semblé une heure, puis finalement, une aide inespérée a fondu des arbres et Erd a réussi à se débarrasser seul du titan qui me menaçait. J'étais si heureux de le voir ! Il était même pas blessé et m'a annoncé qu'il avait réglé le compte de plusieurs géants plus loin et avait permis la fuite d'un chariot de réappro avec quelques civils dedans.

J'ai pas perdu de temps à le féliciter car il fallait rejoindre nos camarades ; Claus manquait à l'appel, et Nadja devait traîner dans le coin, alors nous sommes revenus sur nos pas pour les chercher. C'est là que nous avons repéré notre amie ; pas tout de suite, au début, j'ai pensé que c'était un autre cadavre, mais en nous approchant, j'ai bien vite vu que c'était elle. Allongée sur le sol, elle n'avait aucune blessure visible et fixait ses yeux ouverts sur les frondaisons au-dessus de nous. Je l'ai appelée, engueulée, secouée, mais elle ne bougeait pas. Erd et moi ne savions pas quoi faire, et en plus un titan de grande taille se tenait pas loin de nous ; nous ne devions pas rester là. On a attrapé Nadja, et ses membres n'étaient pas tout à fait inertes. Ils opposaient une petite résistance à nos gestes, ce qui signifiait qu'elle n'était pas tout à fait inconsciente.

Quand nous avons réussi à quitter la clairière après l'avoir mise sur un cheval, nous avons vu le titan dégringoler sur lui-même, et le caporal-chef surgissait d'entre les branches, le corps de Claus sous le bras. On a pas réalisé tout de suite que... Tout ce qui comptait c'est que nous étions réunis tous les cinq et prêts à évacuer. Le caporal a mis Claus en travers de sa selle, et je crois que c'est à ce moment que j'ai vu que quelque chose clochait dans son anatomie... Mais j'ai pas voulu me focaliser là-dessus, j'étais sans doute dans le déni...

Je peux plus nier les faits maintenant. Claus a perdu sa jambe droite ; il ne lui reste plus que le haut de la cuisse... J'ignore exactement comment ça a pu arriver, le caporal ne nous a encore rien raconté. Mais une partie de moi se demande si l'état de Nadja n'est pas lié à ce qui est arrivé à Claus. C'est stupide, ou peut-être pas... Je baisse les yeux sur le moignon de chair qui dépasse du pantalon déchiré et je sens un frisson de dégoût m'envahir. Si cela m'arrivait, je... Raah, je me déteste de penser ça ! C'est vraiment égoïste ! C'est lui qui compte, pas moi ! Quand il se réveillera - s'il se réveille -, je ne sais pas quelle sera sa réaction... Il faudra que nous... soyons tous là, avec lui, pour le soutenir...

Un infirmier - le seul survivant - fait une piqûre dans la cuisse de Claus, et c'est étrange comme ce geste si simple me donne subitement l'impression que tout est sous contrôle, que tout va s'arranger. J'en suis à me dire ça, au milieu de ce qui reste des explorateurs, réduits à un petit groupe que je n'ai pas encore eu le courage de dénombrer, et de ces civils terrorisés, qui doivent se demander s'ils vont revoir le Mur Rose...

Erd, s'il te plaît, va nous chercher des rations, et de l'eau propre à boire... Je reste avec eux, je les quitte pas des yeux. Il s'éloigne à pas lents, et je me rends compte alors que je ne sais pas comment il se sent. On a à peine parlé... Toute notre attention était focalisée sur Claus et Nadja...

J'approche de Claus et me penche sur son visage, tendant l'oreille. Je crois bien l'avoir entendu gémir quelque chose... Un nom, que je connais bien. Je prends sa main dans la mienne et attrape aussi celle de Nadja, puis les joins ensemble dans l'espoir que ça leur apporte du réconfort. Vous êtes encore avec nous, ne nous quittez pas, hein ? Je perçois, très subtilement, les doigts de Nadja se resserrer sur ceux de Claus, et je me tourne vers elle pour l'observer. Rien sur son visage ne laisse penser qu'elle ressent quelque chose, mais je sais qu'une partie d'elle est restée parmi nous, qu'elle nous écoute... Nadja, tu m'entends ? Qu'est-ce que tu as ? Dis-moi...

Erd revient avec de quoi boire et manger. Je ne sais pas si j'ai faim, après tout... mais reprendre des forces est nécessaire, nous ne sommes pas encore sortis des ennuis. Alors je me force à mordre dans cette barre levurée qui n'a jamais eu aussi mauvais goût, et Erd fait de même. Puis, j'ai une idée. Je saisis la gourde d'eau, et soulève la tête de Nadja. Je place le goulot entre ses lèves et verse un peu de liquide. Sa gorge tressaute imperceptiblement, mais il est évident qu'elle a avalé. Je soupire de soulagement. Elle est à moitié consciente, mais je ne peux pas évaluer à quel degré. En tout cas, elle semble capable de se nourrir.

Le caporal-chef nous trouve tous les deux penchés sur notre amie et nous demande alors si nous comptons l'étouffer en la faisant boire. Caporal, s'il vous plaît, ce n'est pas très drôle, vraiment ! Mais vous savez, elle a déglutit. Je pense qu'elle n'est pas tout à fait... partie ? Il s'accroupit près d'elle et observe ses yeux fixes. Je le soupçonne de cacher délibérément ses émotions, afin de ne pas nous inquiéter. Je le connais depuis un moment maintenant et j'ai appris à repérer ces subtiles variations sur son visage... Il conclut qu'il ne sait pas de quoi elle souffre, qu'il n'a jamais vu ça auparavant. Des spécialistes pourront nous en dire plus, j'imagine. Ou bien elle va se réveiller tout à l'heure, elle a peut-être juste eu un choc à la tête, je sais pas... Le caporal examine le cuir chevelu de Nadja et annonce qu'aucune bosse ou contusion n'est visible. Je vois... C'est... vraiment mystérieux... Mais Nadja n'est pas du genre à se laisser abattre, elle va pas rester dans cet état, je la connais !

Erd demande à notre supérieur quand est prévu le départ. D'ici trois quarts d'heure, nous devons être prêts à dégager. Il n'y a pas trop de titans dans le coin, je suppose ; et le soir va tomber, ils seront moins virulents. Ca veut dire que Claus et Nadja voyageront dans un chariot ? Le caporal-chef acquiesce. Ok, on va s'assurer qu'ils soient bien en sécurité au centre de la formation. Vous avez décidé avec le major de comment nous allons procéder ? Il annonce que ça consistera surtout à se faire tous petits en essayant de pas marcher sur des titans endormis. Comme à l'aller, donc.

Sauf qu'il y a vingt-quatre heures, nous étions plus de deux cents cinquante mille. Je ne saurais dire combien nous sommes à présent, mais ça ne doit pas dépasser les deux cents personnes... Cette constatation me retourne l'estomac.

Que va devenir le bataillon d'exploration après ce fiasco ? Que va-t-il se passer lorsque nous passerons l'arche de Rose ? J'ai peur de tout ça...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant