ÊTRE POLI COÛTE PEU ET ACHETE TOUT(octobre 845)Sybille Tabea

651 49 60
                                    

Je soulève ma robe de soie verte et passe la porte du grand salon, entourée d'une nuée de jeunes filles

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Je soulève ma robe de soie verte et passe la porte du grand salon, entourée d'une nuée de jeunes filles. Je ne connais que la moitié d'entre elles ; les autres ont juste entendu parler de moi et se sont dit que ce serait une bonne chose qu'on les voit à mes côtés. Etrange déduction, quand on connaît ma réputation.

Leur odeur de minettes, à peine couverte par les effluves de parfum coûteux, devrait m'être insupportable, me rappeler les plaisirs d'une jeunesse qui s'efface de plus en plus, mais je ne suis pas ce genre de femme. Il est d'usage que les jeunes se moquent des vieilles, et que les vieilles envient les jeunes, mais ces petits jeux ne m'intéressent pas. Peu d'entre elles savent qu'à chaque âge correspond un plaisir qui lui est propre ; et que beaucoup d'hommes préfèrent l'excitante expérience d'une femme comme moi à la naïveté virginale qu'elles essaient d'afficher en permanence. Je pourrais faire l'éducation de certaines d'entre elles... mais aujourd'hui, j'ai d'autres choses plus urgentes à m'occuper.

Je ne passe pas inaperçue lors des évènements mondains. Je n'ai jamais aimé m'attacher les cheveux et ma chevelure flamboyante attire les regards. Les hommes comme les femmes savent qui je suis, et que contrairement à eux, je ne suis pas née avec une cuillère en argent dans la bouche. Aucun ne sait ce que signifie batailler pour sauvegarder l'oeuvre de toute une vie. Mon père m'a appris ça. C'est un héritage de famille.

Mon grand-père a mené sa barque du mieux possible après que notre peuple soient venu s'installer entre les Murs. Je l'ai à peine connu et il n'a jamais été capable de me dire ce qui avait pu les mener ici ; il tremblait et zézayait tellement... La seule chose qu'il a pu dire à ses propres enfants - dont mon père - c'est qu'il ne lui restait plus qu'un grand trou de mémoire impossible à combler. Peut-on vraiment à ce point oublier son passé ? Cette perspective m'effraie plus que les rides...

Les plantations de lin étaient modestes au départ, mais mon père les a étendues au point de détenir le monopole totale de cette ressource. Puis d'autres textiles ont pu être exploités grâce à nos recherches et nos plantations ; nous avons aussi optimisé la récolte de laine grâce à de nouvelles méthodes d'alimentation des animaux. Il a ouvert de nombreuses manufactures qui ont donné du travail à beaucoup de gens, surtout dans le Mur Maria. Dans le clan Tabea, nous avons à coeur de bien traiter nos employés, c'est la règle. J'ai déjà vu des ouvriers trop vieux ou malades pleurer à l'idée de devoir nous quitter.

J'ai été éduquée afin de prendre les rênes de l'empire familial, j'ai passé étant enfant plus de temps dans les champs à jouer avec les chiens et à observer la nature que dans des salons luxueux. Je jette un oeil à mon reflet dans un grand miroir et soupire en me détaillant. Et bien, ma fille, qui le croirait ? Jusqu'ici, ma famille était vue comme une lignée de riches entrepreneurs opportunistes indignes d'être invités à ce genre de soirée. Quand les rumeurs ont commencé à courir que j'entretenais une liaison avec un proche du roi, on a commencé à s'intéresser à moi. Le scandale vous ouvre des portes, car cette société est hypocrite ; elle vous fait comprendre que votre comportement est inqualifiable mais vous envie votre liberté de penser, d'agir. On vous invite afin de vous exhiber comme un divertissement obscène, un spectacle curieux ou un exemple à ne pas suivre. Je suis une femme libre, je n'ai pas l'intention de me marier et il faut que tout le monde le sache.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant