Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

LE TREIZIEME MAJOR (novembre 845) Erwin Smith

Tous de retour... Je suppose que je dois le considérer comme une victoire, même si les observations faites depuis l'avant-poste ne sont guère encourageantes.

Je marche le long des couloirs du QGR, et les soldats que je croise s'inclinent devant moi avec le poing sur le coeur. Quelques minutes plus tôt, les explorateurs restés sur place accueillaient leurs camarades avec réserve et pudeur, ne désirant sans doute pas laisser éclater leur joie devant moi. Qu'ils s'amusent à présent ; le régiment sera dispersé pour l'hiver dans quelques jours. Certains resteront au quartier général, comme à chaque fois, et je pense déjà savoir qui ils seront, pour la plupart.

Avoir ramené tous ces jeunes à leurs familles pour cette occasion me fait plaisir. Je ne sais si la prochaine sortie sera aussi calme, alors qu'ils en profitent...

Les pas de Mike, Livaï et Hanji résonnent derrière moi. Ils m'escortent tous les trois jusqu'à mon bureau dans l'idée d'un debriefing, mais je ne me sens guère d'humeur à présent. Et puis, je suis en train de débattre avec moi-même depuis un moment. Il sera toujours temps de leur présenter mes conclusions et de voir s'ils sont d'accord.

Les titans sont bien plus nombreux qu'escompté dans le Mur Maria. Il ne sera pas aisé d'atteindre la brèche et de constater les dégâts. Quant à les réparer... Plus j'y pense et plus je me dis que la solution consistant à atteindre le Mur par le nord et à cheminer tout le long jusqu'à Shiganshina n'est pas si mauvaise. Mais elle serait beaucoup trop lente et impliquerait de grandes quantités de nourriture à transporter, pour nous et nos chevaux, tout le temps du trajet. Il reste aussi les bateaux, avec l'incertitude concernant la capacité des titans à évoluer dans cet élément...

Quelque chose me dit que le gouvernement n'accepterait aucune de ces stratégies sans doute moins coûteuses en vies humaines. Avec des arguments tout à fait discutables, j'en suis sûr. Je n'aurai jamais le dernier mot quant à cette décision ; même le généralissime doit avoir les poings liés. Ils nous obligeront à risquer nos vies encore et encore quitte à éliminer les autres options. Et si nous nous plaignons, ils nous proposeront de dissoudre le régiment en nous accusant d'arrogants imbéciles.

Enfin, je peux me permettre de laisser ces soucis de côté pour l'instant. Je ne vais pas assombrir la soirée de mes soldats heureux en laissant mes préoccupations tout contaminer. A vrai dire, j'ai même un peu faim. J'ai demandé à un de nos cuistots de me monter quelque chose, afin d'être au calme. Je n'ai presque rien avalé hier soir.

Je me tourne vers mes lieutenants et leur dit qu'ils sont libres pour ce soir. Mike renifle et me regarde de dessous sa frange avant de s'éloigner, Hanji lève son pouce et m'informe qu'elle compte discuter de titans avec moi quand je serais disponible. Demain peut-être. Va donc te coucher, tu as les yeux au milieu de la figure. Elle ne se fait pas prier mais me dit qu'elle compte bien attraper quelque chose en cuisine avant.

Livaï reste sur place, les bras croisés, et me regarde avec intensité, les sourcils froncés. Que se passe-t-il ? Tu veux quelque chose ? Il répond que je les ai autorisés à faire ce qu'ils voulaient de leur soirée et qu'il aimerait bien prendre un bain. Je vois ! Je suppose que je vais devoir m'en passer alors, le caporal est prioritaire pour éviter qu'il soit de mauvaise humeur demain, n'est-ce pas ? Il approuve et me précède dans mes quartiers.

Eh, tes gars se sont bien débrouillés sur le terrain, je suppose que tu es satisfait d'eux ? Il rétorque qu'ils sont plutôt efficaces, même s'ils fanfaronnent encore un peu. Bah, ils sont jeunes. Emmerich a l'air de s'être un peu calmé, les autres suivront quand ils auront du métier. Il me demande comment je fais pour toujours avoir l'oeil partout. Je me préoccupe de toutes les forces à ma disposition, je ne serais pas un bon leader si je ne le faisais pas.

Il se dirige vers la salle de bain, et je me retrouve seul un moment. Cet isolement soudain me pèse un peu, et je me dis que je ne veux pas me retrouver seul trop vite. J'ai envie de parler de choses légères du quotidien, de banalités, de ce que je compte faire cet hiver, de ce que Livaï compte faire lui aussi... Il n'y aura sans doute pas d'illuminations ni de sapins pour Yule cette année. Nous seront tout de même en plein coeur de Trost et il y aura des activités et des divertissements. Les gens ne pourront s'en passer malgré la tragédie qui nous a tous frappés cette année. Peut-être... Peut-être pourrais-je proposer aux explorateurs de décorer le QGR ?

Livaï ? Il me lance un "huuh ?" ennuyé depuis la salle de bain. J'ai demandé au cuisinier de me monter à dîner ici, et... j'aimerais bien que tu dînes avec moi. Manger face à une chandelle muette, c'est assez déprimant... Il passe la tête par l'ouverture de la porte et rétorque qu'il n'a pas très faim. Je suis sûr qu'ils ont mitonné quelque chose de bon. Et puis, ce n'est pas pour tout de suite, ton bain t'ouvrira peut-être l'appétit. Et je vais aussi préparer du thé. Noir.

Il prononce un "ok" sonore puis j'entends le bruit de la pompe remplissant la baignoire. Je vais me débarrasser de mes courroies, me plonger dans les quelques papiers qu'il me reste et attendre que le dîner soit servi - j'enverrai le cuisinier monter un autre plateau pour Livaï.

Je crois que je n'apprécie rien davantage que me retrouver dans cette pièce avec la lueur vacillante des bougies, la perspective d'une tasse de thé avec des gâteaux et la présence de Livaï juste à côté en train de se délasser, ou de lire un livre. Je ne connais rien de plus reposant...