Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]

LES COEURS HEUREUX SE RIENT DU FROID (décembre 845) Mike Zacharias

La nuit de Yule est passée si vite...

Il s'est remis à neiger le lendemain et nous sommes restés à l'auberge presque toute la journée. Je me souviens du grand âtre où flambaient des bûches grosses comme des doigts de titans... et aussi de Nanaba et Gelgar, portant de gros pulls roulés jusque sous leur menton, savourant la douce chaleur tandis que la neige recouvrait tout dehors. Line et Henning - mes deux nouvelles recrues -, sont rentrés chez eux afin de retrouver leurs familles, alors nous sommes restés entre nous trois.

Quand le temps s'est stabilisé, nous avons fait un saut à Ehrmich, avons regardé quelques exhibitions - les chevaux étaient très beaux, parés de rubans rouges et attelés à des traîneaux en bois -, puis nous sommes rentrés à Trost avec regret. Nous savions que le travail ne reprendrait pas avant un mois, mais Yule était déjà du passé. Les feux d'artifice de l'année dernière ont manqué à tout le monde, je crois...

Mais nous avons de bons souvenirs ; je revois Gelgar et Henning, totalement soûls, chantant debout sur la table des chansons de régiment qu'aucun des civils présents ne comprenait, et Nanaba essayant de se cacher sous la table de honte. Cela me faisait plutôt rire tout ça ! J'ai dû parler au tenancier afin de calmer le jeu et nous avons réussi à dégoter des chambres malgré tout ; il avait une certaine affection pour le bataillon et a donc pardonné notre raffut. Nous avons passé le reste de la soirée à parler de nos camarades, des prochaines expéditions et aussi de la soi-disant nouvelle petite amie de Gelgar que personne n'a jamais vue. Je le soupçonne d'avoir voulu voir la réaction de Nanaba en balançant cette rumeur, mon flair ne me trompe jamais.

Nous voici de retour avec nos petites affaires au QGR, bien tranquille sous sa couche de neige. Quand nous sommes partis, Erwin a dit que nous pouvions prendre notre temps et qu'ils seraient occupés le soir de Yule. Je le soupçonne d'avoir organisé un petit quelque chose pour Hanji et Livaï car ils n'étaient plus que trois ici. Je les imagine déguster un bon repas arrosé d'un bon vin, à la lueur des chandelles, dans le mess vide et sinistre, rendu chaleureux par leur seule présence. Erwin serait bien capable d'un truc comme ça.

Nous pénétrons dans le bâtiment et ne percevons aucun bruit. Ils dorment encore peut-être, ou alors ils sont calfeutrés dans leurs quartiers ; j'imagine mal Erwin dormir en fin de matinée, c'est pas son genre, même quand il a rien de spécial à faire. Quand nous étions cadets, il se levait toujours quelques minutes avant les autres. Ca rendait Nile malade, lui qui adorait rester au lit. Nous avançons à pas mesurés, en évitant machinalement de faire trop de bruit, comme si le silence nous ordonnait de ne pas le briser. Nous arrivons dans le hall donnant accès aux autres ailes du bâtiment quand je sens une odeur familière, quoique légèrement modifiée. Celle de Livaï.

En tendant le cou, je l'aperçois assis nonchalamment sur un des divans, un livre dans une main et une tasse de thé dans l'autre. Il lève les yeux vers nous et je m'exclame que ça fait plaisir de voir quelqu'un de vivant par ici ! Il rétorque que je pensais peut-être les voir ensevelis sous une couche de neige dans la cour, à jouer les bonhommes de Yule, mais qu'il faut pas espérer que je me débarrasse d'eux aussi facilement. Je vois. Tu es le seul debout ? Il répond qu'Erwin est réveillé mais n'est pas sorti de sa chambre ; quant à Hanji, elle doit encore dormir après la raclée qu'il lui a mise aux cartes hier soir. Elle voulait pas lâcher l'affaire alors ils ont rejoué jusqu'à minuit passée. Erwin s'est assoupi en les attendant sur le canapé de sa chambre.

Au moins, vous ne vous êtes pas ennuyés. Mais c'est quoi cette odeur ? Tu as changé de savon ? Il me regarde de travers sans comprendre alors je m'approche pour le humer. Je comprends que l'odeur vient du pull qu'il porte. C'est nouveau, ce truc ? Un cadeau d'Erwin, qu'il me dit. Mmmh, c'est de la laine de qualité, sans aucun doute. Laisse-moi deviner : ils t'ont concocté un anniversaire surprise ? Il fait semblant de s'étonner mais il sait que je connais sa date d'anniversaire - celle qu'Erwin lui a choisie. Au moins, c'est une date dont on ne peut que se souvenir, c'est pratique. Tu peux compter sur Erwin pour ne jamais oublier les dates, tu y auras droit tous les ans ; à moins de t'y opposer fermement comme je l'ai fait. Il me dit que c'est pas grave, si ça peut faire plaisir au major.

Nous nous sommes bien amusés aussi. Gelgar a encore la gueule de bois - je le vois tituber contre le mur -, mais ça devrait passer vite. Je vais monter me changer parce que je sens le cheval, et passer voir Erwin ; il me prêtera peut-être sa baignoire. Livaï lève un sourcils, me foudroie du regard, et me préviens de ne pas salir la pièce et de pas utiliser toute l'eau car il compte prendre un bain ce soir. Ok, t'énerve pas, je sais que la salle de bain du major t'es réservée, je vais rien dégueulasser ! Il agite la main pour me signifier qu'il veut lire tranquille et je me détourne pour monter les escaliers. Nanaba emmène Gelgar vers les sanitaires, pour essayer de le faire dégriser sous une bonne douche froide, je suppose.

C'est vrai que nous ne sommes plus très frais tous les trois. Mais ça reste plus agréable qu'un retour d'expédition. Sur le palier, notre ami Kass - le chat noir - apparaît au fond du couloir et se met à avancer vers moi, de son pas de velours jamais pressé. Il vient se frotter contre mes jambes et je lui gratte le dos. Il s'étire avec délice et me suit jusqu'à ma chambre. Je m'arrête un moment devant la porte d'Erwin, écoute en silence et perçois du bruit dans la pièce. Il est bien réveillé, je vais essayer de m'incruster, et lui raconter mon Yule s'il veut bien.

J'ouvre la porte de mes quartiers, Kass me suit rapidement, ne voulant pas rester dans le couloir, et saute immédiatement sur mon lit. Je choisis des affaires propres, les mets sur mon bras et m'apprête à retourner dans le couloir en espérant me décrasser chez Erwin.

Kass est roulé en boule sur ma couverture et dort paisiblement, comme tous les chats quand il fait froid dehors.