MONDE, JE TE FAIS MES ADIEUX(mai 846)Erd Gein

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Je fais signe à Gunther que nous devons débarrasser la table

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Je fais signe à Gunther que nous devons débarrasser la table. Il se lève alors et commence à empiler les assiettes tandis que ma mère pompe l'eau dans l'évier. Mariele est restée très silencieuse tout au long du repas, mais sa main n'a pas quitté la mienne...

Ces quelques jours de battement avant le grand départ ont été bien employés. Même si la joie et la douleur se mêlent à chaque instant, nous essayons tous d'oublier ce qui va se passer et de parler de choses plus légères. C'est Gunther qui a fait l'essentiel de la conversation, il est très fort pour donner le change. Maman a souri de temps en temps à ses pitreries, mais le sourire de Mariele me manque. C'est difficile de lui expliquer, et je sais que ce serait vain. Elle n'a jamais été très heureuse de me savoir explorateur, car cela chamboule nos projets de vie initiaux, et parfois, il m'arrive d'être d'accord.

Mais ce qui est vrai aussi c'est que si j'ai des enfants avec elle, je voudrais qu'ils vivent dans un monde sans titans, sans Murs et sans tous ces mystères sur le monde extérieur. Je sais qu'en prenant part aux explorations, je mets ma vie en danger, et que tout ceci pourrait ne jamais arriver, mais je ne peux pas me raisonner au-delà de ce point. J'ai le sentiment que je dois tenter quelque chose et que si je n'y arrive pas... Mariele refera sa vie et que d'autres enfants profiteront des fruits de notre travail. C'est étrange à mon âge d'être aussi serein face à la perspective de la mort mais ce raisonnement m'aide justement à vaincre la peur.

Je fais partie d'un tout soudé, qui s'appelle le bataillon d'exploration. Une partie de mon coeur appartiendra toujours à Mariele, et je ferais tout ce que je peux pour survivre ; mais l'autre partie, je l'ai dédiée à l'humanité. C'est mon choix et je ne peux pas me débiner sous prétexte que je risque de mourir. Je l'accepte. Je le dois à mes camarades.

Nous amenons la vaisselle sale dans la cuisine et la posons dans l'évier. Maman a déjà saisi la brosse et s'apprête à frotter les ustensiles, mais sa main se pose sur la mienne et reste là, sans bouger, légèrement tremblante. Je lui masse l'épaule doucement dans un geste de réconfort, mais sous ses cils baissés, je vois bien à quel point elle est dévastée. Elle n'a jamais été aussi consciente qu'elle pouvait perdre son fils. Je voudrais la réconforter mais rien de ce que je pourrais dire n'apaisera sa peine... Je reste à ses côtés, et tandis, que Mariele, Gunther et Nadja sortent devant la maison, je la laisse enfouir son visage contre moi en murmurant "ça va aller..." Je me prépare mentalement à devoir provoquer la même émotion quand nous irons rendre visite à la mère de Mariele et Nadja. J'ai besoin que tu me souhaites le succès, quoi qu'il arrive, je... je ferais tout pour revenir. Et Gunther sera là, avec moi, tu sais bien que quand on est ensemble, rien ne peut arriver !

Elle se redresse en essuyant ses yeux embués et évoque un lointain souvenir de notre enfance. Elle n'oublie jamais rien, même les plus petites choses. En l'écoutant, je jette un oeil par la porte ouverte donnant sur la cour et j'aperçois Gunther faisant rebondir une balle. La balle est restée la même alors que nous avons grandi. Nadja essaie de la lui prendre, et même Mariele semble lâcher un rire en les voyant. Nous avons changé... mais certaines choses restent malgré tout. Il est tentant de désirer qu'elles restent pour toujours les mêmes ; mais c'est impossible. Cette cour résonnera peut-être des cris de mes enfants jouant avec cette balle...

Je laisse ma mère à la vaisselle et vais retrouver les autres dehors. Il fait un beau soleil, tout est calme et paisible. Je m'imprègne de tout, en me disant que c'est peut-être la dernière fois que je vois ces vieilles pierres. Je rejoins Mariele sur le banc. C'est sur ce banc que je lui ai dit pour la première fois que je l'aimais. Elle s'en doutait déjà, elle n'a donc pas été surprise. Je la prends par l'épaule et elle s'incline vers moi sans rien dire. Je pose ma tête sur la sienne et regarde avec indolence Nadja et Gunther jouer à la balle à quelques pas de nous.

Je vais revenir, Mariele, je ne veux pas te laisser seule... Je voudrais rester mais on m'appelle ailleurs. Considère ça comme un devoir si tu veux, mais il y a tant d'autres choses... Elle serre sa main sur la mienne et je sais alors qu'elle a compris. Elle acceptera de me laisser de partir... et de m'attendre.

J'entends le rebond de la balle venir vers nous et j'ai juste le temps de la saisir au vol. Gunther se frotte la nuque pour me faire croire que c'était pas fait exprès mais je suis pas dupe. Je garde la balle dans mes mains et l'observe. Elle est toute cabossée mais elle rebondit bien encore. Il y a tant de souvenirs à sa surface...

Je m'apprête à lui relancer mais ils ont tous deux disparu de ma vue. Je les cherche du regard et les aperçois à l'autre bout de la cour, à l'ombre d'un toit bas. On dirait qu'ils parlent. Je me demande bien si... Mariele passe ses doigts sur ma joue et me demande de l'embrasser. Ce n'est si souvent... Alors je m'exécute et cela me fait un bien fou ! Quand nous nous séparons, je me sens plus fort encore. Elle me rend fort par sa seule présence et c'est aussi pour ça que je l'aime. Je file un oeil vers Gunther et Nadja et je remarque que leurs silhouettes semblent fondues l'une dans l'autre... Attends, tu vas pas me dire... Je ne suis pas sûr vu d'ici, mais... c'est probable ! Si c'est le cas, je le saurais vite, Gunther me le dira !

Ecoute, vieux, quoi qu'elle t'ait donné, j'espère que c'était aussi agréable et puissant que pour moi !

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant