ABSENTS LES CHATS, LES SOURIS DANSENT (décembre 845) Darius Zackley

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J'attrape mon verre de vin et le porte à ma bouche

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J'attrape mon verre de vin et le porte à ma bouche. Hmm, il est déjà tiède... La saison est encore anormalement chaude, cet hiver sera court. Mai la neige peut tomber dès demain, les changements de temps impromptus sont courant. Raison de plus pour ne pas faire traîner les formalités.

Assis à mon bureau, à l'étage, je remets en ordre les feuilles récapitulant les différentes étapes à aborder durant notre prochaine réunion militaire. Une fois l'an - plus si nécessaire -, les représentants de chaque régiment se rassemblent à Mitras afin de discuter des objectifs de la nouvelle année à venir. Chacun amène ses arguments, ses préoccupations, ses doléances, et mon travail est d'arbitrer les débats, puis d'en rendre compte au roi. Je me doute que cette fois, les discussions seront houleuses, avec tous ces évènements inédits survenus...

Dork se montrera encore une fois soucieux que la sécurité du roi soit assurée, et demandera des fonds pour payer davantage de brigadiers. Il redoute toujours une tentative d'assassinat ou de coup d'état, et cela se comprend car les mécontents grondent. Je ne doute pas que ce budget sera gracieusement prélevé sur le trésor royal. Pixis, lui, jouera comme toujours le vieux soldat flegmatique proche du peuple et des soldats, tout en ne cachant pas ses doutes quant à l'avenir. Il se plaindra que ses hommes sont plus occupés à gérer le flux de réfugiés que de faire régner l'ordre dans les rues. Je dois penser à ramener une bouteille de ma cave, cela calme toujours les esprits. Et puis il reste...

Ce sera sa première réunion de ce type. Même si j'ai pu l'observer lors de ma soirée, j'ignore encore qui est réellement Erwin Smith. Mais si j'en crois le reçu qu'il a accepté de Dame Tabea, il semble prêt à tout pour amasser des fonds pour son régiment. Le bataillon a soudainement pris une grande importance, et il le sait. Espérons seulement qu'il n'ait pas attrapé la grosse tête... Il ne faudrait pas qu'il croit qu'il peut faire ce qu'il veut quand j'ai le dos tourné...

Je me lève, traverse mon bureau et vient me poster devant le mur d'en face, où est exposée ma dernière acquisition artistique. Un tableau d'un goût si étrange qu'il m'arrive de me sentir mal à l'aise en le regardant... Mais ces formes grotesques ont le don de me plonger dans la réflexion et me donnent parfois de bonnes idées. Je ne sais pas encore si je dois ouvertement soutenir le bataillon ou si je dois lui opposer un barrage de façade. Si cette réunion a toujours lieu à Mitras, ce n'est pas par hasard ; les espions royaux, les brigades centrales, épieront nos conversations et décortiqueront nos attitudes. Je le sais, et Smith doit le savoir aussi. Je sais déjà que nous ferons tout notre possible pour paraître neutres dans nos opinions. Cet homme est capable de la plus efficace duplicité quand il s'agit de masquer ce qu'il pense réellement. J'étais pareil à son âge et cela a fini par devenir une habitude.

Je ne peux me permettre de donner à Smith ce qu'il demandera. Il faudra me montrer bienveillant et lui expliquer que le bataillon doit rester à sa place, quoi qu'il arrive. Cela contentera les oreilles indiscrètes. Mais les propositions qu'il fera seront sans aucun doute intéressantes et m'aideront à cerner davantage sa psychologie. Il est d'une intelligence rare et il est évident pour moi qu'il énoncera des vérités que personne ne veut entendre - sauf moi. Il est important que ces vérités remontent jusqu'aux oreilles du roi... ou de celui qui règne réellement sur ce Royaume, qui qu'il soit. L'idée que ce jeune homme puisse faire trembler le trône par ses idées et ses expériences à l'extérieur me plaît beaucoup... mais il n'est pas encore temps de lâcher la bride de cet animal fougueux. Il faut le faire parader au petit trot encore un peu, et c'est moi qui le tiendrai entravé.

Décidément, ce vin n'est plus assez frais. Je retourne à reculons vers mon bureau et pose le verre à moitié plein sur la table. A moitié plein ou à moitié vide... Contenter tout le monde tout en ne donnant pas grand chose, c'est l'aspect le plus politique de mon travail. Un jeu d'équilibriste menacé par la chute de Maria... La priorité sera de loger les réfugiés et c'est avec Pixis que j'aurais affaire en premier lieu. Quant à la reprise du Mur...

L'expédition de Smith a été brillante et les journaux en ont fait leur une - j'en ai encore un exemplaire quelque part par ici... Pour la première fois depuis que ce régiment existe, les brassées de fleurs ont plu sur les soldats de retour, à la place des cailloux et des insultes. Qu'on le veuille ou non, une nouvelle ère a vraiment commencé. Tout le monde semble croire que les explorateurs vont régler le problème. Et à vrai dire, à part eux, je ne vois pas qui le pourrait... Mes informateurs ne m'ont rapporté aucune discussion sérieuse au sujet de ce qui s'est passé à Shiganshina parmi les courtisans, à croire que personne ne s'en préoccupe ou ne s'interroge là-dessus. Il faudra bien qu'ils lâchent quelque chose, un de ces jours... Ou alors ils ignorent vraiment tout. Mais j'en doute grandement ; j'ai passé assez de temps dans ce milieu pour savoir qu'ils cachent des choses et que cela a sans doute rapport avec la chute du Mur.

C'est comme s'ils faisaient semblant de ne rien voir, ces merdeux en velours. Ou alors ils sont réellement embarrassés par un fâcheux petit secret...

Et si le bataillon le découvrait, ce secret ? Ah, comme j'aimerais les voir se chier dessus de peur !

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant