SAVOIR, C'EST SE SOUVENIR(juillet 846)Erd Gin

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Tout est devenu plus compliqué depuis quelques jours

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Tout est devenu plus compliqué depuis quelques jours. L'ambiance est tendue, je me mets à suspecter tout le monde, c'est embarassant... Le caporal-chef a été très clair sur le fait que nous ne devions pas sympathiser avec les nouveaux venus, à moins que ce soit pour soutirer des informations.

La plupart des recrues sont amicales. Et comme nous sommes des vétérans plus accessibles que nos supérieurs, ils nous sollicitent souvent, pour des tas de trucs. On doit garder la tête froide avec Gunther et essayer de déceler les comportements suspects. Mais je dois pas être doué parce que personne ne se conduit bizarrement, alors...

Il ne fait pourtant aucun doute que nous sommes infiltrés. Des informations secrètes ont été divulguées, et nous devons faire attention chaque fois que nous parlons entre nous. Le caporal-chef nous donne nos ordres directement dans la buanderie afin que personne n'entende. Ou alors il nous emmène en ville en prétextant une commission à faire. Je me demande si ce n'est pas pour ça qu'il ne nous dit rien au sujet de nos futurs camarades. Notre escouade est réduite de moitié et il doit vite trouver des remplaçants. Il craint peut-être qu'on ne lui mette des bâtons dans les roues s'il annonce des noms...

Les entraînements sont compliqués. Gunther et moi, on fait de notre mieux, mais à deux, c'est très limité. Le caporal vient rarement s'entraîner avec nous car il doit surveiller les soldats en permanence. Il traîne souvent dans le couloir des gradés, à faire la ronde. Le bureau du major a été fracturé, et il ne veut pas que cela se reproduise. Il nous a dit qu'une nouvelle serrure avait déjà été posée, d'un genre tout nouveau, inviolable paraît-il. Mais il ne semble guère y faire confiance...

J'ai réussi à m'absenter un moment pour aller voir Nadja à l'hôpital. Son état reste inchangé ; elle demeure silencieuse, les yeux ouverts, les mains posées sur ses genoux, à attendre quelque chose qui ne vient pas... Claus est rentré chez lui depuis un moment, je n'ai pas eu la possibilité de le revoir... C'est difficile de se dire que des camarades qui ont fait partie de votre vie, même pendant un temps si court, peuvent ainsi disparaître comme si vous ne les aviez jamais connus... Mariele et ses parents sont restés cloîtrés chez eux pendant des jours, dans leur chagrin inconsolable. Mais finalement elle m'a ouvert la porte et m'a annoncé que sa mère n'allait pas bien. Ils n'ont pas les moyens de l'emmener à l'hôpital - les soins de Nadja sont pris en charge par la pension des vétérans de guerre - alors elle reste alitée chez elle. Elle parle encore moins qu'avant... Je sais qu'elle m'aime toujours, mais l'état de sa soeur semble se transmettre à elle aussi... Sa joie de me voir revenir en vie paraît avoir été balayée par tout le reste...

Je dois essayer de recoller les morceaux. L'ennui, c'est que je ne sais pas par lequel commencer. Le bataillon a aussi ses propres problèmes à résoudre, et je ne peux pas être avec elle aussi souvent que je le voudrais. En route pour le QGR, je m'arrête un instant et me demande si je ne devrais pas plutôt aller la voir... Non, le caporal doit avoir de nouvelles directives à nous donner, et je ne dois pas traîner. J'accélère l'allure et me retrouve bientôt dans la cour. Aucune trace du caporal, ni de Gunther. A tous les coups, il doit être à l'étage.

Je me fraie un passage parmi les recrues qui essaient de m'arrêter pour me poser des questions, en faisant de mon mieux pour répondre ; puis je passe la porte du mess et me retrouve dans le vestibule de l'aile réservée au bataillon. Le drapeau de notre régiment est cloué au mur, au-dessus d'une vaste cheminée ; les ailes de la liberté sont toujours déployées, elles sont parvenus à nous faire voler au-dessus de la mort qui a pris tous les autres...

Pourquoi je me sens si honteux d'être en vie tout à coup ? A cause des rayons obliques et mourants du soleil passant par la fenêtre, les ailes blanches et bleues semblent prendre feu...

Stop les idées noires ! Nous sommes toujours bien là et cela va durer ! Le major va nous tirer de là, et nous donner une nouvelle direction à prendre ! Pourquoi aurions-nous survécu, sinon ? Je vais faire en sorte de secouer le caporal-chef - enfin pas trop fort - afin qu'il se décide concernant nos nouveaux compagnons. Il a fait la tournée des camps d'entraînement à l'ouest, il doit bien avoir une idée. Nous devons reprendre un rythme de vie normal, au plus vite ! Sinon je ne vais pas cesser de penser à Nadja, toute seule dans cette chambre blanche, près de son lit blanc... une vivante recouverte d'un linceul immaculé...

Je presse le pas et monte les escaliers quatre à quatre. Enfin le dernier étage. Je n'entends aucun bruit, le caporal ne s'y trouve peut-être pas. Mais je peux aller toquer à la porte de sa chambre à tout hasard. Je marche le long du couloir et tourne au coin, pour me retrouver dans le corridor où sont alignées les quartiers de l'état-major. La chambre du capitaine Mike est la première de la rangée, puis celle du major, un peu plus loin. La pièce privée du caporal - lui-même ne l'appelle jamais " sa chambre - est encore plus au fond ; quant au repaire du capitaine Hanji, il se trouve encore plus loin, après un autre coude qui l'isole du reste du bâtiment. Question de sécurité, paraît-il.

J'avance, les yeux au sol, quand un sixième sens me prévient qu'il y a quelqu'un dans le couloir. Je lève le regard et constate qu'une ombre se découpe sur la fenêtre qui perce l'autre bout du corridor. Elle se trouve à une dizaine de mètres, et semble immobile devant la porte du bureau du major. Non, pas immobile ; sa main est posée sur la poignée de la porte.

J'allonge mes foulées, soudain en alerte, et plisse les paupières pour mieux voir. C'est un soldat. Une femme.

Que fait-elle ici ? Elle va devoir s'expliquer !

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant