LES COEURS HEUREUX SE RIENT DU FROID (décembre 845) Hanji Zoe

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Nous y voilà

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Nous y voilà. J'ai fait un effort de toilette pour le grand soir, mais pas trop, histoire de rester à l'aise. Je suppose qu'Erwin a fait pareil et je voudrais pas avoir l'air trop dépareillée à côté de lui.

C'est dingue ce que je peux être paumée dans mes propres affaires quand Moblit est pas là ! C'est à me demander comment je faisais avant lui ! J'ai mis au moins dix minutes pour retrouver ma veste, et le pantalon qui va avec ; je les avais remisés au fond de mon armoire depuis la dernière utilisation - il y a trois mois de ça je crois. J'aime pas ce genre de fringues mais Erwin nous avait ordonné d'en avoir pour les occasions spéciales. Je suppose que ç'en est une.

Je jette un coup d'oeil rapide dans un petit bout de miroir rescapé - je l'ai fait tomber l'autre jour, en cherchant des trucs -, juge que c'est bien suffisant et me décide à descendre. Sur la palier, je croise le major, lui aussi habillé de frais, la barbe rasée et les cheveux bien lissés cette fois. Je le rejoins, admire sa mise, et il me dit que c'est la première moitié du boulot d'achevée. Je lui fourre mon coude dans les côtes et lui rappelle que la partie la plus difficile est encore à accomplir. Tu vas devoir te montrer persuasif ou tout va capoter.

Nous allons frapper ensemble à la porte de Livaï, qui avait décidé de s'enfermer pour la soirée. J'avale un peu ma salive en me demandant s'il va comprendre tout de suite ou s'imaginer encore des plans tordus ! Les doigts d'Erwin résonnent contre le chambranle - j'entends un soupir ennuyé de l'autre côté et une chaise racler le sol - et le visage contrarié du nain apparaît enfin. Evidemment, il nous scrute des pieds à la tête. Je souris afin de le détendre.

Erwin lui annonce le topo. C'est la nuit de Yule et il est hors de question de rester ici. Lui et moi descendons en ville dans un petit resto pas trop chic ni trop cher pour faire la fête ! Livaï grogne un "bonne soirée" en s'apprêtant à fermer la porte mais Erwin la retient. Je précise que c'est une soirée prévue pour trois et qu'il faut que tu participes sinon il manquera quelqu'un ! Il se renfrogne en nous regardant par en-dessous, puis murmure qu'il comprend maintenant ce que nous étions en train de mijoter toute la semaine. Allez, habille-toi ! Pas besoin d'en faire des tonnes, attrape ta veste et...

Livaï semble pas motivé du tout. Erwin, s'il te plaît, fais quelque chose ou ce rabat-joie va tout faire foirer ! Il faut le mettre en condition pour... tu sais ! Le major reprend la main et annonce à Livaï que c'est peut-être la dernière fois avant longtemps que nous aurons la possibilité de dîner ensemble ailleurs que dans notre QG, que l'un de nous peut mourir lors de la prochaine expédition, et que si cela devait se produire, il s'en voudrait sans doute toute sa vie d'avoir loupé cette occasion. Tu y vas pas à la légère...

Allez, Livaï, les familles sont réunies ce soir. On ne devrait pas être en reste et faire comme les autres !

L'expression de Livaï change alors imperceptiblement, et je ne sais pas si c'est mon argument qui a fait mouche, ou ceux d'Erwin... Il referme la porte en nous demandant d'attendre un peu. Sitôt seuls dans le couloir, je me remets à respirer. C'est bon, on le tient ! On va le forcer à s'amuser qu'il le veuille ou non ! Toi qui a passé Yule avec lui l'an dernier, il est facile à dérider ou bien on va encore devoir batailler ? Erwin répond évasivement que LivaÏ a ses moments et que c'est difficile de déterminer quand ils arrivent. Mais il sait être agréable quand il veut.

Livaï réapparaît et nous rejoint dans le couloir. Il porte une chemise plutôt légère et sa veste ne risque pas de le protéger du froid. Mmmh, finalement Erwin a vu juste, je m'incline... Mais faudrait pas qu'il chope la mort sur la route ! On va pas traîner ! Allez, les gars, en avant !

J'ouvre la marche en avançant joyeusement tandis qu'ils traînent derrière. Après les enfilades de couloirs et d'escaliers habituels, nous débouchons à l'air libre, sous le ciel nocturne parsemé des lumières de la ville. La neige n'a pas repris et il fait tout juste frais ; le beffroi sonne vingt heures et je presse mes camarades. On se dépêche ! On a réservé une table pour dans dix minutes ! Le temps d'y arriver, ce sera pile poil !

Mais Erwin et Livaï ne semblent pas si pressés que ça. Le nain est occupé à mettre ses gants blancs et le major l'observe avec amusement. Tu les garderas pas longtemps, c'est à seulement trois rues d'ici. Mettons nous en route, j'ai une faim de loup !

Je me place entre eux deux et je me sens tout à coup très heureuse. Evidemment, dans la position où nous nous trouvons au quotidien, il n'est pas toujours facile de lier des amitiés simples et dénuées d'intérêt. Je ne peux pas dire que je les considère l'un et l'autre comme des "amis" dans le sens où le comprendrait une personne extérieure au bataillon. Je me souviens des "amis" que j'avais dans mon enfance, avec lesquels je traînais et faisais les quatre cents coups. Même Sofie, je peux la considérer comme une "amie" dans ce sens-là. Mais avec eux, c'est différent. Même s'il y a entre nous une certaine distance liée à notre travail si particulier, je me sens reliée à eux par d'autres choses que je ne peux partager avec personne d'autre. Ils sont un peu comme des frères d'une autre mère. Nous souffrons, nous fuyons, nous galopons ensemble ; nous découvrons le monde extérieur, nous combattons des titans... Cela nous isole les uns des autres mais nous rapproche aussi, c'est très curieux...

Je me dis que ce soir au moins, nous pouvons aussi rire et nous amuser ensemble sans penser à demain. Ces émotions du Yule précédent... elles étaient uniques, et même si nous ne sommes que trois cette fois, j'espère que cela peut revenir ! Les bras passés dans les leurs, j'essaie d'adapter mon allure aux grands enjambées d'Erwin et aux pas plus mesurés de Livaï, un jeu d'équilibre que je dois assurer au quotidien dès que je suis en leur présence. Ce n'est pas facile de vivre aux côtés de deux hommes de leur trempe, et comme je suis la plus jeune, il m'arrive de remettre en question ma légitimité à me trouver auprès d'eux...

Nous arrivons, j'aperçois l'enseigne de l'auberge. C'est Erwin qui l'a choisie, en prétendant que ce genre d'endroit lui rappelait ses classes, quand ils allaient boire entre cadets après les exercices à Stohess. On y fait pas de chichi, il y a de l'ambiance, de la musique, de la bonne bouffe pas chère. Tout ce qu'il faut pour passer une bonne soirée !

Il reste quelques mètres à parcourir, quand Erwin se détache de moi et traverse la rue après le passage d'un fiacre. Je le vois faire un geste du bras afin de saluer quelqu'un, mais je ne vois pas à qui il fait signe. Il semble s'adresser à un groupe de personnes, une petite famille apparemment, sur le trottoir d'en face. Je me rapproche de Livaï en lui demandant s'il sait de qui il s'agit.

Il répond en soufflant "Mr Moustache et sa tribu". Hein ?!

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant