Sans ambition, il n'y a pas de talent(août 846)Kryshan

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Ouf, cet entraînement n'en finissait plus ! Je serais pas mécontent d'aller piquer une tête quelque part !

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Ouf, cet entraînement n'en finissait plus ! Je serais pas mécontent d'aller piquer une tête quelque part !

La chaleur écrasante rend mes fourreaux encore plus lourds et la sueur colle ma chemise sur ma peau. Je suis pas le seul. A vrai dire, j'ai plus fière allure que mes camarades... Où est Bernon ? Ah, le voilà. Il a dû se poser quelque part pour recharger son gaz. On a bien pris le coup de main, maintenant.

Ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée de rejoindre le bataillon finalement. Les titans ne sont pas si terribles après tout. Nos camarades tremblent des pieds à la tête quand on les évoque, mais moi... ils me font surtout pitié en fait. La première fois que j'ai fait face à l'un d'eux, j'ai été saisi par l'expression figée de son visage. Comme s'il appelait à l'aide...

Nos exploits nous ont valu le respect au moins. Au début, on nous regardait avec crainte et curiosité ; ce n'est plus le cas depuis notre retour. Et puis nous sommes revenus avec le caporal Livaï, forcément, ça en jette... Ber, rapplique ! Les exercices sont terminés !

En silence comme d'habitude, mon frère atterrit juste à côté et s'avance vers moi. C'est moi ou ses cheveux ont encore poussé ? Ils poussent toujours plus vite que les miens. La semaine dernière ils balayaient à peine sa nuque et aujourd'hui ils tombent en dessous de ses épaules. Ouais, il faut les couper plus souvent. Il fait la moue. Je sais, c'est chiant, mais tu sais bien que c'est la procédure, tu vas finir par te faire engueuler ! Je dis ça mais je vais devoir le faire aussi de toutes façons...

On marche tranquillement pour rejoindre les autres, quand une petite silhouette vient nous barrer la route. Ca alors ? C'est le caporal ! Il me semblait bien l'avoir vu nous reluquer de loin ! Bernon s'immobilise à côté de moi et nous attendons la suite des évènements. Le petit homme nous tourne autour un moment - je le croyais pas si minuscule, c'était trompeur sur le cheval... - et semble nous observer sous toutes les coutures. Caporal ?... Pouvons-nous... quelque chose pour vous ? Bernon se presse contre moi, mis mal à l'aise par ce regard insistant. Comme toujours, je le rassure par la pensée.

Le caporal s'arrête enfin face à nous et me fixe par en-dessous, le menton levé. Il détaille vraiment ma physionomie de près... J'ose pas commenter, ce serait sans doute impoli dans ma position mais... Si vous voulez nous poser des questions, allez-y, mon frère et moi, on s'y attendait un peu déjà... Cela semble le dérider et il nous fait signe de rejoindre un petit coin à l'écart. Il s'adosse à un baraquement et ne perd pas de temps. Il nous demande quelle est notre histoire, à nous deux. Je souris un peu amèrement en moi-même. J'avais beau m'y attendre, c'est pas forcément agréable de se lancer dans de grandes explications... Mais bon, c'est le caporal.

Et bien voilà... Mois c'est Kryshan, et mon frère, c'est Bernon. Juste Kryshan et Bernon. Non, on a pas de nom de famille. Il hausse le sourcils. Ah oui ! C'est aussi votre cas, je crois ? Vous aussi vous venez d'un orphelinat ? Bernon tire ma manche par derrière pour me mettre en garde. Oups, oui... Je me laisse vite emporter... Excusez, caporal. Donc... on a pas de parents. On sort de l'orphelinat de Karanes. C'était pas le bagne, on y était plutôt bien. Je suppose que nos parents ont pas pu gérer... enfin, vous savez... Deux jumeaux... et avec notre air bizarre en plus... Vous en faites pas, on le sait ! Dans notre ville, les jumeaux, c'est pas très bien vu. D'habitude, on les jette dans les puits, ils portent malheur à ce qu'on dit... On y a échappé au moins. Non, nos cheveux sont naturellement blancs. On sait pas pourquoi. On a prévu de les couper de nouveau, hein ! Mais ils repoussent trop vite, surtout ceux de Ber, on sait pas pourquoi non plus...

Il nous demande de continuer en regardant Bernon par-dessus mon épaule. Perdez pas votre temps avec ça, il est muet, comme je vous l'ai dit. Je parle pour nous deux. D'ailleurs, si je parle trop, hésitez pas à me le dire ! Il hoche la tête avec un air interloqué, et je peux alors reprendre mon récit. On s'est engagés tous les deux dans l'armée à douze ans. C'était le bon âge pour quitter l'orphelinat. On avait un peu peur de se mêler aux gens et de devoir constamment justifier notre existence auprès de tout le monde. Les brigades d'entraînement, c'était vraiment dur. On nous faisait des crasses tout le temps. Combien de fois j'ai retrouvé des rats morts dans mon lit et Ber des cafards dans sa bouffe ! Très souvent. Soit on nous fuyait, soit on nous rendait la vie dure. Ca nous a endurcis, et soudés encore plus. On s'est beaucoup entraînés ensemble. Mmh ? Ah oui... Ils ont accepté Ber parce qu'il a parfaitement réussi le test d'équilibre ; il est resté en position pendant une heure. Même s'il parle pas, il comprend très bien ce qu'on lui dit, c'est pas un attardé, hein !

Je me rends compte du temps que je perds quotidiennement à excuser le mutisme de mon frère auprès des gens... Si seulement ils pouvaient entendre sa voix comme je l'entends ! Je sais pas comment, mais je parviens parfaitement à percevoir sa voix ; comme s'il me parlait dans ma tête. C'est pas possible d'expliquer ça aux autres. Même si le caporal m'a l'air assez exceptionnel, au moins autant qu'on le dit, c'est quelque chose qui lui échappera toujours, je crois... Pourtant, c'est bizarre, mais... en sa présence, je sens comme... une familiarité. Comme si j'avais retrouvé un ami perdu de vue. Il m'intimide pas du tout ; Ber est plus réservé mais je sais qu'il pense comme moi.

Alors, à la fin de notre entraînement, Ber est arrivé deuxième et moi cinquième. On avait tout ce qu'il fallait pour aller se planquer dans les brigades spéciales ; et je voulais le faire, j'avoue ! C'est Ber qui a insisté pour qu'on aille rejoindre le bataillon ! Il me disait que notre mission était de sauver l'humanité et de libérer les titans, un truc du genre... C'est un peu confus même pour moi, caporal, je vous assure. On a rejoint les brigades, on y était plutôt tranquilles, mais on s'ennuyait ferme ; on avait l'impression de servir à rien. Et puis, il y a eu le recrutement. Ber a remit ça sur le tapis, répétant que c'était notre chance. Je me suis laissé convaincre et... nous voilà !

Hmm, ça vous va, comme résumé ?

Il me reproche pas du tout mon manquement au protocole. Bernon et moi devrions être au garde-à-vous devant lui, le cul serré, droits comme des i. Mais il ne semble rien remarquer. J'ai noté que la hiérarchie, dans le bataillon, c'est assez flou. Les vétérans sont plutôt accessibles, même si le major l'est beaucoup moins... Il ajoute qu'il a été impressionné par notre prestation dehors, et qu'il n'avait jamais vu des soldats bouger aussi vite que lui. Ouaah, je sais pas trop quoi dire, là...

Il demande enfin comment nous nous sentons dans le régiment, si nous sommes bien traités. Sa sollicitude nous touche tous les deux... A vrai dire, les explorateurs n'ont rien en commun avec les soldats que nous avons côtoyés. Plus on est bizarres, plus ça semble la norme ici, ha ha ! On a pas eu de problèmes ; quelques oeillades appuyées peut-être. Mais c'est vraiment rien du tout. On nous a mis dans la même équipe afin que je puisse "traduire" ce que dit Ber pour les autres. Aussi parce qu'on fonctionne très bien ensemble ; séparez-nous et je garantis plus nos résultats. Notre première sortie ? J'ai trouvé ça génial ! Enfin, pas aussi terrible qu'on le dit... Les titans ne sont pas si forts que ça, ni si effrayants. Je sais, ça fait un peu prétentieux de le dire comme ça, mais... c'est vraiment ce qu'on pense, pas vrai, Ber ?

Le caporal nous informe que cette expédition était vraiment courte et sans danger. Je vois... Et bien, nous sommes prêts pour la prochaine. Même si ça me fait de la peine de voir de nouveau ces visages tristes... Ils sont tristes, les titans, n'est-ce pas, caporal ? Vous avez pas remarqué ? J'ai eu de la peine à tuer le premier... mais vu leur état... c'est un peu comme si on les libérait, non ?

Le caporal soupire et répond que si je veux parler de titans pendant des heures, je dois aller voir la chef d'escouade Hanji Zoe. Euh... je n'oublie pas... Pouvons-nous aller nous baigner maintenant ? Les camarades nous ont dit qu'il y avait un lac pas loin, ils doivent déjà y être. On a vraiment chaud, pas vous, caporal ? Il nous donne l'autorisation de décamper et Bernon et moi filons sans même prendre le temps de saluer.

C'est un drôle de personnage, lui aussi ! Tous les explorateurs sont étranges, on se sent bien parmi eux ! Eh Ber, tu en as pensé quoi ? Il me répond que j'ai été bien bête de me comporter comme s'il était notre égal. J'ai pas fait attention... Il m'a rien dit, non ? Et quoi d'autre ? Un interrogatoire ? C'est vrai, c'était un peu ça... Il s'intéresse à nous ? Pourquoi d'après toi ? Il me colle une claque sur la tête en soupirant. Non, tu crois vraiment ?... C'est vrai que l'escouade tactique est incomplète depuis un moment. Me dis pas que...

On risque de devenir des soldats d'élite, vraiment ?

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 3 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant