1.4 Mika

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L'écran put être à peu près sauvé. Des traces agaçantes subsistaient, mais Mika n'avait pas pu frotter plus sans l'abimer. La souris était morte, mais il en avait une vieille de côté, elle double-cliquait sans raison, mais ça ferait l'affaire. Pour le clavier, il fallut ôter toutes les touches une par une pour les nettoyer minutieusement, mais malgré cela, il n'était plus aussi réactif. À changer. Il passa du temps à récupérer son bureau et sa chaise, jetant tout ce qui était papiers souillés, irrécupérables. Il termina par le sol, en gros, pour que ça ne salisse pas le reste, et à la fin de la soirée, cette partie là, au moins, de chez lui avait récupéré ses couleurs. Alors les fenêtres grandes ouvertes, il s'installa sur sa chaise et ferma les yeux. Il fallait qu'il dorme même si ce n'était que quelques minutes avant le prochain raid.

C'est la sonnerie du téléphone qui le réveilla le lendemain matin.

— Oh non ! 

Il gémit en regardant les messages de sa boite mail. La guilde l'avait attendu, il leur avait fait faux bon. Il avait horreur d'oublier un rendez-vous important. Une migraine épouvantable lui déchirait la tête et le téléphone ne faisait qu'empirer les choses. Il décrocha.

— Maman ? répondit-il d'une voix fatiguée.

— Bonjour, mon bébé, tu dormais encore ?

— Oui. Ce n'est pas grave, mon réveil allait sonner.

— Désolée ! Tu te lèves tard.

— Je commence à dix-heures le jeudi.

— Ah oui, c'est vrai, mais ça me fait tard pour appeler, remarqua-t-elle. Je tombe déjà de sommeil.

— Repose-toi. Alors, quoi de neuf ? Ça y est Élodie à un bébé ?

— Non pas encore. Mais elle va se marier ! 

Mika se sentit partir en arrière. Le vertige raviva sa migraine avec force. Élo, sa sœur avait deux ans de plus que lui, mais il y avait un univers entre elle et lui. Pas seulement par la distance, elle était restée sur Terre, et lui il était sur Gaïa à l'extrême opposée de l'orbite terrestre autour du soleil.

Leurs deux vies n'avaient rien à voir. Elle avait un copain avec qui elle allait se marier et avec qui elle cherchait à faire un enfant. Elle n'avait pourtant que vingt-deux ans... et ça rendait leur mère si fière.

Lui, où en était-il ? Il était coincé dans une ville de Gaïa, sans projet d'avenir, à louper son année, seul dans un appartement rose avec un mal de tête qui battait tous les records à cause de l'odeur de la peinture.

— Ça va faire des frais, Franklin et moi, on va l'aider un peu, parce qu'il faut que ce soit un beau mariage, mais on va devoir prendre un peu d'argent dans la cagnotte qu'on t'a faite pour que tu puisses rentrer.

— Ce n'est pas grave, maman. Je ne suis pas encore près de rentrer, je te l'ai déjà dit.

— Si c'est grave ! Tu sais, j'aurais aimé que tu sois là pour le mariage de ta sœur. C'est tellement important, ce genre de choses ! Comment ça va avec Amandine ?

— Elle m'a quitté.

— Et bah... je m'y attendais. Les filles de Nevenoe ne valent pas cher. Tu as des nouvelles d'Océane ? 

— Elle va bien, répondit Mika blasé.

— Elle et toi vous devriez rentrer, vous n'avez rien à faire sur Gaïa, c'est un monde terne, froid et hostile.

— Il n'y a pas de bêtes sauvages, tu sais ? se moqua-t-il.

Était-ce un regret ? En tout cas, ça sonnait comme tel.

— Peut-être pas, mais il y a l'armée qui contrôle tout, et ce n'est jamais bon. Et puis c'est un monde froid.

— Tu l'as déjà dit, maman.

— Pas dans ce sens, je veux dire que les gens ne se parlent pas entre eux. Tu es si ouvert, si sociable ! Et tu es devenu si renfermé depuis que tu es là-bas. Comment vont tes cheveux ?

— Mes cheveux vont toujours très bien, je ne les perds pas, je ne suis ni stressé, ni déprimé.

— Ta voix me dit le contraire, mon bébé. Je ferais vraiment n'importe quoi pour que tu rentres.

— Un peu de patience, maman. Si j'échoue cette année, je te promets que je rentrerai.

Et c'était en bon chemin. Ça le tuait de l'admettre. 

— Le cursus de mathématique, c'était une mauvaise idée, continuait sa mère au milieu de son flot de paroles. On ne peut pas faire un bon métier avec un diplôme de math. Même les comptables ne font pas ça, c'est trop abstrait, trop difficile. Regarde ta sœur. Elle ne gagne pas une fortune, mais assez pour faire un bon ménage, et tu verrais, un beau mariage, aussi.

Elle était lancée. Quand elle s'y mettait, Mika n'avait plus voix au chapitre. Elle dénigrait Gaïa de toutes les manières possibles et imaginables et ne demandait qu'une chose. Rentre mon fils. Tout ira mieux quand tu seras à nouveau ici, mais rentre. Pourtant Mika avait toujours pris soin de lui cacher quand ça n'allait pas. Mais elle n'était pas idiote. Il était arrivé ici passionné, il avait passé une première année digne de ce nom, avec des notes assez bonnes pour obtenir les félicitations de la fac. Il avait échoué la suivante de peu. Et maintenant, il ne prenait même plus la peine d'écouter en cours. Plus envie.

— Je sais ce que vous avez fait ! cria la logeuse tandis quand il sortit un moment plus tard. Ça pue la peinture, ça dégoulinait dans le couloir ! Vous avez repeint l'appartement et écrit des insanités sur les murs ! Votre caution vous pouvez vous assoir dessus ! Je vais vous faire expulser, et après vous pourrez aller faire la manche avec les gamins dépenaillés dans la rue qui écoute de la musique de sauvage jusqu'à pas d'heure ! 

Mika passa à côté de la tornade sans la regarder. Elle lui faisait mal à la tête à lui crier dessus comme ça. Il savait qu'elle avait les clefs de chez lui. Sauf qu'il allait devoir changer la serrure s'il ne voulait pas qu'Amandine la furie vienne à nouveau s'en prendre à son ordinateur. En attendant, il devrait faire confiance à la logeuse pour surveiller les intrus. Quelle blague... 

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant