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Mika fila en direction de la gare, rapide et discret, le cœur battant la chamade. La gare était saturée de soldats. On avait bouclé l'une des entrées de la Croisée du secteur et des flammes immenses s'en échappaient. Le ciel de ce début de nuit était rouge, des panaches de fumée sortaient des conduits sous les trottoirs. Une odeur nauséabonde de cramé flottait dans l'air. Nevenoe avait des airs d'apocalypse. Mika se faufila derrière les humains qui observaient les flammes, comme fascinés et descendit à pas de loup vers les trains.

« Je suis là, annonça Mika par message à Osa. »

Puis tout à coup, il eut un doute. N'était-elle pas un protecteur du jeu elle aussi ? Elle était pourtant là quand ils avaient fait face à l'armée la première fois. Une boule d'angoisse le prit à la gorge lorsqu'il vit la jeune femme recroquevillée sous le train arrêté en gare. Il pria pour qu'elle ne soit pas blessée. Mais quand elle se redressa, il comprit que ce n'était pas elle, c'était Jack, allongé juste à côté d'elle.

— Mika, je n'ai jamais été aussi heureux de te voir, murmura l'Artiseur.

Elle retourna son attention sur Jack. Du sang coulait entre ses doigts serrés sur son ventre. Il semblait inconscient.

— Je l'ai trainé jusque là, je sais plus quoi faire.

— Ça va, toi ? demanda Mika en soulevant Jack.

Le Carlier poussa un râle douloureux. Osa lui plaqua la main sur la bouche pour qu'il ne trahisse pas leur présence, mais Jack reprenait conscience. Il regarda Osa et sourit.

— C'est bon, on est sauvé, l'élu est là, plaisanta-t-il.

— Tais-toi, idiot, garde tes forces.

Elle était blême. Elle tremblait. Mika la sentait à deux doigts de craquer.

— Eh, souffla Jack. Ne me regarde pas comme si j'allais mourir, je vais bien, d'accord. Je pourrais marcher, je t'assure.

— Mika est costaud, répondit-elle. Autant qu'il te porte.

Ils se faufilèrent le long du train, se rapprochant pas à pas de la brume.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Mika tandis qu'ils quittaient la gare.

— On s'est fait repérer tandis qu'on allait à l'Usine, répondit Osa. Ils ont tiré. Jack m'a sauvé.

— Vous faites une belle paire d'idiots, remarqua Mika le sourire aux lèvres. Une Artiseur qui passe son temps chez les Carliers, un Carlier qui passe son temps chez les Artiseurs.

Jack sourit. Il avait toujours son air étrangement décontracté malgré la situation, et ça rassurait Osa.

— Ne te moque pas, gronda-t-elle.

Pas à pas, ils regagnèrent l'entrée de l'arène du silence. Mika discerna le portail et s'arrêta devant.

— Tu vas pouvoir l'emmener à partir de là ? demanda-t-il en reposant Jack sur ses jambes.

— Non, répondit-elle. Je suis un protecteur, moi aussi, et on va continuer tous les deux.

— Tu n'es pas en état, contra Mika.

— Mais si, elle l'est, assura Jack.

Il passa un bras autour des épaules d'Osa et lui déposa un baiser sur la joue. Il se tenait droit, une main sur sa plaie, certes, mais décontracté comme si ce n'était rien.

— Sauve bien le monde, mon héroïne, lui souffla-t-il avant de la relâcher pour passer le portail. On bottera le cul à ton abruti de clan après.

Elle lui sourit. Elle souriait encore alors qu'il n'était plus là pour le voir. Peut-être que ce qui manquait à Osa, c'était qu'on lui fasse confiance.

— Je préviens le MJ qu'on bosse ensemble ? proposa-t-il.

Elle hocha la tête.

— J'ai reçu trois noms, dit-elle avec plus d'aplomb. Ce sont des types que je connais de vue, ils sont au centre-ville.

— D'accord... Allons-y.

Puis alors qu'ils se faufilaient entre les bâtiments silencieux, il demanda, mine de rien.

— Il y a un souci avec ton clan ? 

— Trois fois rien, répondit-elle.

Après un silence, elle se livra un peu plus.

— Les Artiseurs, c'est comme ça. À la moindre faiblesse, ils reprennent le contrôle comme ils peuvent. Law est dans le coma... et moi je n'ai jamais eu l'allure d'un chef. Alors ils essaient de me faire craquer. Si je n'y vais pas, ils ne peuvent s'en prendre à personne...

— Jack a raison, ce sont des abrutis. Mais... je peux me permettre juste un commentaire ?

Elle hocha la tête, surprise.

— Tu n'as pas besoin de Law pour monter ton clan. À moi aussi, ça m'avait donné l'impression que tu te cachais derrière lui. Mais en vrai, tu es une sacrée mégère... Et je ne connais personne qui puisse te tenir tête.

Elle rit doucement.

— T'es gentil.

— Pas vraiment, non... Mais si tu le prends comme ça, bah tant mieux. 

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant