17.2 Mika

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Mika avait toujours cru que Ian habitait à la Boite, pourtant ce dernier le guidait ailleurs, et plus précisément en direction de l'Usine des Artiseurs, mais déviait de plus en plus vers des terrains vagues.

— Je t'emmène ici, mais c'est un secret, bien évidemment. Tu le gardes pour toi.

— Promis, assura Mika. Tu m'emmènes où, au juste ? 

— À la Boite.

Ian s'amusait beaucoup de ses mystères. Il avançait encore, et encore, se dirigeant droit sur la brume, et quand ils furent tout près il passa à l'intérieur, révélant l'illusion qui cachait un bâtiment. Cette fois, ce n'était pas une arène ni un château magnifique, c'était juste une vieille grande surface en taule, désaffectée, une ruine.

Ian poussa les portes battantes et ils entrèrent dans un majestueux hall noir, avec un lustre à pampilles couleur d'encre, des fauteuils recouverts de satin et de velours et des murs décorés et sculptés à la mode Carlier. Pourtant, c'était aussi le chaos. Le mobilier avait été renversé, fracassé, certains murs étaient défoncés, et d'autres tagués. C'était un peu comme si une horde de MnMolochs était passée par là.

— Bienvenue à la première version de la Boite, celle qui lui a valu ce nom étrange, parce que de loin, on dirait vraiment une boite de conserve. Avant, c'est ici que nous nous retrouvions, mais tout a été ravagé lors d'une énorme bataille. On aurait pu reconstruire, mais la reine a préféré déménager, histoire d'avoir la paix le temps que les MnMolochs nous cherchent et de repartir sur de nouvelles bases. C'était en effet une bonne idée qui nous a permis de nous reconstruire rapidement et avec enthousiasme. Dans l'ensemble, tout le monde a suivi. Sauf que... j'étais parti, à ce moment-là. J'étais dans une ville loin d'ici, et quand je suis revenu, j'ai retrouvé la Boite dans cet état. Tu n'imagines même pas le choc que ça a été.

— Oh si, j'imagine, murmura Mika. On ne t'avait pas prévenu ?

— Si, mais... l'habitude. Et puis je venais de perdre mon équipe, je n'ai pas réfléchi, je suis venu ici.

— Qu'est-il arrivé à ton équipe ?

— La chef a quitté le jeu et s'est marié avec le guerrier, qui donc, quittait lui aussi le jeu. Bref... il ne restait que moi et un type qui a disparu sans laisser de traces. Ce genre de trucs, c'est l'histoire de ma vie.

— Je te plains.

— Ouais, moi aussi je me plains.

Ils traversèrent ce drôle d'endroit surréaliste pour arriver dans une sorte de chapelle d'un luxe gothique suranné recouvert de poussière.

— L'ancien salon des quêtes. Là, c'est les portes des salles de jeu de rôle, expliqua Ian en ouvrant l'une d'elles qui donnait sur un décor de crypte. Là, le bureau de Davan.

Mika aurait pu le deviner tout seul. Comme dans la tour de verre des Carliers, le bureau de Davan brillait pas sa sobriété et par l'absence de luxe ou de décor.

Il descendit dans les sous-sols et entra dans un long couloir avec plusieurs ramifications.

— Toute l'aile de gauche était réservée aux situations de crise et aux sièges. Elle a pas mal servi. Cette allée-là, ce sont les chambres de base. Elles sont beaucoup plus personnalisées que celles d'aujourd'hui, entièrement dessinées par nos architectes. Et puis là, il y a l'aile des chambres plus luxueuses, pour les plus vieux et les plus forts.

— Pas d'arènes, de salle d'entrainement ? 

— Non, à l'époque on s'entrainait toujours dehors, au nez et à la barbe des humains. On passait pas mal de temps sur le stade d'entrainement militaire, ajouta-t-il avec un sourire nostalgique. Mais c'est devenu un peu trop risqué.

Ian continuait vers le couloir des chambres de luxe. Il poussa une porte et entra dans la première pièce dénuée de poussière. Ici, le mobilier était intact, c'était une immense chambre avec un grand trompe-l'œil qui faisait croire à une verrière donnant sur l'espace. On y voyait la Terre au milieu des constellations, comme si l'on observait le ciel depuis le soleil. Tout était dans les tons noirs, comme d'habitude. Le lit de Ian était un imposant avec des baldaquins sombres. Il possédait une grande bibliothèque en mezzanine, saturée d'ouvrages, un bureau sur lequel il y avait de quoi lire, écrire et dessiner, un râtelier d'armes et un espace qui visiblement servait à s'entrainer. Une petite porte qui aurait été invisible si elle n'avait pas été entrouverte donnait sur la salle de bain.

— Impressionnant.

— Oui... approuva Ian. C'est vrai que ça a de la gueule, un peu comme tout ce que dessinent les Carliers, on ne fait pas vraiment dans la modestie, et c'était encore pire avant le déménagement.

— Mais pourquoi tu restes là ? Tu dois te sentir horriblement seul ! 

— En fait... Oui. Un peu, mais ça me rappelle des choses que je ne veux pas oublier. Et puis... je me suis autoproclamé le gardien de cet endroit, ça peut toujours servir.

— Les MnMolochs ne risquent pas de tenter de le prendre ? 

— C'est protégé, assura Ian. Les anciens pouvoirs qui en faisaient un sanctuaire sont toujours actifs, du fait que j'y vive encore. Ça n'est ouvert qu'aux Carliers, et les illusions s'assurent qu'on oublie cet endroit.

Mika approuva du chef.

— C'est... impressionnant, murmura-t-il. Mais ça doit être un peu... déprimant aussi. Tu dois avoir une tonne de souvenirs, ici.

— Ne t'en fait pas. Je ne rentre ici que quand j'ai besoin de calme et pour échapper à la lumière du soleil. J'aime être le gardien de cet endroit. Le passé est tellement éphémère, dans le jeu !

Mika hocha la tête.

— Oui... j'ai vu ça quand Osa a voulu rentrer chez elle et qu'elle avait l'air de ne reconnaitre personne, que des ennemis. En seulement quatre ans...

— Oui.

Le silence qui suivit était sombre.

— Allez viens, ce n'est pas ça que je voulais te montrer.

Il le prit par les épaules et l'entraina en dehors de la pièce. 

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant