Charlotte pensait encore au suicide, mais y penser, ce n'était déjà plus franchir le pas. Elle n'avait plus rien. Plus de mec, plus de boulot, plus d'appartement. Et par-dessus le marché elle venait de comprendre qu'elle était prisonnière, et qu'elle ne reverrait probablement jamais la Terre. Là, en pleine nuit dans cette gare sombre et glauque, trop silencieuse, elle accusait le coup, comme après une gifle monumentale, non... plusieurs gifles successives.
Bon, ce n'était pas le moment de paniquer. Le moment du suicide était passé, il fallait qu'elle réagisse, qu'elle se remette de tout ça. Première chose à faire, voir s'il était possible d'annuler sa démission... Oui. Retrouver son travail... quantifier, mesurer, observer la brume. Non... Elle ne voulait plus retourner là-bas. Elle n'en avait plus envie. Tant pis. Pour son appartement, c'était trop tard aussi. Il y avait bien des hôtels, et elle avait de quoi s'en trouver un autre, mais... là, juste en cet instant, elle n'avait plus envie de rien.
L'esplanade devant la gare était vide, il n'y avait personne, à part une jeune femme assise sur un banc, une femme habillée tout en blanc qui la regardait avec attention. Plutôt jolie, elle avait l'air d'une illusion, toute blanche au milieu de ce décor sombre et humide de nuit gorgée de pluie. Elle était comme lumineuse.
Avant même d'y avoir réfléchi, Charlotte se rendit compte qu'elle avançait vers elle. La fille se leva. Avait-elle atteint ses seize ans ? Était-ce l'une de ces jeunes qui étaient nées sur Gaïa et qui ne connaissaient pas la Terre ? Non, à bien la regarder, Charlotte se rendit compte qu'elle avait seulement l'air jeune. Ses yeux étaient marqués par le temps. Elle était sans doute même plus vieille qu'elle, mais elle paraissait si jeune au premier abord. Ou alors peut-être était-ce une illusion de sagesse...
Puis d'un coup, ça lui vint comme une évidence. Ce port de reine digne d'un film, cette apparence étrange et calme, et ce triskèle étrange qui ornait son front...
— Tu fais partie de... ce jeu, n'est-ce pas ? demanda Charlotte.
La fille sourit et hocha la tête.
— Tu le connais ? Les humains ne le connaissent pas d'habitude.
— J'ai été... contactée par le MJ. Sauf qu'à ce moment j'ai refusé son offre.
— C'était il y a longtemps ?
— C'était...
Charlotte regarda le ciel.
— C'était la nuit dernière, mais j'ai l'impression que c'était il y a des années. J'ai beaucoup vieilli, aujourd'hui.
— Oui, ça arrive, admit la jeune femme.
Elle lui tendit la main, Charlotte la serra.
— Est-ce que tu veux que je parle de toi au MJ ? demanda-t-elle. Tu as changé d'avis ?
— Oui, je veux bien. Quel est ton nom ?
— Lilou. J'imagine que tu as tout plaqué pour partir.
— Oui, admit-elle. Je ne suis pas sure de savoir où aller ni quoi faire. Pourquoi ne me demandes-tu pas mon nom ?
Lilou lui sourit. Ses yeux d'un gris électrique pétillaient de vie, une vie qui manquait vraiment à Charlotte.
— Je suis désolée, mais je ne veux pas le savoir. Si tu rejoins les nôtres, tu auras un nouveau nom, et celui-là, je serai ravie de le connaitre. Mais si tu restes humaine, je devrai t'oublier.
— C'est...
Non. Tais-toi Charlotte, il y a un temps où il faut savoir se taire... Oui, cette façon de couper les joueurs des non-joueurs, ça lui faisait beaucoup trop penser aux sectes en général, et surtout à l'église de scientologie. Peut-être que si elle laissait faire, elle allait se retrouver engluée dans quelque chose de dangereux. Mais qu'est-ce qui pouvait être plus dangereux qu'un suicide dans la brume, au final ? Alors elle mit de côté ses doutes, ses réflexions personnelles elle les garda pour elle et elle lui sourit.
— D'accord, dit-elle simplement pour ne pas enflammer une nouvelle polémique.
Qu'est-ce que ça pouvait faire, au point où elle en était ? Rien, ça ne faisait rien du tout. Alors elle décida de passer à autre chose... Mais quand même ! Elle n'aimait pas ces méthodes. Était-ce la seule chose à faire ? Jouer à ce jeu qui avait l'air de plus en plus dangereux ? Pourquoi parlait-elle seulement à cette fille ? À cause de la brume... encore la brume, toujours la brume. Il fallait qu'elle sache.
— Bon, et maintenant ? demanda-t-elle. Est-ce que tu vas parler de moi au MJ ?
Lilou hocha la tête en souriant.
— Et quoi qu'il arrive, j'espère que tu me rejoindras, conclut la jeune femme.
Elle s'inclina profondément et s'éloigna d'un pas tranquille. Charlotte la regarda faire en se demandant ce qu'elle était censée faire, maintenant. Cette fille était bien gentille, mais...
Ah oui ! Son téléphone.
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CALM
FantasyParti dans un autre monde pour vivre une aventure, Mika s'est retrouvé à geeker dans sa chambre comme sur Terre. Et si c'était jouer, finalement, la véritable aventure ?