21.5 Mika

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— Ça y est tu te réveilles ?

Mika cligna des yeux. Il faisait nuit, mais un filet de lumière filtrait entre les volets. Mika se trouvait dans un canapé au milieu d'un salon confortable et familial. Des jouets pour enfants, une grande télé avec des tas de jeux qu'il avait testés la veille et des films importés de la Terre, un puzzle sur une table et un petit mur pour séparer le salon de la cuisine qui n'aurait pas dépareillé sur Terre. C'était de là-bas que provenait la voix qu'il avait entendue.

Mika se leva en tâchant de ne pas réveiller Keii et Ian à côté de lui. Fabio n'était nulle part. Il contourna le muret et vint s'assoir près de l'homme.

— Où est-ce que je suis ? demanda Mika un peu embarrassé.

— Tu ne te souviens de rien ? sourit l'autre amusé.

— Euh... vaguement.

— Tu es chez moi, et je suis Aléa Jacta Est, le grand frère de Fabio.

— Oh ! D'accord. Désolé, j'étais dans un sale état, hier.

— J'ai vu ça. Ian m'a dit que tu travailles pour Less is Mort, alors je ne me suis pas posé de questions. J'avais juste peur que tu meures dans la journée.

— Si j'avais assez de force pour jouer, c'est que ça allait, assura Mika embarrassé. D'ailleurs, tu as de sacrées merveilles dans ta collection.

— Ce sont des machines Artiseurs, et comme ma femme est amatrice, c'est vrai que j'ai une bonne collection. Si je ne m'abuse, c'est pour toi que je suis allé chercher une console portable avec Fab.

— Ah oui, c'est vrai, merci beaucoup. J'y tiens énormément.

— De rien.

Aléa sortit deux tasses et versa un peu de café dans chacune. Mika accepta celle qu'il lui tendit et avala quelques gorgées brulantes qui achevèrent de le réveiller.

— Je suis content de faire ta connaissance, continua Aléa. Tu n'es pas n'importe qui, tu es le chef de mon frangin, le chef de Ian que tous les vieux joueurs connaissent, et maintenant le chef de Keii... une vieille amie qui a bien plus accroché au jeu que je ne l'aurais cru.

— Le hasard, répondit Mika

— Je m'appelle Aléa, je m'y connais bien en hasard, et crois-moi, ça ce n'en est pas. Il se passe des trucs importants dans le CALM, les MnMolochs l'ont compris, je ne sais pas trop comment, surement grâce à une magouille des Artiseurs, les Lyxirs surement aussi vus comme ils tournent autour de la Boite en ce moment. Ce qui me fait dire aussi que ce n'est pas un hasard, c'est que ça coïncide avec beaucoup de remous du côté de l'OGRS. Ils ont coupé toutes les communications avec la Terre, et maintenant ils ont limité l'usage d'internet à un réseau gaélien.

— C'est vrai ? s'insurgea Mika. Mais qu'est-ce qu'ils fabriquent ?

— Exactement ce qu'ils ont l'air de fabriquer, ils transforment la société pour qu'elle ressemble à leur idéal militaire et autonome. C'est déjà en bonne voie, je ne vois pas ce qu'ils pourraient faire de plus pour le moment, du moins tant que le CALM existe.

— Et donc... tu penses que j'ai un rapport avec ça ?

Il acquiesça.

— Tu as réuni un certain nombre de critères qui vont bientôt déclencher une série de quêtes prédites par les prophéties.

Il sourit et ajouta.

— Ce ne sont que des hypothèses, mais j'y crois dur comme fer. Il doit arriver un jour où nous devrons nous confronter à notre plus grande menace, et j'attends ce moment avec grande impatience.

— Moi pas, rétorqua Mika. Parce que l'OGRS ne fait pas partie du CALM, et si on sort du cadre du jeu, alors on ne joue plus. Les soldats qui meurent ne se relèveront pas, et nous non plus, contre eux.

— C'est exact. Pour toi le CALM est un jeu, et c'est normal, s'en est un. Mais au-delà du jeu, quand tu auras atteins le niveau cent, quand tu auras tiré tout ce que tu pouvais tirer des guerres de haut niveau dans les villes toutes plus incroyables que les autres de Gaïa, alors il te restera un niveau à découvrir, un niveau où tu n'es plus joueur, où tu es protecteur du CALM à temps plein, où tu veilles sur les gens désespérés qui tentent de se suicider, ou tu protèges les civils opprimés en les aidant à entrer dans le jeu et où tu t'assures que l'OGRS reste toujours à l'écart pour que l'expérience de jeu de ceux qui jouent encore soit la plus parfaite possible. C'est là que j'en suis, et de là, je vois que nous ne tiendrons plus très longtemps, que les agents infiltrés, les assassins, les espions que nous envoient l'OGRS vont finir par causer trop de dégâts.

Keii se leva et se rapprocha de la table. Elle se fit couler une tasse de café et les rejoignit en silence. Mika, pensif, réfléchissait à ce qu'il venait d'entendre. Il savait que jouer lui avait toujours permis de reléguer en arrière-plan de bien plus gros problèmes. Lui aussi avait des soucis avec l'OGRS, lui aussi devrait les régler un jour. L'idée que le jeu puisse devenir assez fort, assez réel pour qu'il apporte lui-même la solution à des soucis qui le dépassent complètement lui faisait tourner la tête comme lorsqu'il tentait d'imaginer les limites de l'univers.

— Nous n'en sommes pas là, dit-il finalement.

— Non, c'est vrai.

— Là où ? demanda Keii.

— À combattre l'OGRS, résuma Aléa.

— Oh pfff... fit-elle en balayant cela de la main. Le jour où on en sera là, ce sera sans moi. J'ai mes propres objectifs et ils sont exclusivement à l'intérieur du CALM. Le reste, je m'en balance.

— La brume ? demanda Aléa.

Elle acquiesça.

— Je veux continuer mon étude de la brume, je veux comprendre tout ce qu'il y a à comprendre, je veux la manipuler, la maitriser. Rien d'autre ne m'intéresse. Et d'ailleurs, j'aimerais bien qu'on s'y mette, remarqua-t-elle en regardant Mika. Comment apprend-on la magie Carlier ?

Ian se rapprocha à son tour.

— La magie Carlier ? répéta-t-il. Tu veux faire de la magie ? C'est vrai ?

— Quoi ? fit-elle en fronçant les sourcils. Ça vous pose un problème.

— Pas du tout, répondit Mika. On cherchait un équipier qui ait des compétences différentes des nôtres, alors c'est parfait.

— Mais la magie Carlier c'est chiant et c'est difficile, ajouta Ian. Et les professeurs de magie sont tous sous la houlette de la reine, et la reine nous déteste. Tu ne trouveras personne qui puisse te l'enseigner. Et à ma connaissance, des mages autodidactes puissants, ça n'arrive jamais.

— Personne ne m'a appris à matérialiser quoi que ce soit, remarqua Mika.

— C'est vrai. Mais toi, ça ne compte pas.

— On va te chercher un prof, Keii. Et je suis sûr qu'on en trouvera un, parce que si ce n'est pas le cas, et bien nous aurons la première mage autodidacte puissante des Carliers.

La jeune femme acquiesça, motivée.

— Ça me plait bien.

— Alors bon courage, ricana Aléa Jacta Est. Tu leur a raconté ce qu'il t'es arrivé le jour où tu as essayé de rentrer chez les Lyxirs, Keii ?

— Cette fois ce sera différent, assura la jeune femme. 

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